Il y a dix ans, l'iPhone changeait Apple pour toujours

Anthony Nelzin-Santos |

Un iPod à grand écran avec des contrôles tactiles. Un téléphone mobile révolutionnaire. Un appareil de communication avec internet innovant. Un iPod. Un téléphone. Un appareil de communication avec internet. Un iPod. Un téléphone. Vous avez compris ? Ce ne sont pas trois appareils ! C’est un seul appareil, et nous l’avons baptisé : « iPhone ». Aujourd’hui, Apple va réinventer le téléphone. Et le voici.

Et Steve Jobs présenta l’iPhone, le 9 janvier 2007, il y a tout juste dix ans. Faut-il célébrer cet anniversaire en retraçant l’histoire du smartphone qui a changé la face d’Apple, de l’industrie, et peut-être même du monde ? Probablement pas : tout ou presque a été dit sur le sujet. Mais il faut sans doute mesurer le chemin parcouru depuis cette présentation au Moscone Center de San Francisco.

La téléphonie en 2007

Quelques diapos de la présentation de Steve Jobs peuvent nous y aider : celle comportant ce fameux iPod à cadran rotatif, une autre présentant quatre des smartphones les plus populaires à l’époque, ou encore celle annonçant la transformation symbolique d’« Apple Computer Inc. » en « Apple Inc. ». Commençons par la première, qui ouvre cet article, et forme l’arrière-plan d’une des blagues les plus culotées de Steve Jobs.

Une blague qui a pourtant failli devenir réalité : les ingénieurs d’Apple ont réellement planché, au milieu des années 2000, sur un téléphone-iPod à cadran rotatif. Ce projet P1 a laissé quelques traces, notamment sous la forme d’un brevet, mais s’est rapidement effacé devant le projet P2, celui d’un smartphone à écran tactile multipoint. L’iPod venait à peine de gagner une compatibilité avec Windows, mais le patron d’Apple était convaincu que ses fonctions finiraient par être absorbées par le téléphone, comme les fonctions du PDA avant elles.

L’intérêt de Steve Jobs pour les écrans tactiles remonte toutefois aux années 1980 : avant même de diriger la conception du Macintosh, puis immédiatement après l’avoir présenté, il discutait avec Harmut Esslinger de tablettes et de manipulation directe. Une réflexion reprise en 2003 avec le lancement du projet K48, qu’il évoquait sans le nommer dans une interview quelques mois avant sa mort : « j’ai eu cette idée de me débarrasser du clavier et de pouvoir taper à plusieurs doigts sur un écran, et j’ai demandé à mes équipes s’il était possible de concevoir un écran tactile multipoint, sur lequel je pourrais poser mes mains, et taper. »

Ces équipes finiront par réussir à concevoir cet écran, avec l’appui de spécialistes asiatiques des écrans capacitifs et l’acquisition de la propriété intellectuelle de Fingerworks sur le multipoint, mais seulement après que le projet de tablette s’est transformé en projet de téléphone. Les technologies nécessaires à la conception d’un smartphone de nouvelle génération commencent alors à converger : l’écran tactile capacitif multipoint donc, mais aussi des batteries plus denses, des composants plus puissants et plus économes, et surtout des réseaux cellulaires plus rapides.

Tous les fabricants pouvaient se saisir de ces pièces, et quelques fabricants asiatiques l’ont fait, mais seule Apple a su assembler le puzzle avec succès. Cette diapo montrant les quatre smartphones les plus populaires en 2006 est cruelle : Motorola appartient désormais au chinois Lenovo, BlackBerry et Palm sont maintenant des marques du chinois TCL, et les prochains smartphones Nokia seront conçus et vendus par le chinois Foxconn. Un nouveau marché a poussé sur les cendres de l’industrie à laquelle l’iPhone a mis le feu.

En 2007, cette industrie était tenue par des acteurs européens (Nokia, Sony Ericsson…) et nord-américains (Motorola, RIM/BlackBerry, Palm…). Elle consacre aujourd’hui les fabricants coréens (Samsung surtout), et voit l’émergence de fabricants chinois aux créations originales et à la croissance irrésistible (Huawei, Lenovo/Motorola, Xiaomi, BBK/Oppo/Vivo/OnePlus). En 2007, la diversité des formes et des matériaux primait sur l’innovation logicielle. Le cœur de l’industrie bat aujourd’hui au rythme des mises à jour d’applications, et tous les téléphones sont des rectangles aux coins arrondis.

L’iPhone en 2007

Le succès de l’iPhone est bien le succès d’un nouveau modèle, celui de l’intégration des logiciels et des services. Cela ne veut pas dire que le matériel a été relégué au second plan : les fabricants n’ont jamais autant parlé de gigahertz, de gigaoctets, de mégabits par seconde, de points par pouce et de mégapixels. Cela veut plutôt dire que le matériel n’est rien sans un logiciel à sa hauteur : le Nokia N95 était doté d’un système conçu pour les PDA, et le BlackBerry Pearl d’un système conçu pour les pagers.

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Ni Nokia ni RIM n’avaient la capacité, ou seulement même la volonté, de développer un nouveau système d’exploitation, capable de combiner les forces des nouveautés matérielles aux possibilités offertes par les réseaux cellulaires de deuxième et troisième génération. La rupture est venue de « ces mecs du PC » que le CEO de Palm regardait de haut : Apple a retravaillé le système d’exploitation de ses ordinateurs, au point que Steve Jobs disait que l’« iPhone utilise OS X », alors même que Google reprenait Android, quoiqu’avec une vision très conservatrice.

Les capacités du système qui ne s’appelait pas encore iOS n’ont pas donné « cinq ans d’avance » à l’iPhone, comme se plaisait à le répéter le patron d’Apple, puisque les acteurs du monde de la téléphonie n’ont jamais pu rattraper leur retard. Le match s’est joué entre acteurs du monde de l’informatique, comme un lointain écho de la guerre entre Mac OS et Windows qui a épuisé les Atari et les Commodore.

Et puis le 9 janvier 2007, le logiciel de l’iPhone n’avait pas « cinq ans d’avance ». Si la présentation de Steve Jobs était si claire et si méthodique, c’est que le patron d’Apple ne pouvait absolument pas sortir des clous, sauf à vouloir révéler les énormes défauts de jeunesse de l’iPhone. À peine quelques semaines avant sa présentation au Moscone Center, le téléphone avait tendance à planter au milieu d’une démonstration d’une des rares applications à peu près terminées, quand elles ne refusaient pas de se lancer du moins.

L’utilisation du cœur de Mac OS X, plutôt que du Pixo de l’iPod ou d’un système GNU/Linux, a apporté un avantage décisif à l’iPhone, mais a nécessité un pénible travail d’optimisation et d’adaptation. Un travail qui a mobilisé une équipe dédiée pendant près de trois ans, au moment même où une autre équipe portait Mac OS X sur l’architecture x86 des processeurs Intel ! Le système présenté par Steve Jobs était indubitablement innovant, mais incontestablement imparfait.

La première version du système de l’iPhone était faite de bric et de broc : pendant longtemps, Mail n’a pas utilisé la liste déroulante fournie par le système à toutes les applications, mais sa propre implémentation, symbole de l’isolement des équipes travaillant sur diverses fonctions. Et si elle était très avancée sur certains plans, elle était très déficiente sur d’autres : il a fallu attendre deux ans avant de pouvoir envoyer des MMS, copier-coller, taper un courrier à l’horizontale, chercher le contenu de l’appareil, ou enregistrer un mémo vocal.

Les plus jeunes l’ignorent peut-être, mais le premier iPhone ne comportait même pas d’App Store ! Il est difficile de croire qu’Apple n’y avait pas du tout pensé : plusieurs sociétés proposaient des répertoires d’applications pour Palm OS et Symbian, et la firme de Cupertino ne manquait pas des outils de développement nécessaires. À un moment où il fallait promouvoir l’internet mobile, mais que push et cloud n’étaient encore que des noms communs, Steve Jobs avait plutôt mis l’accès sur les applications et les services web, partageant même la scène avec Eric Schmidt de Google et Jerry Yang de Yahoo.

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Avec son processeur de lecteur DVD, l’iPhone n’était de toute manière pas un foudre de guerre. Apple n’avait pas atteint le degré de miniaturisation et l’ingéniosité architecturale qui la place aujourd’hui au sommet de l’industrie : la batterie était soudée artisanalement à la carte-mère, et les connecteurs des antennes renforcés à la colle. Apple n’avait pas besoin de six longs mois pour passer les certifications de la FCC, mais ce délai a permis de boucler la conception de l’appareil, commercialisé en juin 2007 avec une meilleure autonomie que prévu et un écran protégé par une couche de verre renforcé.

Apple en 2007

Depuis, l’iPhone a bien changé, comme tant de domaines avec lui. L’Europe ne domine plus l’industrie de la téléphonie, remplacée par la Corée du Sud et maintenant la Chine. L’Amérique du Nord a su conserver la maitrise des secteurs les plus rémunérateurs, la conception de composants de pointe et le développement logiciel, et Apple est la première capitalisation boursière mondiale. Le téléphone n’est plus un accessoire, ni même un téléphone. C’est un appareil photo et un miroir, une page blanche et une prison dorée, du matériel et des services, de nouveaux usages et de nouvelles économies.

Steve Jobs pouvait-il imaginer tout cela, sur la scène du Moscone Center, le 9 janvier 2007 ? Sans doute pas, mais sans doute ne comptait-il pas se contenter du petit pour cent de part de marché qu’il avait fixé comme objectif public. Deux ans plus tôt, il n’était même pas certain de pouvoir commercialiser un hypothétique iPhone, tant sa relation avec ces « orifices » d’opérateurs était dégradée. Et puis les intérêts de Cingular, qui cherchait à annoncer avec fanfare sa réincarnation en AT&T, ont rencontré ceux du patron d’Apple, qui cherchait un partenaire prêt à accepter ses (incroyables) conditions.

Souvenez-vous, quand vous jugez l’iPad et l’Apple Watch, et quand vous jugerez les futurs produits d’Apple, que le succès de l’iPhone n’avait absolument rien d’évident. La salle a applaudi à tout rompre la perspective d’« un iPod à grand écran avec des contrôles tactiles », assez accessoire aujourd’hui, mais accueilli fraichement les mots d’« appareil de communication avec internet », aux conséquences pourtant profondes. « Le futur est long », disait Steve Jobs, et seuls ceux qui l’inventent peuvent le prédire, pour paraphraser son ami et mentor Alan Kay.

Il y a dix ans, l’iPhone n’était pas un produit mais une annonce, une proposition au potentiel immense mais à la concrétisation incertaine. Les critiques qui ont immédiatement suivi sa présentation étaient souvent vaines, mais les frustrations qui ont immédiatement suivi sa commercialisation étaient bien réelles — l’écroulement du réseau de l’opérateur exclusif qui a motivé le premier jailbreak, le prix baissé de 200 $ après quelques mois et les premiers clients « dédommagés » avec 100 $ de crédit Apple Store, la longue attente avant l’arrivée en Europe et ailleurs, la pauvreté fonctionnelle des webapps… La firme de Cupertino a frappé un grand coup avec l’iPhone, mais il n’aurait pas connu un tel succès si elle n’avait pas été capable d’en porter l’écho.

Bien sûr, Apple est aujourd’hui une multinationale comptant plus de 120 000 employés dans ses nombreux bureaux et plus de 240 milliards de dollars dans ses coffres. Sa stature ne saurait pourtant pas la prémunir de la dureté des cycles commerciaux et technologiques. Il faut critiquer l’incapacité de la société à tenir les délais qu’elle s’impose elle-même, ou le troublant manque de pédagogie qui n’améliore pas la perception de ses produits, mais il faut — de grâce ! — arrêter de comparer l’Apple Watch à l’iPhone.

Ce 9 janvier 2007 était un moment exceptionnel : si la présentation de Steve Jobs reste dans les annales, c’est que le talent et le charisme du meilleur présentateur de la courte histoire de l’informatique ont rencontré la nouveauté et l’audace d’un objet comme il n’en existe peut-être qu’une demi-douzaine par siècle. Avant de dévoiler l’iPhone, Steve Jobs avait présenté la version finale de l’Apple TV, qui fête aussi son dixième anniversaire aujourd’hui, mais n’a pas connu le même succès. Comme quoi…

avatar Chanteloux | 

Mieux avant? Pire avant? Ni l'un ni l'autre, ou les deux à la fois. Un bilan à faire individuellement, chacun pour soi, et non transférable, qui nous contraint à une modestie dont sont très éloignés les fétichistes du iPhone, qui ont oublié qu'on pouvait vivre avant sans...
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Pour moi, et présentement: dans ma vie personnelle, un lot indéniable d'avantages majeurs: ça c'est un fait. Dans ma vie professionnelle, plutôt un lot d'inconvénients, majeurs eux aussi. Relations sociales accélérées et superficielles, déstabilisation des liens, chosification des relations, l'autre vu comme objet, facilement jetable, bref, on est tous des kleenex.. Perte parfois dramatique de contrôle sur les enfants, et ce de plus en plus jeunes. Je vois ça chaque semaine.

Sur le.plan social, je ne sais pas... Disparition de la vie privée? Réduite à une simple apparence illlusoire? On peut parait-il être vu, filmé, lu, enregistré, partout, à notre insu, des caméras cachées partout... bref, je ne sais pas vraiment.

Un fait est sûr: quand j'étais jeune, beau et comestible, on faisait du nudisme... Aujourd'hui je n'oserai jamais!

avatar Chanteloux | 

@beber1
... du rappel dans l'éducation par les parents ou enseignants divers de l'esprit de responsabilisation des futurs individus adultes, pour eux-même ou pour les autres dans le cadre d'une vie en collectivités...
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Oui, ce sont des banalités, que vous écrivez, au moins vous le reconnaissez. mais c'est dramatique, car ces banalités sont considérées comme des vérités et servent à cacher la réalité et à justifier toutes sortes de choses, ou l'inaction... Bref, une politique subtile de l'autruche... Et une perversion du langage qui ne sert plus qu'à tricher..

En d'autres termes, vous utilisez le même langage que tous ces politiciens que l'on ne veut plus entendre.

Et vous parlez d'éducation blablabla... Mais avez-vous remarqué qu'elle est justement en train de se déliter, cette éducation, et grâce justement (mais pas seulement bien sûr) aux smartphones?

avatar feefee | 

@Chanteloux

"vous parlez d'éducation blablabla... Mais avez-vous remarqué qu'elle est justement en train de se déliter, cette éducation, et grâce justement (mais pas seulement bien sûr) aux smartphones?"

Ho mon dieu ?
Tu vois trop de patients à problème c'est pas bon pour toi ça ?
Tu vas nous faire une crise de Calgon

avatar Chanteloux | 

Voyons fifi tu dois bien avoir quelques enseignants parmi tes amis... ou avoir.lu quelques articles sur le sujet... Non?

avatar feefee | 

@Chanteloux

"Voyons fifi tu dois bien avoir quelques enseignants parmi tes amis... ou avoir.lu quelques articles sur le sujet... Non?"

Non je n'ai pas d'amis et je ne lis jamais. Sauf ici .

avatar Chanteloux | 

Ça ne m'étonne pas. Mais blague à part, la baisse du niveau est signalée par tous, les pbs de discipline... C'est normal: les gamins passent leur temps à texter en classe! Comme Sarko avec le pape... Quand l'exemple vient d'en haut... Ça aussi, c'est une prouesse du iPhone...

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