Le Mobile World Congress 2012, un salon indécent ?

Anthony Nelzin-Santos |

D'un côté, le gratin de l'industrie du mobile signant des contrats entre deux soirées « networking », costume-cravate et pompes bien cirées. De l'autre, un cortège d'étudiants protestant contre les nouvelles coupes budgétaires présentées par le gouvernement fédéral, jean-tee-shirt et drôles de cigarettes. Le contraste ne pouvait pas être plus saisissant, et il a provoqué quelques échauffourées au sortir du Mobile World Congress (MWC) de Barcelone.

Le MWC, raout international réunissant opérateurs, fabricants, développeurs et prestataires, a toujours été l'occasion de démonstrations, ici des alter-mondialistes, là des environnementalistes, là encore des porteurs de chapeaux en aluminium, des groupes qui se recoupent parfois. Les chauffeurs de bus et de métro barcelonais ont cette année à nouveau utilisé ce salon comme arme dans leurs négociations avec la ville et la communauté autonome, mais le fond de leurs revendications était cette fois différent. Ville dans la ville à accès restreint, la Fira s'extasiait cette année pour une statue dressée par Huawei : un pégase cabré de six mètres de haut, dont le noir des 3 500 smartphones le composant était à la fois superbement brillant et parfaitement sinistre.

Une description qui pourrait parfaitement s'appliquer au cortège des étudiants, dont les instruments de musique et les appareils photo étaient superbement brillants, mais dont la mine désabusée était parfaitement sinistre. Alors que le déficit espagnol s'est établi en 2011 à 8 % du PIB au lieu de 6 % et que le taux de chômage atteint 23 %, le premier ministre Mariano Rajoy devrait annoncer des coupes franches de l'ordre de 45 milliards d'euros. Successeurs des indignés et inspirés par Occupy, ces étudiants sont loin d'être à la rue, comme en témoignent leurs smartphones et leurs appareils numériques ; c'est moins leur situation matérielle tangible que leur futur incertain qui les préoccupe, alors que les gouvernements locaux devraient fortement réduire les budgets dédiés à l'éducation et à la santé.

Pacifiques durant tout leur défilé à travers la ville, les étudiants sont allés à l'affrontement avec les forces de police lors de leur arrivée à la « capitale mondiale du mobile ». Devant eux se dressent fièrement les tours de la Fira, lieu de rencontre de 60 000 personnes ayant payé entre 700 et 5 000 € sans compter les frais de transport. Difficile de parler d'obscénité : le choc est violent, mais purement accidentel, et si le MWC s'expose fièrement à travers Barcelone, il n'est pas non plus un moment où l'on se baigne dans le champagne en préparant les prochaines crises financières.

L'indécence n'est donc pas matérielle, mais elle est peut-être idéologique : le discours d'Eric Schmidt sur le futur de la technologie et de la société, construit autour de la traditionnelle et vieillissante opposition nord/sud, aura presque fait oublier que des drames ont lieu non à nos portes, mais dans nos murs. Un drame bien loin des préoccupations de l'élite qu'il dessinait, et des visiteurs japonais privés de taxi, perdus face aux cartes bilingues de la station de métro voisine. Le MWC ferme ses portes dans quelques heures, au moment où Mariano Rajoy devrait préciser le montant final du nouveau plan de rigueur espagnol.

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