Livre numérique : Amazon joue à un jeu dangereux avec Hachette

Anthony Nelzin-Santos |

Vous voulez acheter un livre publié par Hachette chez Amazon ? Allez voir ailleurs. C’est ce que dit très clairement un communiqué de la firme de Jeff Bezos, qui indique avoir réduit ses achats et ne plus prendre de précommandes de livres Hachette.

Amazon est le « Everything Store »… sauf quand il faut négocier des prix encore plus serrés avec ses fournisseurs.

Si l’on s’arrêtait à ce communiqué, on pourrait croire que la chose n’est que la conséquence malheureuse d’une querelle entre un distributeur et son fournisseur :

Les fournisseurs décident des conditions selon lesquelles ils vendent aux distributeurs. Réciproquement, le distributeur décide si ces conditions sont acceptables et s’approvisionne en fonction. Un distributeur peut mettre en avant les produits du fournisseur dans ses supports promotionnels et dans sa vitrine, en mettre quelques-uns à portée de main dans sa boutique, ou ne pas les distribuer du tout — toutes les librairies et tous les commerces prennent ce genre de décisions tous les jours. Nous négocions avec les distributeurs au nom de nos clients, et ne pourrions maintenir l’attractivité et la valeur de notre offre à moyen et long terme sans négocier des conditions acceptables.

À ceci près que cette querelle ne porte pas sur le prix de gros des livres publiés par Hachette, mais sur la commission qu’Amazon perçoit pour la vente d’un livre numérique publié par Hachette. La firme de Jeff Bezos agit de la même manière en Allemagne avec Bonnier, qui est notamment connue pour ses nombreux magazines. Mais aussi avec la plupart de ses fournisseurs de manière générale, une coercition bien illustrée par le livre de Brad Stone sur Amazon… publié par Hachette.

« Amazon domine très clairement le marché et abuse de cette position pour maintenir et accroître son emprise », s’insurge l’Authors Guild, association d’auteurs dont la part serait un peu plus rognée si Hachette pliait : « elle viole très certainement la section 2 du Sherman Antitrust Act [NdR : la grande loi américaine contre les ententes illicites et les monopoles] ». Selon des experts pourtant, Amazon ne devrait pas être inquiétée : le Département américain de la justice avait repoussé les accusations d’abus de position dominante lorsque la société avait agi de même contre Macmillan en 2011.

Si Amazon n’est pas en situation de monopole, les éditeurs sont de plus en plus dans une situation de monopsone — Amazon n’écrase pas tout à fait sa concurrence, mais sa concurrence n’assure pas aux distributeurs les moyens de leur subsistance. C’est un effet pervers très clair de la condamnation d’Apple pour entente sur les prix, qui est certes justifiée, mais empêche maintenant la seule société capable de le faire de concurrencer efficacement et librement Amazon.

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