Interview : l'App Store : une librairie comme les autres ?

Arnaud de la Grandière |

William Réjault s'est d'abord fait connaître sous le pseudonyme "Ron l'Infirmier", sous lequel il publia un blog commencé en 2004. Remarqué par Guy Birenbaum, alors directeur des Éditions Privé, il publie un premier recueil de nouvelles "La Chambre d'Albert Camus", et a publié depuis deux autres livres, "Quel beau métier vous faîtes", suivi de "Maman, est-ce que ta chambre te plaît ?".

Voilà qu'il revient à la publication numérique avec son quatrième livre, "Le chemin qui menait vers vous", un "road-trip à pied" ecrit avec la collaboration de Laurent Latorre sous forme de roman-feuilleton, qui est sorti sur l'App Store le 4 février. A cette occasion, William Réjault a accepté de répondre à nos questions.

Comment ce projet de livre publié sur iPhone est-il arrivé ?

C'est Blüpan qui m'a contacté en novembre pour ce projet. Son responsable aimait ma façon d'écrire et pensait que ça se prêtait bien à ce média là

Le livre existera-t-il en version papier ?

Pas pour le moment. Je suis un auteur Plon sur le papier, pour le reste je suis libre comme l'air.

Sera-t-il publié sur d'autres plates formes ?

Je ne pense pas. Je sais que Blüpan a cherché à contacter Amazon pour son Kindle, et qu'il n'y a pas eu de réponse, je pense qu'Amazon ne traite qu'avec les gros éditeurs. Mais je serais ravi d'être publié sur une autre plateforme.

Tu as écrit ce livre dès le départ pour le publier sur iPhone. Cette publication numérique a-t-elle eu une influence sur l'écriture et le format ?

C'est le premier roman-feuilleton francophone sur iPhone. J'ai le début, j'ai la fin, je sais où je vais, mais il va y avoir une vraie interaction avec les lecteurs puisqu'il y aura un forum où les gens pourront discuter en temps réel du roman, des personnages, de l'évolution de l'histoire et de proposer des choses.

Chaque épisode fera entre trois et cinq pages. Je me suis mis avec mon iPhone dans le métro, et j'ai lu pendant 5-6 stations, ce qui fait à peu près le temps de lecture d'un chapitre.

Les trois premiers chapitres sont gratuits, et les suivants seront vendus deux par deux, chaque semaine, pour 0,79 €.

Tu avais annoncé la sortie de ce livre pour décembre initialement, voilà qu'il arrive en février. Le délai est-il dû à un souci avec la validation d'Apple ?

Ça a été validé en 36 heures, on verra ce que ça donne pour les semaines suivantes. Ce retard est lié à l'application qu'on voulait vraiment centrée sur l'utilisateur, quelque chose d'hyper simple, pas un gadget, et ça a pris du temps pour faire quelque chose de très creusé.

Quel est le thème de ce roman-feuilleton ?

C'est de l'anticipation : ça se passe en 2017, à quelques jours du deuxième tour de l'élection présidentielle et le président Sarkozy meurt d'une mort assez violente. Le pays a beaucoup de problèmes d'électricité depuis quelques années, on a beaucoup de chutes de tension sur le réseau, il n'y a quasiment plus de pétrole sauf pour les institutions, et les transports en commun sont quasiment paralysés. Et ça c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, cette mort plonge nos héros, quatre personnes, dans un certain état d'angoisse. S'il n'y a plus d'essence, il n'y a plus de légumes frais, s'il n'y a plus d'électricité, les villes sont plongées dans l'obscurité, donc il y a tout un climat français, même européen, qui se délite, et qui inquiète énormément les protagonistes.

C'est le premier livre que tu publies et qui ne traite plus de l'univers de la santé, que tu as quitté définitivement en 2008. Comment c'est passé ce "sevrage", as-tu été traversé par des questionnements sur ta légitimité d'auteur, au-delà du témoignage ? As-tu peur d'un accueil différent maintenant que ce livre repose sur ta seule écriture ?

J'ai la chance d'avoir mis trois ans entre mon premier livre et celui-ci. J'ai eu le temps d'évoluer par rapport à ça. Il y a trois ans je m'excusais d'écrire et de sortir un livre, j'étais honteux, et maintenant je n'ai aucun problème. Cette année je vais sortir deux bouquins, celui-ci et mon cinquième chez Plon à la rentrée littéraire. J'ai été sélectionné par manuscrit anonyme envoyé par la poste, donc je ne me pose plus aucune question sur ma légitimité littéraire. J'aime écrire, je m'éclate à le faire, et sur un sujet pareil j'ai autant des envies de lecteur que d'écrivain. J'ai envie d'y mettre des choses que je n'ai pas trouvées ailleurs, donc à moi de les écrire, tout simplement.
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Quelles différences as-tu ressenties par rapport à tes précédentes expériences dans ton rapport avec l'éditeur et le support final ?

Je fais partie de ceux qui écrivent beaucoup mieux sous la pression. On publie les premiers chapitres, on va avoir les premiers retours, donc il va y avoir une vraie urgence créative. On va vraiment suivre ce qu'on dit les gens. Avec l'édition traditionnelle, on suit un parcours beaucoup plus lent, ça me stimule moins.

Avec ce roman feuilleton publié par internet sur une plateforme numérique, c'est pour toi un retour aux sources, en quelque sorte, puisque c'est comme ça que tout a commencé pour toi avec le blog

C'est mon monde à moi, au départ avec le blog c'était déjà similaire. Le lundi j'écrivais une histoire triste, le mardi une histoire drôle, je variais les plaisirs et même l'histoire selon les réactions. Et puis il y a un questionnement dans le monde littéraire sur la façon dont on va vendre les livres numériques. Est-ce qu'on va les vendre au chapitre, ou en feuilleton ? Puisque j'ai la capacité de ce type d'écriture, j'en ai aussi l'envie et la curiosité, donc je me suis lancé, on verra bien ce que ça donne.

Justement, quel avenir vois-tu dans l'édition numérique ? Que penses-tu de l'arrivée de l'iPad ?

Je pense que les éditeurs ne peuvent pas dire qu'ils n'ont pas vu arriver le coup. Ils ont vu ce qui est arrivé aux maisons de disque, et ils ne peuvent pas rater le coup. J'y crois parce qu'il n'y a pas le choix. D'abord parce que je pense qu'il y a une réelle demande, il y a quelques jours on nous a quand même sorti l'iPad, qui est conçu pour lire les bouquins numériques. Si Apple a révolutionné la musique avec l'iPod, elle a l'intention d'en faire autant pour la lecture avec l'iPad.

En tant que lecteur, je peux avoir un besoin de lire n'importe où, n'importe quand avec mon iPhone, mon iPad ou mon Kindle, de la même façon que je lis des journaux je peux vouloir lire des chapitres. Et d'un autre côté, il y aura toujours les "vrais" bouquins en papier, j'aimerais bien avoir les deux formes d'éditions.

Et puis d'un point de vue purement écologique je ne crois pas qu'on puisse éditer 20.000 exemplaires d'un livre, l'envoyer par camion à la Fnac de l'autre côté de la France, pour finir par le remettre au pilon trois mois après parce qu'il ne s'est pas vendu. Je ne pense pas que le livre numérique exige une écriture spécifique, je suis pour tirer les choses vers le haut. Je pense qu'on s'adapte en temps de lecture. On a tous un temps d'attention qui a baissé, parce que l'offre est devenue plus diverse, et on a moins de temps à consacrer à la lecture. Donc je fais des chapitres plus courts, mais je n'ai pas adapté mes dialogues ou mes situations. Bien sûr, j'ai adapté chaque fin de chapitre, où il y a toujours un "cliffhanger", comme pour tout feuilleton.

Tu as écrit sur le Post un article assassin sur l'iPhone (note : l'article a été supprimé depuis l'interview…), dont tu as dit un mois plus tard "J'ai fait ma pu.e pour avoir un Nokia N97 en disant que c'était vachement mieux qu'un iPhone alors qu'après essai je me rends compte que je vais m'acheter un iPhone, finalement, toute honte bue.", et aujourd'hui tu finis par publier un livre sur l'App Store. Comment expliques-tu grand écart intellectuel qui part d'un article qui traite les utilisateurs d'iPhone de "lemmings" pour finir par leur proposer tes écrits ?

Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. D'ailleurs, l'App Store se destine aussi aux utilisateurs d'iPod touch. Et puis ça n'a rien à voir, c'est un e-book. Si on avait pu le faire sur le Kindle, j'aurais été ravi. Mais l'App Store s'est avéré le seul endroit pour le faire. J'ai un iPhone depuis un mois et demi, quand on m'a proposé d'écrire dessus, j'ai accepté alors que je n'en avais pas encore. Et puis depuis cet article, il s'est passé huit mois, avec le recul je me suis rendu compte qu'il était beaucoup plus simple de se servir d'un iPhone que d'un Nokia. Je me suis vraiment énervé sur le Nokia plusieurs fois, sans le comprendre, alors que je trouve l'iPhone redoutable. Ça ne m'empêche pas de trouver la batterie de l'iPhone minable, tout comme sa cellule photographique, les limites techniques imposées par Apple, et le fait de devoir passer par iTunes. Je ne suis pas non plus aveuglé. Ce que je n'aime pas avec l'iPhone, c'est le côté "lemming", des gens qui l'utilisent. Un peu comme avec l'iPad il y a quelques jours, on n'entend plus parler que de ça. Et à un moment on se dit "ça suffit !"

Quelle utilisation as-tu de l'iPhone, quelles sont tes applications fétiches ?

J'ai une utilisation affective de l'iPhone. Dès l'instant où je l'ai eu, je me suis demandé comment j'avais fait pour vivre sans jusque-là. C'est LE truc qui me manquait. J'ai quand même mis trois ans pour craquer, mais une fois que je l'ai eu en main, vingt secondes après, j'avais compris pourquoi tout le monde l'aimait et ce que je pouvais en faire. J'aime bien twitter sur l'iPhone, Tweeter fait vraiment partie de mon univers maintenant. Je trouve Shazam extraordinaire, moi qui suis très grand fan de musique, ça me permet de la découvrir et de l'acheter, j'achète beaucoup plus de musique depuis que j'ai un iPhone. Je lis beaucoup plus dans le métro aussi. Le truc génial, j'ai des applis pour acheter des billets de concert ou de train. J'étais coincé en réunion et je ne pouvais pas aller à la Fnac, et il y avait Aha qui était en concert, grâce à l'iPhone j'ai pu acheter deux places. Je cours beaucoup, et j'adore RunKeeper qui me donne toutes les infos sur mes parcours.

Aujourd'hui, tu utilises un Mac et un iPhone, comment en es-tu venu aux produits d'Apple, et qu'est-ce qu'ils t'apportent par rapport aux autres produits ?

Ça fait deux ans que je suis sur Mac. Il m'apporte la simplicité. J'en avais marre du PC et des plantages. Je ne le trouvais pas simple. Quand j'ai un problème sur Internet, que je cherche une application pour quoi que ce soit, sur Mac je trouve en trois clics une application ultrasimple, pour n'importe quoi. J'ai trouvé sur Mac des applications incroyables.

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