Copie privée : les politiques s’opposent à l’extension aux smartphones reconditionnés

Anthony Nelzin-Santos |

La Commission pour la rémunération de la copie privée fait un pas en direction de l’extension de la redevance aux produits reconditionnés. Selon Next INpact, la commission a écarté la réalisation d’une étude de marché, pour estimer les conséquences sur l’économie du reconditionnement, et prévu de voter le questionnaire d’une « étude flash » le 16 mars prochain. Les représentants des ayants droit veulent accélérer le mouvement pour prévenir l’organisation d’un front politique contre cette extension de la copie privée.

Le reconditionnement d’un téléphone dans l’usine de Smaaart.

Alors que Copie France a assigné en justice les principaux acteurs français du reconditionnement, sans coup de semonce, les débats font encore rage dans les couloirs du ministère de la Culture. En auditionnant les représentants du secrétariat d’État chargé de la Transition numérique et des communications électroniques et du ministère de la Transition écologique, le 2 février dernier, la Commission pour la rémunération de la copie privée a pu mesurer l’étendue des désaccords.

Cette commission placée sous l’égide du ministère de la Culture et dirigée par Jean Musitelli, jadis membre de la Hadopi, est chargée de fixer le barème de la redevance. Les ayants droit aiment la présenter comme une commission paritaire, mais les associations de consommateurs ont déserté, lassées de perdre arbitrage après arbitrage. Ce sont donc douze représentants des ayants droit (dont dix membres de Copie France), mais seulement trois représentants des associations de consommateurs, qui ont auditionné Antoine Darodes.

Le directeur de cabinet de Cédric O, qui vient de présenter la feuille de route « numérique et environnement », a rappelé la nécessité « de promouvoir le réemploi ». Alors que Copie France assure que l’« économie des supports reconditionnés n’est ni verte, ni circulaire, ni pourvoyeuse d’emplois », Antoine Darodes a tenu à rétablir la vérité sur le visage de l’industrie française, comme le montrent les minutes de la réunion :

Monsieur Darodes explique que le Secrétariat d’État au numérique a examiné avec attention l’écosystème du reconditionnement. Il explique qu’il s’agit d’un écosystème singulier, car il est plutôt nouveau et avec des marges tellement faibles voire négatives qu’il est constitué par des entreprises de l’économie sociale et solidaire et par des startups. Il pense que c’est la raison pour laquelle cet écosystème est aujourd’hui structuré non pas autour de grands groupes, effectuant des marges confortables, mais plutôt autour d’un écosystème qui essaie de se monter notamment en s’appuyant sur l’économie sociale et solidaire. Monsieur Darodes cite ainsi, à titre d’exemple, les Ateliers du Bocage, du mouvement Emmaüs, qui emploient plusieurs centaines de personnes grâce à des contrats aidés. Concernant les startups, il cite des sociétés comme BackMarket ou Recommerce qui sont, selon lui, des pépites de la French Tech. Aussi, pour Monsieur Darodes, il s’agit d’un écosystème nouveau, fragile et qui n’est clairement pas stabilisé. Pour cette raison, il se montre très vigilant en ce qui concerne l’impact de la rémunération pour copie privée sur cet écosystème. À cet égard, il observe que la RCP est une redevance fixe et que lorsqu’on taxe à hauteur de 14 € un terminal neuf de 64 Go, on se situe à environ 2 % du prix de vente. Monsieur Darodes estime que le poids de la RCP sur un produit reconditionné se situe plutôt autour de 11 % dans la mesure où le prix moyen d’un tel support est de 120 €. Aussi, selon lui, un tel niveau de RCP fragilise l’écosystème du reconditionnement puisqu’il s’agit d’un écosystème qui ne fait pas ou peu de marges. Monsieur Darodes craint qu’avec un tel niveau de RCP un grand nombre d’entreprises du reconditionnement ne disparaisse.

Malgré cette mise au point, Bruno Boutleux, le président de Copie France, persiste à croire que le prix moyen d’un smartphone reconditionné « se situe plutôt autour de 400 € ». Or comme nous l’a confirmé Jean-Christophe Estoudre, président de Smaaart, « l’iPhone 8 de 64 Go est le produit de référence dans le reconditionné aujourd’hui ». Un smartphone vendu 280 € – deux fois plus cher que les smartphones Android qui font vivre les acteurs plus modestes, comme les ressourceries et les entreprises de l’économie sociale et solidaire, qui écoulent souvent des appareils à moins de 100 €. Bruno Boutleux accuse la place de marché BackMarket, qui contrôlerait « 90 % du marché » et dont plus de la moitié des revendeurs seraient étrangers. BackMarket domine certes le marché, mais la moitié des vendeurs sont français, et près des deux tiers des téléphones proviennent de France et d’Europe.

Pour ménager la chèvre et le chou, le secrétariat d’État chargé de la Transition numérique propose trois pistes :

  • puisqu’« un tiers des terminaux réemployés sont importés de pays lointains », et n’ont jamais été soumis à la redevance pour copie privée, ils pourraient y être assujettis lors de leur première vente sur le territoire national. Cette solution aurait l’avantage de distinguer clairement les importateurs des reconditionneurs s’approvisionnant et réparant en France, et d’exclure clairement le marché de l’occasion, alors qu’un prochain décret va clairement définir les produits reconditionnés comme des produits d’occasion.
  • le gouvernement s’attaquerait enfin au « trou du panier percé », la fraude fiscale qui gangrène les places de marché, un problème que nous évoquons depuis des années. En 2019, un rapport de l’inspection générale des finances avait confirmé les suspicions des reconditionneurs français : « environ 98 % des vendeurs non européens qui passent par des places de marché ne paient pas la TVA ». La prochaine loi de finances prévoit la solidarité des places de marché en matière de paiement de la TVA, préalable à la perception de la redevance copie privée sur les terminaux venus de l’étranger.
  • le gouvernement en convient : il souhaite « allonger la durée de vie des terminaux mobiles afin que ceux-ci aient une durée de vie qui se rapprocherait des quatre à cinq ans ». Il est prêt à accepter une augmentation proportionnelle de la redevance copie privée, mais encore une fois, uniquement lors de la première mise sur le marché français.

À ce stade, les représentants des ayants droit semblent rester insensibles aux arguments du secrétariat d’État chargé de la Transition numérique et des communications électroniques, soutenu par le ministère de la Transition écologique.

La commission semble vouloir passer en force, mais elle trouvera des parlementaires sur son passage. Les députés de l’ancien groupe Écologie Démocratie Solidarité ont déposé une proposition d’amendement de l’article L. 311‑8 du Code de la propriété intellectuelle, qui assurerait que « la rémunération pour copie privée n’est pas due non plus lorsque les supports d’enregistrement sont issus d’activités de préparation à la réutilisation et au réemploi de produits ayant déjà donné lieu à une telle rémunération ». Le député MoDem Philippe Latombe propose un amendement similaire, qui affirmerait que « la rémunération pour copie privée n’est pas due non plus par les personnes qui acquièrent des supports reconditionnés ».

avatar demenla971 | 

De la spoliation voilà ce qu’est cette dite taxe ni plus ni moins.

Il se comporte en mafia si je devais résonner comme eux je me comporterai ainsi. En tant que maitre d’œuvre je réalise de la prestation intellectuelle. A chaque changement de propriétaire je ferai payer ma prestation intellectuelle au nouveau sous prétexte qu’elle m’appartient.

Pour moi pas de discussion possible cette pratique s’apparente à de l’extorsion.

Sur mon Iphone Ipad Mac, 99% des éléments sur les disques durs sont mes créations dossiers plans photos etc.

C’est une honte qu’un tel système ait été mis en place.

Ja paie 17€/mois pour Spotify je paie Netflix Amazon pourquoi me faire payer une taxe alors qu’aucune copie n’est réalisée par mes soins. Il serait temps que les politiciens coupent les vivre à ces mafieux. Quand je veux posséder une oeuvre je l’achète vynil Cd photos...

avatar nemrix | 

La prochaine étape c’est d’aller taper à la porte du Bon Coin pour réclamer la redevance sur tous les appareils revendus via le site???
Copie France : « 🤔 aller on la tente aussi celle là 🤑»

avatar Glop0606 | 

Et bien personnellement si j’étais un politique, je proposerai une réforme complète du droit pour les ayants droits. Bien que chacun comprenne l’utilité du droit à la propriété intellectuelle, cette façon de chercher des deniers partout allant juste qu’au grotesque doit cesser. Pensez déjà à une meilleure rétribution entre les artistes et les producteurs.

avatar byte_order | 

@raoolito
N'attendez pas une réaction dans l'autre article sur le sujet de ma part, cet article étant Club-only.

avatar Mac13 | 

Je ferais plus simple : supprimer la taxe copie privée et les répercuter sur les dividendes des actionnaires des maisons de musiques. Pardi !

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