Quand Apple s'immisce dans le débat présidentiel américain

Anthony Nelzin-Santos |

« L'iPad, les Mac, les iPhone, tous ces produits sont fabriqués en Chine. Une des raisons majeures est que le travail y est moins cher. Comment convaincrez-vous une grande société américaine de relocaliser sa production ? »

Apple a fait irruption à la toute fin du débat présidentiel américain par le biais d'une question de la modératrice Candy Crowley qui fait de la firme de Cupertino l'archétype de la société américaine ayant délocalisé en Chine. L'occasion de constater de réelles divergences sur la question chinoise entre les deux candidats.

Mitt Romney, candidat du Parti républicain, a répondu le premier, déclinant à nouveau sa rhétorique très ferme et très peu diplomate envers la Chine :

La réponse est très simple. Nous pouvons concurrencer n'importe qui dans le monde à condition que tout le monde joue avec les mêmes règles. La Chine triche depuis des années. Premièrement en maintenant un cours de sa monnaie artificiellement bas. Deuxièmement en volant notre propriété intellectuelle, notre design, nos brevets, notre technologie — il y a même un Apple Store en Chine qui est un Apple Store contrefait, vendant des produits contrefaits. Ils piratent nos ordinateurs. Il faut que tout le monde joue avec les mêmes règles. C'est le premier point.

Deuxième point. Il faut que les États-Unis deviennent le lieu le plus attractif pour les entrepreneurs, pour ceux qui veulent faire croître leur activité. C'est ce qui fera créer des emplois. La description de mon plan fiscal par le président Obama est tout à fait fausse. Laissez-moi vous dire… [Fin du temps de parole.]

En parlant d'« Apple Store contrefait », Romney évoque la boutique de Kunming, qui ne vend pas « des produits contrefaits », mais des produits Apple bel et bien authentiques — seule l'apparence des boutiques officielles était plagiée. Jessica Angelson, la blogueuse new-yorkaise qui avait découvert cette boutique n'a pas manqué de souligner l'approximation du candidat :

[Romney] utilise [cette anecdote] comme un raccourci pour polémiquer sur les conditions de travail en Chine et [pour rappeler] qu'il sera "ferme sur la question de la Chine". C'est un raccourci plutôt vide de sens. Je ne suis pas sûre qu'il sait à quoi il fait référence.

Le président Obama, qui se bat pour sa réélection, a répondu sur un tout autre terrain, celui des structures éducatives et économiques aux États-Unis :

Candy, il y a certains emplois qui ne reviendront pas. Parce que ce sont des emplois à bas salaires et peu qualifiés. Je veux des emplois à haut salaire et qualifiés. Voilà pourquoi nous devons mettre l'accent sur l'industrie. Voilà pourquoi nous devons investir dans l'industrie de pointe. Voilà pourquoi nous devons faire en sorte d'avoir la meilleure recherche scientifique du monde. Et lorsque l'on parle de dette, si l'on ajoute à la dette des exemptions d'impôts pour des gens qui n'en ont pas besoin, et que nous diminuons les investissements dans la recherche qui va créer la prochaine Apple, créer la prochaine innovation qui fera vendre des produits à travers le monde, alors nous perdrons cette course.

Si nous ne formons pas des ingénieurs […] alors les entreprises ne s'installeront pas ici. Ces investissements sont ce qui va aider à faire en sorte que nous continuions à mener l'économie mondiale, non seulement l'an prochain, mais dans dix ans, dans 50 ans, dans 100 ans.

Bataille extérieure contre bataille intérieure, la ligne de partage est claire. Avec son « certains emplois ne reviendront pas », Barack Obama sait qu'il ne fait rien d'autre que de citer Steve Jobs lui-même, qui lui a répété à de multiples reprises de ne pas perdre de temps avec les emplois dans le conditionnement pour se concentrer sur des secteurs plus stratégiques et plus rentables.

Apple pratique ce que Jobs théorisait et Tim Cook répétait : certaines des pièces les plus cruciales et les plus complexes de ses produits sont conçues et fabriquées aux États-Unis — c'est le cas des processeurs Apple AX ou du verre alumino-silicaté des appareils iOS. Si l'assemblage final est lui réalisé en Chine, ce n'est pas uniquement pour des raisons de coût, les plus hauts salaires chinois commençant à rattraper les plus bas salaires américains et Apple investissant massivement en machines-outils sur place.

C'est aussi pour des questions structurelles et pratiques lourdes. Foxconn sert essentiellement à sous-traiter l'embauche et la gestion de centaines de milliers d'employés, une échelle nécessaire pour Apple et impossible à atteindre aux États-Unis. Shenzhen s'est construite comme un véritable atelier à échelle mondiale, à la fin de la chaîne d'approvisionnement et au début de la chaîne logistique grâce à son immense port.

Ce que la « fermeté » envers la Chine ne changera pas de sitôt.

[Source de la transcription : The Washington Post]

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