« Welcome to New York » bouscule la chronologie des médias

Nicolas Furno |

À moins d’un mois de l’ouverture, la sélection du Festival de Cannes a été publiée hier dans la journée. Plusieurs films attendus étaient présents dans cette sélection, mais pas Welcome to New York, le dernier long-métrage d’Abel Ferrara qui faisait pourtant partie des favoris. Un choix surprenant, mais qui a une explication assez simple : le film inspiré par l’affaire DSK ne sortira pas au cinéma, ce qui l’interdit a priori de sélection cannoise.

Première image du film — © Wild Bunch Distribution

Dans une interview donnée au journal Le Monde, les deux coproducteurs du film — Vincent Maraval et Brahim Chioua — expliquent leur choix. Plutôt que de passer par le système traditionnel avec une sortie en salles, suivie six mois après par une sortie à la vente, douze mois après par une diffusion à la télévision et plusieurs mois encore après une sortie sur les plateformes de streaming, ils ont choisi de passer directement par internet. Les raisons sont à la fois pratiques et politiques.

Le sujet de Welcome to New York appelle à la polémique et les producteurs estiment, sans doute à raison d’ailleurs, qu’un grand nombre de spectateurs voudra le voir par curiosité. Si le film sortait en salles quelque temps après Cannes, comme c’est souvent le cas, le piratage serait sûrement très important. Les deux producteurs précisent par ailleurs qu’ils pensent toucher beaucoup plus de monde en passant par internet. Dans les salles, le long-métrage serait diffusé sur 200 à 250 salles "seulement", alors qu’il y a 20 millions de clients potentiels chaque jour sur internet.

Au-delà de ces raisons pratiques, Vincent Maraval entend faire de ce film le porte-étendard de sa lutte contre le financement du cinéma en France. En décembre 2012, il avait suscité une polémique en critiquant les salaires des acteurs français et plus largement ce système où les productions ne sont pas financées grâce aux entrées dans les salles, mais par les apports des chaînes de télévision et de l’État. En conséquence, Welcome to New York n’a pas été financé du tout en France, mais exclusivement aux États-Unis. Sans cela, le film aurait été contraint de sortir en salles, même si ce n’était que dans une salle pour une séance par jour (on parle alors de sortie technique).

Tournage du film à New York : Gérard Depardieu interprète Dominique Strauss-Khan, Jacqueline Bisset joue le rôle d’Anne Sinclair.

Le financement est un point, mais la motivation essentielle pour court-circuiter les salles de cinéma est la fameuse "chronologie des médias" française. La sortie d’un film est très encadrée et il faut respecter un grand nombre de règles, tant sur le plan du calendrier que sur des aspects techniques. Ainsi, on ne peut pas faire de publicité à la télévision pour une œuvre qui vient de sortir au cinéma, ce qui explique que l’on n’en voit que pour les sorties à la vente, six mois après.

Welcome to New York devrait bénéficier d’une large campagne publicitaire, mais le vrai problème au fond, c’est que le film ne peut pas sortir au cinéma et sur internet en même temps. Il a fallu choisir et les producteurs ont choisi la VOD : pour 7 € environ, on devrait pouvoir le regarder via l’iTunes Store, mais aussi sur les plateformes de Free, d’Orange et d’autres encore. Ajoutons que le film d’Abel Ferrara devrait sortir pendant le Festival de Cannes, dans un petit mois donc.

Il sera intéressant de suivre cette sortie pas comme les autres, notamment pour savoir si on peut rentabiliser une production cinématographique sans respecter la méthode traditionnelle. On note au passage qu’à un mois de la sortie, on ne sait rien, ou presque, sur le long-métrage : il n’y a qu’un synopsis, une affiche et une photo, mais pas de bande-annonce et très peu d’informations. Une stratégie de discrétion qui pourrait faire son effet sur internet.

Abel Ferrara

Au-delà de l’aspect financier, Welcome to New York devrait ajouter de l’eau au moulin de tous ceux qui veulent ajouter de la souplesse au cinéma français. Comme le rappelle Brahim Chioua en fin d’interview, l’idée n’est pas que tous les films sortent dans les salles et sur internet en même temps, mais plutôt que ce soit possible. Rappelons que cette chronologie des médias contraignante est le principal blocage à l’arrivée d’une offre comme Netflix en France.

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