Fiscalité du livre numérique : une bonne réforme pour de mauvaises raisons

Anthony Nelzin-Santos |

L’amendement no II-22 au projet de loi de finances 2014 sur la fiscalité des livres numériques a été adopté par l'Assemblée nationale, contre l’avis du gouvernement et de la commission parlementaire. Déposé par le groupe EELV, retiré avant le début des débats, puis réintroduit à l’identique, il vise à réserver la TVA à taux réduit aux seuls livres numériques « ouverts ». Salué à juste titre par les promoteurs de l’édition ouverte, cet amendement procède toutefois d’une logique fallacieuse.


« Nous proposons […] que seuls les livres électroniques vendus en format électronique ouvert puissent bénéficier de la TVA à taux réduit », expliquent les auteurs de cet amendement. Par « ouvert », il faut entendre « tout format de données interopérable et dont les spécifications techniques sont publiques et sans restriction d’accès ni de mise en œuvre », selon la définition donnée par l'article 4 de la LCEN. À première vue donc, cet amendement combat les formats propriétaires et les « mesures de protection qui finissent toutes par être contournées ».

Il est en fait motivé par les conditions de vente des livres numériques, un amalgame fâcheux : « les systèmes à base de licence de lecture qui enferment le client avec un logiciel spécifique [ne] bénéficieront plus [de la TVA à taux réduit]. » Certes, parler de « vente » de livres numériques chez Apple ou Amazon est tout aussi trompeur que de parler d’« offres illimitées » dans le monde du mobile. Si vous n’avez pas téléchargé votre « achat », il peut être modifié voire supprimé sans préavis et sans recours. Et même si vous l’avez téléchargé, il ne peut pas forcément être partagé librement ou être transféré sur un autre appareil que celui du distributeur, mais peut être effacé à distance.



Ici dans iTunes Producer, on peut parfaitement choisir de ne pas appliquer de protection numérique (option Sans GDN) — c'est le choix que nous avons fait pour l'ensemble de nos publications. Par ailleurs, l’iBookstore prend parfaitement en charge le format ouvert ePub.

Mais l’outil de contrôle des conditions d’utilisation des livres numériques, ce sont le format et les mesures de protection propriétaires. Or dans ce domaine, le distributeur propose et l’éditeur dispose : c’est l’éditeur qui fait le choix du format qu’il emploie (format ouvert comme l’ePub ou fermé comme l’iBooks Author), comme il fait le choix d’appliquer ou non des mesures de protection. Tant mieux, puisque les éditeurs « appellent à un plus grand respect des droits des lecteurs […] en essayant de promouvoir l’interopérabilité des livres en format électronique », comme l’assure le groupe EELV. Pourquoi alors tant de livres numériques sont criblés de DRM, alors même que ni Apple ni Amazon ne les imposent ?

Publie.net, Bragelonne, Walrus, O'Reilly ou Le Bélial' font encore aujourd’hui figure d’exception, alors que la plupart des grandes maisons d’édition usent et abusent des DRM. Cet amendement leur délivre non seulement un blanc-seing, mais aussi un brevet de probité — il est peut-être plus facile d’attaquer des distributeurs américains que des éditeurs qui sont aussi des électeurs. Reste qu’en se trompant de cible, ce salmigondis n’assure pas la pérennité de l’idée de l’ouverture, et ne fait donc que très marginalement progresser un débat qui s’applique aussi à la musique, aux films et aux autres supports.

S’il survit à son passage au Sénat puis par la navette parlementaire, cet amendement aura au moins la vertu de résoudre une partie du problème, en incitant les éditeurs à abandonner les DRM pour gagner quelques centimes de plus sur chaque vente. Mais pas avant le 1er janvier 2015, moment où la TVA ne devrait plus être payée dans le pays de domiciliation du distributeur, mais dans celui du client.

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