Test du Kindle Fire

Anthony Nelzin-Santos |

Kindle couleur ou iPad-killer ? Dur de ne pas caricaturer le Kindle Fire et de passer à côté de ses forces et faiblesses intrinsèques. La petite tablette d'Amazon doit pourtant vivre dans l'ombre de ces deux appareils à mi-chemin desquels elle ouvre un nouveau marché. Un véritable pari pour Amazon : coup de poker ou ratage en règle ? La réponse dans notre test.

Le Kindle Fire n'est officiellement commercialisé qu'aux États-Unis, même si on peut facilement se le procurer ailleurs. Plusieurs de ces fonctions ne fonctionnent pas à l'international : streaming vidéo Amazon Prime, AppStore, etc. Nous avons décidé de juger cette tablette telle qu'elle est vendue aux États-Unis et telle qu'elle sera vendue ailleurs lorsque ce sera le cas, en utilisant un VPN pour accéder aux fonctions bridées.

Un appareil sans identité
Une chose est sûre : on ne va pas disserter longtemps sur le design du Kindle Fire — il est inexistant. Le Fire ne ressemble pas vraiment aux autres tablettes, mais plutôt au prototype de l'idée que l'on se fait de la tablette la plus générique qu'il soit. Des arêtes tranchées, des coins arrondis, plastique au revers, écran à l'avers, le Kindle Fire n'a pas d'identité propre. Pas d'identité propre, ou peut-être celle d'une autre tablette, la PlayBook de RIM.

Amazon aurait utilisé son design de référence comme base de travail, Quanta fabriquant les deux appareils. Mais là où RIM a fait certains choix (disposition des haut-parleurs, des boutons, des logos, des capteurs photo/vidéo) suggérant clairement une utilisation (en mode paysage d'abord), Amazon a évité toute forme d'aspérités. Les différences peuvent sembler minimes, mais alors que la PlayBook dégageait une certaine classe par sa sobriété relevée de petits accents, le Kindle Fire ne provoque rien, pas même le dégoût.

Il faut néanmoins reconnaître que le Kindle Fire est un appareil agréable à tenir en mains — ou plutôt à une main, comme la plupart des tablettes 7". Son profil très anguleux n'est pas le plus confortable, mais le dos, revêtu d'un matériau mat siliconé, assure une bonne préhension. Les dimensions (19 x 12 x 1,1 cm) permettent l'utilisation, en théorie, d'une bonne partie de l'écran à un seul pouce, ou du clavier virtuel à deux pouces. À 413 grammes, le Fire n'est pas lourd, mais sa petite taille en fait un objet dense, dont le poids se remarque.

Une partie de ce poids est dû à la batterie, annoncée pour 8 heures d'utilisation par Amazon. Il nous a fallu un peu plus de 8h30 pour la vider avec la lecture d'une vidéo. En usage normal (navigation sur Internet, lecture, utilisation de quelques apps), l'autonomie ne sera pas un problème : vous pouvez oublier votre chargeur (fourni par Amazon) ou votre câble USB à la maison et ne pas vous soucier de la batterie du week-end.

Une tablette moderne…
Sur le papier, le Kindle Fire est une tablette moderne : processeur Texas Instruments OMAP double-cœur 1 GHz, 512 Mo de RAM, 8 Go de stockage, WiFi 802.11n. Amazon a fait le choix de ne pas doter le Fire de capteurs photo/vidéo, de la 3G, d'un GPS ou même d'une puce Bluetooth : il s'agit avant tout d'un Kindle multimédia jouant dans la catégorie du Kobo Vox ou du B&N Nook Color, un choix assumé qui se comprend.

Amazon a fait le choix d'une version personnalisée d'Android comme logiciel système : en creusant un peu, on reconnaît certes bien l'OS de Google, mais l'utilisateur passe le plus clair de son temps dans une sorte d'énorme app présentant les différents contenus du Fire. Le premier écran est ainsi un carrousel présentant tous les contenus utilisés, du plus récent au plus ancien, sans discrimination de type. Dessous, on peut épingler des favoris.


L'écran du Kindle Fire réussit l'exploit d'être plus brillant que celui de l'iPad.

Ce mode de navigation, éloigné de la traditionnelle grille, est déroutant au premier abord, mais se révèle assez rapidement utile, puisqu'il met sous la main les contenus que l'on est le plus susceptible de vouloir utiliser. Si on le souhaite, on peut néanmoins retrouver une grille plus familière et une partition par type de contenus : l'écran d'accueil liste les différentes catégories (kiosque, livres, musique, vidéos, documents, apps, web).

Amazon doit néanmoins avoir oublié quelque chose entre le matériel et le logiciel. Ce n'est pas que l'interface soit particulièrement lente (elle au contraire plutôt fluide) ou que le lancement des fonctions prenne du temps (lancer Pulse ou ouvrir un livre met plus de temps que sur l'iPad 2, mais moins que sur l'iPad). Ce n'est pas non plus que la version d'Android utilisée soit mauvaise : il s'agit d'Android 2.3 Gingerbread, qui avait mis un sacré coup d'accélérateur à l'OS de Google. Non, Amazon a simplement oublié…

…tout sens pratique.

…plombée par des décisions étranges
La firme de Jeff Bezos a en effet décidé de supprimer tout bouton physique du Kindle Fire, à une exception, celui de mise en veille. Comble du ridicule, ce seul bouton réussit le tour de force à poser problème — situé sur la tranche inférieure de la tablette, il s'active trop facilement lorsqu'on lit à une table ou un bureau. RIM n'était pas allé aussi loin, mais avait décidé de se passer d'un bouton d'accueil, en le remplaçant par un système de bordures tactiles ingénieusement emprunté à Palm.

Chez Amazon, rien de tout cela : toutes les manipulations doivent passer par l'écran, et le bouton d'accueil ou celui de retour sont des boutons virtuels. Ce ne serait pas un problème si ces boutons étaient persistants, comme dans Android 3 Honeycomb ou Android 4 ICS. Mais non, ces boutons jouent à cache-cache avec l'utilisateur, bien vite frustré. Vous êtes en train de lire un livre et voulez revenir au carrousel ? Tapez une fois au milieu de l'écran, en priant pour que vous ne soyez ni trop à gauche, ni trop à droite, et que votre doigt soit bien droit, pour ne pas tourner une page.

Le menu apparaît alors, avec le bouton d'accueil dans le coin inférieur gauche. Là encore, préparez une petite invocation avant d'appuyer dessus : il faut parfois s'y reprendre à trois ou quatre fois pour que finalement la tablette enregistre le mouvement et affiche, enfin, l'écran d'accueil. Vous lisez une vidéo, et le son est trop fort ? Ne cherchez pas les boutons de volume. Il faut appuyer sur l'écran, puis trouver la glissière de réglage du volume.

Les applications Android sont pour la plupart optimisées pour les smartphones : elles apparaissent donc agrandies sur le Fire — ce qui n'est pas toujours du plus bel effet — dans un cadre ajoutant les quatre boutons indispensables à l'OS de Google (accueil, retour, menu, recherche). Là encore, on peine à trouver l'ensemble au mieux pratique, ou au moins utilisable — c'est tout simplement mauvais.

Une impression en demi-teinte
Et c'est dommage ! L'écosystème d'Amazon est le seul à être la hauteur de celui d'Apple, et il peut s'exprimer à son plein potentiel sur l'écran couleur du Fire.

Les gros lecteurs se divisent en deux camps, ceux qui jurent par l'écran eInk et ceux qui s'accommodent du rétroéclairage à LED. L'écran du Fire est plutôt bon, notamment si l'on considère le prix de la tablette, et offre un niveau de contraste plus qu'acceptable ainsi qu'une définition largement suffisante pour une lecture à bout de bras. Le contrôle logiciel de luminosité offre une progressivité suffisante pour que l'on puisse trouver un réglage adapté.

Les habitués de l'application Kindle sur iOS ou Android se retrouveront en terrain connu : l'interface de lecture est la même, et Whispersync fonctionne toujours aussi bien. Comme les autres Kindle, le Fire est associé à une adresse mail à laquelle on peut envoyer des documents, qui seront pushés à la tablette, et que l'on retrouvera dans l'onglet Documents — une fonction extrêmement utile et toujours aussi bien pensée. On notera un manque étrange dans l'interface de lecture : en mode paysage, il est impossible d'afficher deux pages plutôt que de longs rubans de texte.

Morceaux de musique et vidéos peuvent provenir de deux endroits : de votre ordinateur, ou des serveurs d'Amazon. Branchez votre Fire à votre ordinateur avec un câble micro-USB (non fourni), et vous aurez accès à sa mémoire de stockage, qui contient de simples dossiers, ici pour les livres, là pour la musique, là pour la vidéo. Les onglets Musique et Vidéos permettent aussi d'accéder à votre historique d'achat chez Amazon, et aux boutiques associées.

Le plaisir de lecture est entaché par l'interface du Fire, qui ne facilite pas les manipulations : il n'y a pas de contrôles de lecture sur l'écran de veille pour la musique et la navigation dans les listes n'est pas toujours aisée. De même, le placement des hauts parleurs côte à côte sur une tranche est moins convaincant que le placement d'un bout à l'autre de la tablette comme c'est le cas sur la PlayBook. Mais l'écran est bon, et l'intégration du service de streaming Amazon Prime (un mois offert à l'achat du Kindle) est sans faille.

La sélection d'applications est de qualité variable : la plupart ne sont pas adaptées au Fire, et les boutons virtuels ne les aident pas franchement. Amazon a le bon goût de fournir un client mail, mais celui-ci ne prend en compte ni les serveurs Exchange, ni la configuration automatique des comptes Google Apps. Souvenez-vous enfin qu'aucun service de Google n'est embarqué par défaut. Bref, on retrouve ici les inconvénients d'Android, sans tous les avantages de sa logithèque.

Enfin, le navigateur Web est lui aussi mi-figue mi-raisin : il est par exemple impossible, pour le moment, de ressentir les effets de Silk, ce système censé accélérer le chargement des pages Web (pour comprendre son fonctionnement, lire : Silk, le navigateur dans le nuage d'Amazon). Il n'est pas au niveau de Safari sur iPad ou de la moindre tablette sous Honeycomb : zoom et défilement sont souvent lents.

En conclusion
Dommage, c'est le mot qui domine l'utilisation du Kindle Fire, qui ressemble à une occasion manquée. Amazon a tout pour faire du Fire une bonne petite tablette pas chère ou une excellente liseuse à fonctions multimédia, au matériel convaincant, à l'écosystème étendu, et au logiciel prometteur.

Las, en l'état, le produit semble avoir été achevé à la hâte pour ne pas manquer Noël. Même en faisant attention à ne pas considérer le Kindle Fire comme un concurrent de l'iPad, ce qu'il n'a pas prétention à être, on ne peut s'empêcher d'être déçu. Le choix presque extrémiste d'Amazon d'avoir retiré tout bouton physique n'est pas secondé par une implémentation solide des boutons virtuels, une décision lourde de conséquences : les contenus fournis par Amazon sont nombreux, mais leur accès et leur manipulation ne sont pas faciles. Et le logiciel est parsemé de bogues plus ou moins flagrants.

Ce n'est pas un problème de prix : Amazon a fait ce qu'elle pouvait faire de mieux à 200 $. Le problème n'est pas un problème d'économie de moyens sur le matériel, comme c'est trop souvent le cas. C'est un problème de choix lourds et de finition du logiciel, qui n'ont aucun impact sur la facture finale.

Oui, Amazon est à deux doigts d'un excellent produit, qui pourrait dominer la zone des tablettes à 200 € comme Apple domine celle des tablettes à 500 €. On sent tout le potentiel de cette plateforme, qui sera sans doute réalisé avec la prochaine version, les deux sociétés ayant la même politique d'itérations progressive. Mais il faut juger ce Kindle Fire tel qu'il existe actuellement, et actuellement, ce n'est ni une excellente liseuse face aux Kindle à écran eInk, ni une excellente tablette pour consommer des médias, quel que soit son prix. Qu'Amazon règle les problèmes de navigation et les bogues de l'OS, et la conclusion sera toute autre.

Note

Les plus :

  • Facile à tenir à une main
  • Ecosystème Amazon

Les moins :

  • Absence de boutons contre-productive
  • Bogues logiciels
5.5
10

Prix :
199 $

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