Test du Droid de Motorola

jcvignes |

Si le Nexus One de Google a bien occupé l'actualité, il n’est pas encore disponible en France. Mais dans la dernière génération de smartphones Android il faut également compter avec le Droid de Motorola, rebaptisé "Milestone" dans sa version Européenne. Nous l'avons substitué à deux smartphones que nous utilisons ensemble au quotidien, un iPhone 3GS et le Nokia E71, puisque le Milestone se targue d’allier la richesse du produit Apple avec les capacités professionnelles d’un BlackBerry. Comme l’expérience, le verdict est en demi-teinte…

La renaissance de Motorola ?
L'histoire de Motorola est intimement liée à celle du portable : co-inventeur de la norme, les tous premiers terminaux GSM étaient souvent de sa marque. L'entreprise s'associa un temps avec Apple (en plus de l'aventure PowerPC) pour réaliser le ROKR, premier mobile équipé d'iTunes. Un essai raté tant le téléphone était insipide. Depuis 2003 en revanche le constructeur américain perdait inexorablement des parts de marché, jusqu’à ce qu'il intègre l’Open Handset Alliance de Google lui permettant d'utiliser Android (voir l'article Droid : comment Motorola revint sur le devant de la scène). Après l’essai du "Cliq" qui innovait déjà en proposant une intégration poussée avec Facebook mais dans un design assez standard, le Milestone – que nous appellerons Droid dans le reste de cet article puisque c’est ainsi qu’il est connu sur le Web – est la vision très aboutie de l’alliance d’un constructeur de matériel respecté avec un système d’exploitation parvenu à une certaine maturité depuis sa version 2.0.

Multi-tâche mais gourmand
Android est plein de promesses : open source, il est beaucoup plus ouvert que l’iPhone et dispose aussi de son App Store, baptisé Android Market, où des développeurs proposent leurs réalisations. Mais elles sont encore en nombre moins élevé que dans la boutique d'Apple. Filiation avec Google oblige, le navigateur Web excelle à l'affichage des sites les plus divers, de même que les vidéos YouTube, pour ne citer que ce type de contenu. Par ailleurs, contrairement à l’iPhone où le multi-tâche existe mais sous une forme extrêmement encadrée, le Droid en bénéficie pleinement, autorisant l'ouverture de plusieurs d’applications à la fois.

Pour être francs, nous n’avons jamais été convaincus que cette fonction manquait véritablement à l’iPhone et, à l’usage, son principal défaut apparaît assez vite sur le Droid : l’autonomie ! Pas de miracle : laisser des applications fonctionner en tâche de fond signifie que chacune utilise constamment le processeur, la RAM, etc. Le processeur - un ARM Cortex A8 allant de 550 à 600 MHz - a beau assurer la cadence, l’impact sur la batterie est profond. Impossible pour nous de tenir la journée en laissant Facebook, Twitter et Exchange tourner en permanence.

Cependant, s’il est vrai qu'aller d’une application à l’autre sans passer par la case « départ » (comme sur l’iPhone) est assez pratique, devoir appuyer longtemps sur le bouton tactile "home" pour choisir parmi les applications ouvertes (un peu comme avec le Cmd-Tab du Finder) n’est pas beaucoup plus simple… Ensuite les widgets – ces petites applications dynamiques qui donnent la météo, les nouvelles, votre statut Facebook directement sur l’écran d’accueil – sont très pratiques aussi et se font attendre sur l’iPhone, mais elle rongent également la batterie. Dans ces conditions, à nos yeux, le multi-tâche tel qu'il se présente ici n'offre pas un avantage déterminant.

Liberté de téléchargements
Plus pertinent est le support du téléchargement d’applications directement depuis le Web sans passer par l'Android Market ni besoin de procédure de type "jailbreak". Ce dernier point n’est pas anodin : alors que le processus d’approbation d’Apple sur l’App Store a ses détracteurs, l’utilisateur d’un téléphone Android peut installer n’importe quoi sans passer sous les fourches caudines de Google. Par exemple, un client de VoIP qui fonctionne directement en 3G alors que les opérateurs préfèrent vous limiter au Wi-Fi. C’est un avantage mais qui a son revers…

La méthode d’Apple peut sembler d’un autre âge : l’utilisateur installe ce qu’il veut sur son Mac, alors pourquoi pas sur son téléphone ? Pourtant, ce parti-pris permet à l’iPhone de fonctionner à peu près normalement tout le temps, quelle que soit l’application installée : il force ainsi le développeur à respecter des codes d’interface précis pour que l’utilisateur sache toujours où se trouve ce qu’il cherche et - en règle générale - minimise les risques de plantages. En quinze jours avec le Droid, nous avons vu apparaître bien trop souvent une variation de l'alerte "l’application a quitté inopinément"… Tandis que pour composer un numéro de téléphone avec l’application VoIP que nous avions téléchargée il nous a fallu naviguer dans quatre sous-menus, pour finir dans celui-ci de la fonction "envoyer un SMS" ! Android est un OS extrêmement puissant mais l’utilisateur moyen risque de trouver ce genre de gymnastique un peu complexe au quotidien.

Un OS perfectible
Même si le Droid utilise la version 2.0 du système d’exploitation de Google – la version 2.1 qui équipe le Nexus One est dans les tuyaux pour une distribution gratuite, sans fil – on est encore très loin du sentiment de solidité qui se dégage d'iPhone OS. Ainsi, le support de la messagerie Exchange est intégré mais – contrairement à celui de l’iPhone – il ne prend pas en compte les politiques de sécurité des entreprises : un comble pour un téléphone dont le prix le destine aux professionnels ! Un logiciel tiers permet heureusement de combler ce manque, mais comme il faut en prendre l’habitude avec Android, l’intégration à l’interface globale du téléphone est loin d’être parfaite. On se consolera en utilisant Gmail, évidemment parfaitement géré comme l’ensemble des Google Apps. À tel point que le premier compte Gmail que vous allez configurer ne pourra plus être supprimé du téléphone.

Par ailleurs, si l’écran tactile supporte le multi-touch, le nombre des applications pouvant en tirer partie est limité. Le navigateur par exemple peine encore à zoomer ou à réduire correctement une page au format de ce bel écran d’une résolution de 480x854 (480x320 sur l'iPhone) : il faut souvent naviguer dans la page pour lire la fin d’un mot ou le début d’une phrase, chose assez pénible. Encore sommes-nous chanceux puisque le "vrai" Droid vendu aux Etats-unis chez Verizon ne propose aucune prise en charge de la technologie multipoints, contrairement à son frère en Europe.

Plus généralement, si le navigateur est très bon – après tout il partage la même filiation WebKit que Safari Mobile – nous avons constaté que les pages étaient un peu moins lisibles malgré un écran de meilleure définition. La faute à la police standard choisie, mais aussi au fait que la plupart des sites sont optimisés pour le navigateur de l’iPhone et pas celui d’Android.


Droid

Le Droid se rattrape en faisant tomber les pages plus rapidement et surtout progressivement, ce qui permet d’avoir une idée de son contenu avant qu’elle ne s’affiche entièrement, contrairement à la philosophie « tout ou rien » de l’iPhone. À titre d’exemple (et même si ces tests restent empiriques) connecté en Wi-Fi sur une Time Capsule, le Droid a mis 27,7 secondes à charger la page de MacGeneration.com (dans sa version standard) alors que notre 3GS a mis 35,1 s.

Ce rapide tour d’horizon du système d’exploitation est important : c’est (An)Droid qui donne sa force au téléphone de Motorola. Cependant, il ne faut surtout pas négliger le matériel qui fait certainement de ce modèle l'un des meilleurs téléphones fonctionnant avec cet OS pour qui préfère la présence d'un vrai clavier (dont le Nexus One est dépourvu).

L'avantage discutable du clavier
Même si le tactile est de plus en plus à mode, nombre d’utilisateurs - professionnels, mais pas seulement - restent attachés à un clavier pour taper de longs mails. L’opérateur américain Verizon ne s’y est pas trompé avec sa campagne "Droid Does" (le Droid, lui, le fait) qui met en avant le "vrai" clavier du produit de Motorola face au tout virtuel de l’iPhone. Ne jurant que par ce mode de saisie – seul à même de nous permettre de gérer nos plus de 100 mails quotidiens – nous étions forcés depuis des années d’utiliser un Treo, ou plus récemment un Nokia E71. Ce dernier pour la messagerie, et l'iPhone pour tout le reste (en particulier pour son navigateur et évidemment pour la richesse de l'App Store). Avec ce clavier, donc, le Droid était censé compenser un des manques majeurs que nous trouvions à l’iPhone, sans pour autant sacrifier tout le reste.

Disons le d’emblée, la déception fût grande. Le premier problème rencontré est sans doute une affaire de goût : nous sommes habitués aux téléphones "verticaux" avec des claviers étroits – à la manière des BlackBerry. La taille du Droid, qui rend son écran si agréable à utiliser à l’horizontale pour regarder des vidéos, donne au clavier qui est glissé en dessous une largeur qui rend la frappe de longs mails douloureuse et imprécise. Sur ce dernier point, les touches elles-mêmes sont en cause : parfaitement plates, elles empêchent de se repérer précisément lors de la frappe. Surtout, elles sont très étroites – paradoxal compte tenu de la largeur du téléphone – et la barre d’espace est ridiculement petite alors même que deux fausses touches ornent le clavier aux deux extrémités de la même rangée : pourquoi ne pas les avoir supprimées et permettre de séparer les mots d’une phrase sans avoir à "viser" à chaque fois ?

Nous admettons ce que ce constat a de subjectif : de nombreux utilisateurs aiment les téléphones "sliders" qui permettent de profiter d’une taille d’écran incomparable sans se priver de la présence d'un clavier physique. Par ailleurs la taille des mains ou la fréquence d'utilisation sont des variables qui comptent aussi. Cependant après quelques jours nous nous sommes surpris à utiliser le clavier virtuel de plus en plus souvent, alors qu'il est en retrait sur celui de l'iPhone. Dans ces conditions, le Droid perd son principal avantage à nos yeux.

Un brouillon du futur iPhone ?
On l’oublierait presque mais le Droid est aussi un excellent téléphone. La qualité audio est très bonne lors d’un appel même en cas de faible réception. C’est d’ailleurs un point sur lequel le Droid surpasse l’iPhone : il nous a semblé bien mieux à même de trouver un réseau (la moindre des choses pour un GSM !). On lui reprochera seulement son application dédiée, "Appel" un peu moins ergonomique que celle de l’iPhone. Ainsi, une fonction aussi basique que le rappel du dernier numéro demande trois taps.

Ces semaines passées avec un Droid montrent qu’une comparaison point par point avec l’iPhone a peu de sens : ils sont extrêmement différents dans la forme et sur le fond. Cependant Motorola a su profiter du peu de changements apportés par Apple sur l'aspect matériel de l’iPhone au fil de ses versions successives pour tirer son épingle du jeu. L’appareil photo de 5 mpx offre une définition de 1936x2592 avec parfois des résultats étonnants. Il embarque également un flash que l’iPhone n’a toujours pas.

Le haut-parleur a un son plutôt agréable, meilleur même que celui de l’iPhone pour écouter de la musique sans casque. L’écran est plus lumineux, même parfois plus net, parfait pour des vidéos. La batterie est amovible, ce qui devrait plaire à beaucoup, et permet une utilisation complète pour une journée, ce que l’iPhone peine toujours à faire.

Dans le même esprit d’ouverture, le Droid accepte des cartes mémoires (mini SD-Card) pour augmenter sa capacité de stockage, ce que l’iPhone ne fera certainement jamais. La capacité de base est de (seulement) 8 Go on peut aller jusqu'à 32 Go. En contrepartie, il faut monter la SD-Card "à la main" sur le bureau de l'ordinateur pour stocker musique et vidéos puisque iTunes ne reconnaît pas le Droid et que ni Google ni Motorola ne fournissent de logiciel dédié. Ce point résume d’ailleurs assez bien la philosophie du Droid et de l’OS de Google : offrir un téléphone très puissant en laissant une grande liberté à l’utilisateur… y compris celle de se débrouiller tout seul !

En conclusion
A certains égards, le débat iPhone / Droid rappellera aux anciens la vieille guerre Mac / PC. Paradoxalement, le produit Apple est aujourd’hui le leader et c’est son concurrent qui fait figure d’alternative, mais les fondamentaux sont les mêmes : une interface verrouillée mais plus « jolie » et aboutie contre un produit sans doute beaucoup plus évolutif mais pas encore affranchi d'une certaine instabilité et jeunesse.

Comme jadis, le choix dépend donc largement de votre position face aux deux approches : si la main mise d’Apple ne vous pose pas de problème, vous aurez avec l'iPhone un produit performant, sans véritables problèmes et parfaitement compatible Mac et PC. Pour qui souhaite s’aventurer hors des sentiers battus et faire un pari sur l’avenir – les mises à jour d’Android se suivent à un rythme soutenu – le Droid est une alternative sérieuse avec des performances très convenables. Les défauts que nous avons pointés peuvent être contournés, on peut y aller doucement sur le multi-tâche et trouver le clavier à son goût. Tout cela en attendant de voir la réponse d'Apple, probablement cet été.

Note

Les plus :

Une vraie alternative à l’iPhone L’ouverture générale d’Android La présence d'un clavier physique La qualité audio en téléphonie et en réception

Les moins :

Des instabilités dans l'OS Le clavier inconfortable sur de longues périodes Difficile à trouver en boutique
7
10

Prix :
592 €

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