Nest : la température monte autour de Tony Fadell

Florian Innocente |

C’est la soupe à la grimace depuis plusieurs semaines pour Nest et en particulier son cofondateur Tony Fadell. Une série d’articles remplis de témoignages dépeignent une entreprise qui serait sous la coupe d’un patron tyrannique provoquant frustrations, exode de salariés et pour couronner le tout, des résultats financiers en deçà des prévisions.

La dernière salve est venue de Recode qui a recueilli les confidences de trois sources au fait des finances de la filiale de Google/Alphabet. En résumé, Nest aurait bien du mal à justifier auprès de Google les 3,2 milliards de dollars qu'il a dépensé il y a deux ans pour se saisir de cette startup.

Tony Fadell — crédit : Wikipedia

En 2015, l’entreprise qui fabrique des thermostats, des détecteurs de fumée et plus récemment une caméra connectée, aurait réalisé sur son exercice 2015 des ventes de l’ordre de 340 millions de dollars.

Le chiffre n’est pas insignifiant mais Google et Nest, durant les négociations fin 2013, s’étaient accordés sur un objectif annuel de 300 millions. Ce n’est que maintenant qu’il a été dépassé, mais de peu. Surtout, il a fallu le renfort de la nouvelle caméra Nest Cam. Et celle-ci est le fruit de l’achat de Dropcam en juin 2014, pour la coquette somme de 555 millions de dollars. Nest, pour sa part, n’a pas lancé de nouveaux produits, uniquement mis à jour ses deux déjà existants.

Fadell, lors de la vente de sa société, avait obtenu que Google lui accorde un budget confortable sur trois ans, il serait de 500 millions de dollars annuels. En échange, Google s’assurait par contrat que les principaux cadres de la société resteraient à leur poste pendant une durée négociée.

Ce budget arriverait à expiration à la fin de cette année, avant une éventuelle reconduction par Alphabet. C’est également cette année que ces employés pourraient enfin transformer leurs actions en argent sonnant et trébuchant et peut-être quitter l’entreprise.

Tony Fadell a lui-même dit qu’une nouvelle discipline financière « s’était abattue » sur Nest depuis la restructuration de Google dans sa nouvelle entité. La direction d’Alphabet veut des résultats et que les objectifs décidés pour l’année soient tenus. Outre le volet comptable de Nest, c’est la personnalité abrasive de Fadell — co-créateur de l’iPod — qui fait l’objet depuis quelques temps de critiques impitoyables.

Son plus féroce détracteur du moment est Greg Duffy, qui se mord les doigts d’avoir vendu Dropcam à Nest. Il en a claqué la porte huit mois après la vente, mécontent du rôle dans lequel il était confiné et de la manière dont évoluait son produit que Nest s’apprêtait à relancer.

Greg Duffy et Aamir Virani, les fondateurs de Dropcam ont tous les deux quitté Nest

Duffy avait demandé à Fadell de pouvoir superviser cette caméra avec une certaine autonomie, et de lui en référer directement. Au lieu d’en passer par Matt Rogers, patron de l’ingénierie produits et autre fondateur de Nest. Refus de Fadell qui estimait que Duffy n'avait pas encore fait ses preuves. Lors d’une conversation entre les deux hommes, Duffy se souvient lui avoir dit : « En plus du reste, je pense que tu diriges cette société comme un bureaucrate tyrannique et que cela empêche toute chance de progrès ».

Dans un billet au vitriol sur Medium, Duffy s’agace d’un propos de Fadell tenu dans un long article de The Information. On y apprenait que sur les 1 000 employés de Nest, un peu plus de 50 anciens de Dropcam, soit 50 % de l’effectif, étaient partis.

Fadell déclarait à leur propos « Une grande partie des employés ne sont pas aussi bons que nous l’espérions, c’était une très petite équipe et, malheureusement, ce n’était pas une équipe très expérimentée ». Un porte-parole a corrigé le tir en faisant savoir que Tony Fadell n’avait pas ce sentiment à l’égard des anciens de Dropcam toujours en poste.

Duffy retrace la naissance de sa petite entreprise — 100 employés environ avant de passer sous le giron de Google — les étapes franchies et le bon accueil fait par les clients à sa caméra sur Amazon. Même sans cela, son acquisition pour un demi-milliard suffit à démontrer qu’elle devait avoir une certaine valeur technique et commerciale pour Nest. « Nous avons accompli tout cela tout en restant un super endroit où il faisait bon travailler », se félicite l’ancien patron.

Puis il suggère à Tony Fadell d’ouvrir ses livres de comptes pour voir quels produits, ceux conçus par Nest ou la Dropcam rebaptisée Nest Cam, ont ramené le plus d’argent :

Je n'ai pas le droit de publier les recettes de Dropcam, mais si vous connaissiez le pourcentage que représente l'apport de Dropcam et de sa minuscule équipe de 100 personnes moquées par Fadell, au sein de tous les « autres paris » (un terme utilisé par Fadell, ndlr) qui forment Alphabet, Nest ne serait pas vraiment à son avantage. Si Fadell ne se rétracte pas vis à vis de sa déclaration, je le mets au défi de publier les données financières (il est facile de prédire qu'il ne le fera pas). Les quelques 50 personnes de Dropcam qui ont démissionné l'ont fait parce qu'elle estimaient que leur capacité à concevoir de super produits était anéantie.

Duffy fustige une équipe dirigeante qui « semble fétichiser les traits les plus superflus et négatifs de son mentor ». Dans un tweet cette fois, sans nommer Fadell, il renvoyait au conte d’Andersen des Habits neufs de l’empereur en écrivant « Si vous voulez jouer à l’empereur, assurez-vous de porter de vrais vêtements ».

L’article de The Information est rempli d’anecdotes sur les tensions au sein de Nest. Les aléas dans le développement de nouveaux produits, la tension que fait peser Fadell sur ses équipes, les retards induits par ses demandes fréquentes de revoir telle ou telle partie d’un produit à venir.

Fadell ne conteste pas qu’il exige beaucoup de ses équipes, comme le faisait Jobs à qui il est parfois comparé, mais il assure qu’il sait également apprécier et reconnaître publiquement la valeur d’un travail bien fait. Il pointe aussi la vitesse à laquelle la société a grandi et l'effort d'adaptation et mise en place d'une organisation que cela a induit.

Il réfute aussi l’idée selon laquelle Nest marquerait le pas dans le lancement de produits — il avait parlé à Duffy d’une roadmap très riche — contrairement à son ancien employeur qui en lance de nouveaux tous les ans. Un thermostat n’est pas un iPhone : « C’est quelque chose que vous fixez au mur. Il va y rester là 10 ou 12 ans. Nous sommes tellement en avance sur la concurrence que nous n’avons pas besoin de cela. (d’en sortir un nouveau tous les six mois, ndlr). »

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Ses plus proches lieutenants ne sont pas épargnés. Comme Matt Rogers qui s’en alla d’Apple avec lui pour créer l’entreprise. Fadell lui demanda l’année dernière d’annuler le mois de congés suivant son mariage, pour être là en prévision de l’annonce d’une mise à jour des produits. Refus de l’intéressé. Fadell lui répondit qu’il pourrait bien se retrouver chômeur en revenant de sa lune de miel. Rogers refusa d’obtempérer et Fadell ne donna finalement pas suite à sa menace. Un épisode parmi d’autres, par ailleurs confirmé par Rogers.

L’article se conclut sur les propos de Rogers qui décrit sa relation avec Fadell comme celle d’un mariage « Dans toutes les relations à long terme, vous avez vos disputes. Surtout dans la conception de produits, lorsque les choses sont intrinsèquement subjectives, il y a une tension. Mais vous apprenez à les surmonter. »

[MàJ] : Shige Honjo et Scott Mullins vont quitter la société. Le premier, directeur de l'ingénierie matérielle, était venu d'Apple aider Fadell et Rogers à lancer Nest, il était leur première recrue. Le second, un senior engineering manager, s'en va travailler sur la future itération des Google Glass, un projet piloté également par Fadell.

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