Est-il trop tard pour Sonos face aux géants des enceintes intelligentes ?

Florian Innocente |

L'avenir de Sonos qui s'apprête à entrer en Bourse doit-il s'apprécier au regard de ses 19 millions d'enceintes vendues depuis 2005 et de ses résultats financiers, pour la première fois dévoilés, ou par le démontage et la comparaison de l'un de ses principaux produits, face au modèle équivalent d'Amazon ?

Sonos One et Amazon Echo Plus

Ben Einstein, designer produit et fondateur d'un fonds d'investissement pour start-ups, privilégie la seconde approche. Il avait appliqué la même méthode pour la machine à jus de fruits Juicero, laquelle déployait tout un arsenal technique pour arriver au même résultat que si l'on pressait une recharge de jus avec ses mains (lire Juicero a essayé de vendre des sachets de jus de fruits à prix d’or). Juicero a baissé le rideau.

Einstein estime que sur ce marché des enceintes dites intelligentes, les chances de Sonos sont plus que minces et il prend en exemple un produit à peu près au même prix chez Amazon, l'Echo Plus (non disponible dans la gamme Echo en France). Sonos vend 199 $ sa One, son premier modèle équipé d'Alexa, tandis que l'Echo Plus est facturé 149 $. 50 $ d'écart, les deux produits peuvent séduire un même public. Les compétences sonores de ces deux enceintes ne sont pas évaluées, ce peut être une première réserve émise.

Sonos One

La Sonos One a les atours d'une enceinte audio standard, que ce soit dans sa conception (l'agencement des principales pièces) ou ses matériaux (du polycarbonate — plus onéreux que le plastique classique — un peu de fibre de verre, une grille en métal). Les économies d'échelle ne sont pas oubliées, pour preuve le module PCI Express qui héberge les composants pour la communication. Découplé de la carte-mère, il peut trouver place à l'intérieur d'autres enceintes de la gamme.

Sonos One

La carte installée dans la partie supérieure, sous les commandes, celle qui contient les micros (les oreilles d'Alexa et plus tard de Siri et Google Assistant) donne à Einstein le sentiment qu'elle a été conçue par un tiers. La One étant la première enceinte de Sonos capable de faire fonctionner un assistant, cette partie a pu être mise au point par un partenaire.

Amazon Echo Plus

En face, l'enceinte d'Amazon est plus inhabituelle par certains aspects, en premier lieu sa forme tubulaire qui impose un empilage vertical des différentes parties.

Ben Einstein note que la puce Bluetooth est d'emblée compatible avec le protocole ZigBee pour la domotique, signe que cet usage a été formalisé dès le départ chez Amazon. Il s'étonne aussi de l'orientation vers le bas du tweeter, pas courante dans ce genre de produit, mais obligatoire vu le format.

Amazon Echo Plus

La manière dont a été probablement extrudé puis perforé le tube qui habille l'enceinte le surprend également. Cela semble relever d'un procédé onéreux. Rien que le système de réglage du volume (on tourne la partie supérieure de l'enceinte) est nettement plus complexe que celle de la Sonos qui se contente de capteurs capacitifs.

Le mécanisme de réglage du volume

Première observation à l'issue de ces deux démontages, Amazon a probablement dépensé davantage pour la fabrication de son Echo Plus que Sonos pour sa One, tout en le vendant moins cher. C'est là que la situation des deux sociétés diffère.

Sonos a ajouté une compatibilité avec les assistants car c'est cette direction que prend aujourd'hui le marché des enceintes grand public. Amazon peut se permettre de vendre à un prix plus bas, car il est présent dans quantité d'autres activités, il ne dépend pas de la seule vente d'enceintes, à l'inverse de Sonos.

Amazon est au four et au moulin, il fabrique ses Echo et il les vend lui-même — pas d'intermédiaires qui rognent sur la marge, contrairement à Sonos qui vend en direct mais dépend aussi grandement d'autres enseignes (dont Amazon).

Enfin, Alexa fonctionne depuis ses propres fermes de serveurs (idem pour tous ceux qui intègrent Alexa dans leurs produits, le logiciel est branché aux serveurs d'Amazon). Au final c'est Amazon qui reste en position de force, puisqu'il maîtrise toute la partie logicielle et qu'il la licencie à qui le veut. Tout et n'importe quoi devient compatible Alexa, ce qui a pour effet de banaliser cet aspect technique.

Vie privée

Pour Ben Einstein, Sonos a le défaut de ne pas proposer sa propre plate-forme complète. Cela dit, on voit mal comment le fabricant pourrait faire autrement. Le ticket d'entrée pour concevoir aujourd'hui son propre assistant vocal est hors de portée. Sonos comme d'autres spécialistes des enceintes sont tributaires des développements réalisés par des tierces parties bien plus puissantes. Pour l'heure, la One est avant tout une enceinte de bonne facture, mais standard, à qui on a greffé une fonction qui est dans l'air du temps.

Sonos peut en revanche se targuer de vendre des solutions audio complètes pour la maison ou les professionnels, et d'avoir une clientèle fidèle. Personne ne va acheter une enceinte Amazon avec comme souci premier le son, c'est l'aspect pratique et pas trop cher du produit qui prime. Il n'y a pas d'équivalent au HomePod et aux Sonos chez Amazon, qui n'a peut-être pas non plus d'intérêt à le faire, puisque beaucoup d'autres sont prêts à ouvrir leurs produits à Alexa. Pas mal de clients peuvent se contenter des Echo, surtout s'il y a adéquation avec leur budget.

C'est une carte à jouer pour Sonos, afin de démentir le sombre pronostic de Ben Einstein : additionner une très bonne qualité sonore à de bonnes capacités pour les assistants intégrés (cela passe par des micros plus performants qu'actuellement) et parvenir à démocratiser sa marque en parallèle (lire : SYMFONISK, du Sonos pas trop cher chez IKEA en 2019).

Il y a également toute la question de la vie privée qui n'est pas abordée dans cette analyse par démontage : les Echo sont d'abord de grandes oreilles que l'on installe partout dans sa maison.

C'est l'objectif avoué d'Amazon, avec son Echo Dot de toute petite taille et le Spot en forme de réveil, doté par ailleurs d'une webcam. En face, les produits Sonos sont d'abord vendus comme des enceintes pour écouter de la musique ou améliorer la qualité sonore de son téléviseur. Un rôle très classique et plus rassurant probablement pour certains clients.

Echo Spot, avec caméra intégrée pour du chat vidéo

Un Echo n'a aucun intérêt sans une Alexa toujours activée, constamment à l'affût d'une requête. Sur une Sonos, l'assistant vocal n'est qu'une fonction optionnelle, elle ne définit pas le produit. Ce n'est pas le premier critère pour s'en équiper. Cela peut être effectivement considéré comme une faiblesse mais d'autres y verront peut-être un avantage…

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