Apple ne veut pas d'utilisateurs qui se contentent de peu

Mickaël Bazoge |

Apple ne peut pas et ne veut pas être partout. « Nous ne sommes pas la “Everything Company“ », comme l’explique Craig Federighi dans la longue interview qu’il a accordée avec son collègue Eddy Cue, à FastCo. Le site a déjà consacré un article roboratif sur le sujet en début de semaine, et il livre aujourd’hui l’interview complète des deux vice-présidents (lire : La culture de l’erreur : Apple esquisse une autocritique).

Image FastCo.

Les duettistes sont revenus plus en profondeur sur la culture de l’entreprise, qui ne se vit donc pas comme une société capable de tout faire, et de tout faire bien. « Le petit nombre de choses que nous faisons, nous les faisons très bien, et nous trouvons cela assez gratifiant », déclare Federighi. Tout n’est pas parfait évidemment, et l’épisode Plans, lancé en 2012 sous les quolibets, a permis au constructeur de revoir sa manière de fonctionner.

L’intelligence collective au service de Plans

L’interview est l’occasion pour les deux dirigeants d’expliquer le fonctionnement du service de cartographie. « Voici un bon exemple : un parcours de golf », détaille Eddy Cue. « Comment savons-nous qu’un golf vient d’ouvrir ? Nous ne parcourons pas le monde pour surveiller les parcours de golf. Mais nous savons que [le nouveau golf] est là, parce qu’il y a toutes ces applications qui sont utilisées sur les parcours de golf. Si nous voyons que toutes ces apps sont utilisées à un endroit particulier, un lieu qui n’est pas identifié comme un parcours, nous avons sans doute un problème. Vous pouvez le découvrir assez rapidement ».

« La vérité », poursuit-il pour élargir son propos, « c’est que nous n’avons pas besoin que quelqu’un vous dise qu’un pont est fermé. Dès que ce pont ferme, vous en voyez immédiatement les conséquences ». Craig Federighi reprend la balle au bond : « Si tout à coup les téléphones arrêtent de bouger dans cette direction… ». Apple exploite donc les données recueillies par les smartphones de ses clients, mais de manière anonyme. « Nous ne voulons pas qu’Apple sache quand vous allez au travail. Cette “intelligence“ reste dans l’appareil, mais nous pouvons retracer anonymement des données comme le trafic ».

Tout cela a un prix, et Plans coûte cher, indique Cue. « Nous avons des milliers de personnes qui travaillent sur Plans. Ils construisent l’architecture, ils s’occupent de l’automatisation, de l’intelligence, du volume de données que nous enregistrons. C’est très très cher, et ça ne génère aucun revenu direct ». Seules de très grandes entreprises comme Apple ou Google peuvent se permettre d’investir à fonds perdus dans ce type de service très large, présenté par Federighi comme une plateforme.

Erreurs et solutions

Le fiasco de Plans a mis en lumière les lacunes d’Apple dans un secteur nouveau pour l’entreprise, mais l’affaire a aussi écorné la réputation du constructeur qui avait habitué ses utilisateurs à un meilleur suivi de la qualité. « Nous devons être honnêtes avec nous mêmes », convient Cue. « Nous ne sommes pas parfaits, nous pouvons faire des erreurs. Il y a un nombre toujours plus important de problèmes que nos clients soulèvent pour lesquels nous n’avons pas encore trouvé de solutions. Mais nous voulons les corriger ».

Plus généralement, Apple compte « plus d’utilisateurs, plus d’appareils [en circulation] ». Eddy Cue : « Nos produits présentent moins de problèmes qu’auparavant je pense, c’est ce que nous disent les remontées d’infos ».

Cette exigence, c’est ce qui fait se lever Eddy Cue le matin (et sans doute aussi ses collègues). « J’aime quand les gens attendent beaucoup de nous, et qu’ils se préoccupent des petites choses qui les ennuient. Pour d’autres produits [d’autres marques], ils ne s’en occuperaient pas (…) Avec nous, ils veulent la perfection, ils veulent le meilleur, et c’est ce que nous voulons aussi ». On pourrait ajouter qu’aux prix pratiqués par Apple, cette exigence est aussi la moindre des choses.

Quand nous étions la “société du Mac“, si un problème touchait 1% de nos clients, cela se mesurait en milliers d’utilisateurs. Désormais, si un problème frappe 1% de nos clients, cela se mesure en dizaines de millions de personnes (…) Nos produits sont bien meilleurs que par le passé, mais la barre est plus haute, et ça me va.

Cue et Federighi préfèrent se placer du côté des utilisateurs exigeants, plutôt qu’avec ceux qui pensent qu’Apple n’est pas aussi visionnaire que Google. « Un monde où les gens ne se préoccupent pas de la qualité de leur expérience n’est pas un monde très intéressant pour Apple », enchérit Federighi. « Un monde dans lequel les gens s’inquiètent sur des détails et qui vont s’en plaindre est un monde où brillent nos valeurs ».

Au service de l’innovation

L’interview permet aussi de creuser le sujet de l’innovation, que beaucoup estiment en panne ou, à tout le moins, en stagnation à Cupertino. Malgré les trompettes et les tambours, l’Apple Watch n’est pas perçue comme un produit de rupture, par exemple. Eddy Cue réplique : « Hé bien, l’iPhone n’était pas non plus perçu ainsi. Et l’iPod non plus. Regardez les chiffres : ces produits n’ont pas été des succès dès leur lancement. Un baladeur à 500 $ ? Mais ces gens sont vraiment stupides ! ». L’histoire a montré effectivement que la plupart des nouveaux produits lancés par Apple demandaient du temps avant de devenir des best-sellers.

Crédit : @tldtodayCliquer pour agrandir

S’il existe, dans certaines entreprises, un côté innovant et un côté plus plan-plan qui consiste à vendre des produits ou des services reposant sur des acquis, ce n’est pas le cas pour Apple, assurent les dirigeants. « Ce n’est pas comme ça chez nous », assure Cue. « Regardez le Mac. Nous faisons toujours beaucoup d’efforts [pour les ordinateurs], et ça depuis 30 ans. Si vous regardez OS X, c’est la même chose ».

L’iPhone est l’opportunité pour Apple d’innover toujours plus, indique Federighi. Et c’est aussi le cas pour les développeurs. « Donc, ce n’est pas “Mettons nous en mode maintenance pendant que nous faisons quelque chose de nouveau“. L’iPhone reste un pilier de ce que nous faisons, ce n’est pas le seul, mais c’est celui qui ouvre le plus d’opportunités de création de valeur pour nos clients ».

Image une : Toshiyuki IMAI, CC BY-SA

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