Bruxelles accuse Google d'abus de position dominante via Android

Florian Innocente |

La Commission européenne estime que Google a mis en œuvre une politique autour d’Android conduisant à des abus de position dominante. L’objectif pour le groupe américain étant de « préserver et renforcer sa position dominante dans le secteur de la recherche générale sur l’internet ». Cela aurait comme corollaire de « léser les consommateurs en bridant la concurrence et en limitant l’innovation dans le secteur plus large de l’internet mobile ».

Margrethe Vestager

Cela fait six ans maintenant qu’une partie de ping-pong a démarré entre Bruxelles et Google, alimentée par des plaintes venant d’entreprises du secteur. Le moteur a proposé à plusieurs reprises de faire des concessions mais elles ont toujours été jugées insuffisantes. Il y a presque un an jour pour jour une enquête a été ouverte.

Aujourd’hui, Bruxelles a publié les conclusions préliminaires de ses investigations. Elles vont servir de base à des discussions avec Google. Le groupe dispose d’environ trois mois pour préparer une réponse complète et argumentée.

Margrethe Vestager, commissaire chargée de la politique de concurrence, a expliqué ce matin que toutes les options étaient ouvertes. Cela peut aller d’une forte amende à la signature d’un accord. Google pourra aussi faire appel s’il est accusé, prolongeant certainement cette bataille de quelques années supplémentaires. Dans ce genre de dossier, le calcul de base de l'amende est de 10% du CA de l'entreprise jugée coupable, soit environ 7 milliards de dollars pour Google. Mais ce mode de calcul peut varier.

Margrethe Vestager prévient qu’en cas de nouvelles offres, Google devra mettre sur la table des propositions bien différentes de celles faites déjà à trois reprises.

Ce n’est toutefois pas la seule enquête sur Google qui occupe la Commission. Cette dernière s’intéresse à la manière dont le moteur favoriserait ses propres services aux dépens de ceux de concurrents dans les résultats de recherche (en particulier pour Maps, sur les comparateurs de prix et les guides d’informations locales). D’autres soupçons portent sur « la copie de contenus web concurrents (connue sous le nom de «scraping» ou «moissonnage»), l’exclusivité en matière publicitaire et des restrictions injustifiées imposées aux annonceurs ».

Dans le cas présent, Bruxelles énumère trois comportements qu’elle juge abusifs. Ils sont de nature à assurer une position dominante pour Android et ses applications (l’OS mobile s’octroie environ 90 % du marché dans l’espace européen).

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1/ En obligeant les fabricants qui veulent le Google Play Store (principale porte d’entrée vers les apps de l’écosystème d’Android) à préinstaller Google Search ainsi que Chrome, et de faire en sorte que Google soit le moteur par défaut dans les réglages (quand il n’est pas le seul et unique disponible pour l’utilisateur) ;

La Commission admet qu’il est important pour un utilisateur d’avoir une bonne « expérience de déballage » en disposant d’une panoplie d’apps préinstallées. Mais elle entend veiller à ce que les fabricants aient toute liberté en la matière et qu’on ne leur torde pas le poignet.

2/ En empêchant les fabricants de vendre des terminaux équipés d’un “fork” basé sur la version open source d’Android. « Si un fabricant souhaite préinstaller sur n’importe lequel de ses appareils des applications propriétaires de Google, dont Google Play Store et Google Search, Google l’oblige à conclure un «accord antifragmentation» en vertu duquel il s’engage à ne pas vendre d’appareils fonctionnant sous des forks Android. »

Là encore, la Commission conçoit parfaitement que des éditeurs veuillent mettre en place des restrictions à l’emploi de leurs logiciels, mais sous réserve qu’elles soient justifiées. En l’occurence, Google n’a pas réussi à convaincre les enquêteurs du bien fondé de celles inscrites dans cet “accord antifragmentation”.

Ces obligations dictées par Google auprès de ses partenaires ont eu pour effet de les « empêcher de vendre des appareils mobiles intelligents fonctionnant sous un fork Android concurrent susceptible de devenir une alternative crédible au système d’exploitation Android de Google ».

3/ En accordant des incitations financières « importantes à certains des « plus gros fabricants de téléphones intelligents et de tablettes ainsi qu’à des opérateurs de réseaux mobiles »  en échange d’une préinstallation exclusive de Google Search. La Commission dit posséder des « éléments prouvant que la clause d’exclusivité avait une incidence sur la préinstallation ou non des services de recherche concurrents ».

Que Google utilise une carotte financière pour motiver ses partenaires ne pose aucun problème aux enquêteurs, ce sont les conditions à leur obtention qui sont pointées du doigt.

Google se défend

Google a publié une première réponse, d'ordre général. Il cite l’exemple d’Amazon qui utilise la version open source d’Android pour ses tablettes Fire… en omettant de rappeler qu’elles n’ont pas le Google Play Store mais une boutique maison et encore moins les apps propriétaires de Google.

Il explique ensuite qu’il y a de sa part une volonté de proposer une bonne expérience utilisateur : « Les fabricants qui souhaitent participer à l’écosystème Android s’engagent à tester et certifier que leurs appareils prennent en charge les applications Android. Sans ce système, les applications ne fonctionneraient pas d’un appareil Android à l’autre. Imaginez à quel point ce serait frustrant si une application téléchargée sur un téléphone Android ne fonctionnait pas sur le téléphone Android de remplacement provenant du même fabricant ».

Google se défend en outre d’empêcher les fabricants qui ont opté pour sa version d’Android de préinstaller aussi des apps ou services concurrents (celles de Microsoft, de Facebook, Amazon ou celles des opérateurs).

Mais ce que la Commission critique en premier lieu c’est l’obligation stricte qui est faite de préinstaller le moteur de recherche de Google et son navigateur pour obtenir l’Android de Google. Que les clients puissent ensuite installer à leur guise Instagram ou WhatsApp, comme le fait remarquer Google, n’a rien à voir avec le problème de fond soulevé par les enquêteurs.

Les choses sérieuses vont maintenant commencer entre les protagonistes, Google va avoir tout loisir de se défendre et répondre point par point. Hier, Google a vu un nuage se dissiper du côté du Canada, avec l’abandon des poursuites pour, là encore, des pratiques jugées anticoncurrentielles.

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