Interview : l'iPad "Une véritable révolution du travail assisté par ordinateur"

Florian Innocente |

Avec dans le dos le souffle du succès de la plateforme iPhone OS, les développeurs travaillent d'arrache-pied pour finaliser leurs applications ou en préparer de toutes nouvelles spécialement adaptées à la tablette d'Apple. Nous avons sollicité l'opinion de deux spécialistes. Le premier est un indépendant, le second directeur technique dans une importante agence, avec à son compte certaines des plus populaires applications - non ludiques - de l'App Store Français (son interview sera publiée dans un second temps).

Florent Morin est le fondateur de Kaeli Soft, il travaille en solo ou avec des confrères lors de missions ponctuelles. Il a déjà une douzaine d'applications iPhone assez variées à son actif et d'autres, réalisées pour le compte de grosses sociétés françaises (qui ne peuvent être citées). Il a déjà commencé à travailler sur des applications iPad qui ne sont pas de simples adaptations de versions iPhone et il voit un usage professionnel à cette tablette vendue avec une étiquette grand public.

iGeneration : Quelles opportunités de développement se présentent avec l'iPad et quel est le profil des clients qui s'y intéressent dès maintenant ?

Forent Morin : Les principaux intéressés ont tout d'abord été, bien entendu, les éditeurs. Là où c'est vraiment très intéressant pour eux, c'est qu'ils ont à la fois une véritable référence en plus d'une ergonomie réellement convaincante. Le Kindle d'Amazon, par exemple, est bien joli, mais si la presse est passée à la couleur ce n'est pas pour revenir au noir et blanc. Il ne s'agit pas de perturber le lecteur qui a déjà du mal avec les nouvelles technologies.

Ensuite, un gros marché qui s'est ouvert est celui des éditeurs de progiciels. Ils étaient déjà intéressés par l'iPhone, pour son côté "humain", permettant d'utiliser l'outil sans spécialement maîtriser la technique. Cependant, l'iPhone reste un appareil mobile. Avec l'iPad, on a un appareil nomade, offrant tout le confort visuel et ergonomique nécessaire. Il s'agit en fin de compte d'une réponse à la majorité des professionnels qui recherchent un outil informatique à la fois utile et efficace, mais sans pour autant que ce soit une usine à gaz.

En fin de compte, c'est là qu'on se rend compte que la majorité des outils professionnels ne répondent pas correctement aux attentes des utilisateurs. Ce problème est non seulement dû à la technicité de l'outil en lui-même, mais également à la technicité de l'environnement.

Prenons un exemple concret : un artisan qui veut faire un devis à un client. A-t-il demandé à faire une mise à jour de son système ? A-t-il demandé à être connecté sur Skype qui d'ailleurs ne peut pas se connecter car il n'y a pas de réseau pré-configuré ? A-t-il demandé à attendre le chargement de Windows ou de Mac OS X, un peu plus long que prévu, car l'ordinateur a été arrêté un peu violemment ? NON. Notre artisan veut juste lancer son outil qui va lui permettre de gagner du temps dans la réalisation de son devis et point à la ligne. S'il avait du temps à perdre, il serait resté au papier / stylo / calculette. Et comme ses doigts font plus de 5 mm de large, il a besoin d'un outil adapté en terme de dimensions et il doit également voir l'intégralité des prestations proposées dans son devis d'un seul coup d'oeil (ce qui répond également à la question : "L'iPad est-il un gros iPod touch ?")

L'iPad se présente donc bien comme la véritable révolution du travail assisté par ordinateur, car pour la première fois, l'informatique va réellement permettre de gagner du temps.

Pour vos clients qui ont déjà fait réaliser une application iPhone, est-ce qu'il est facile de leur vendre l'idée d'une adaptation à l'iPad ? Après tout, avec sa taille d'écran, on peut se dire que l'utilisateur ira directement sur le site plutôt que d'en passer par un logiciel…

FM : Comme je disais précédemment, l'iPhone est fait pour une utilisation mobile, l'iPad pour une utilisation nomade. En d'autres termes, si certaines opérations peuvent être réalisées sur un petit écran, certaines nécessitent un plus grand confort visuel et une plus grande interaction.

L'utilisateur peut en effet choisir d'aller sur Internet plutôt que de passer par un logiciel. Cependant, le confort d'utilisation et la réactivité de l'interface ne sont pas comparables. La preuve en est sur iPhone : Twitter existe en version purement web adaptée à l'écran de l'appareil. Cependant, les utilisateurs préfèrent utiliser des applications comme Tweetie ou Echofon car ils y retrouvent un confort qui leur convient mieux. D'autant que certaines fonctionnalités sont difficilement adaptables au web : le push, l'accès aux contacts, l'accès aux photos enregistrées localement ou à l'appareil photo/vidéo.

Le web reste une solution de dépannage. Et il en sera de même sur iPad. Malheureusement, du fait du contrat de confidentialité imposé aux développeurs on ne peut rien dévoiler, mais les possibilités techniques et ergonomiques de l'iPad sont immensément plus grandes que celles offertes par l'iPhone. Alors qu'il y avait un gouffre entre l'iPhone et le Mac, il y a maintenant l'iPad, et ça va changer beaucoup de choses.

Sur un plan technique, quelles opportunités ouvre l'iPad quant aux possibilités pour les applications, et qui n'étaient peut-être pas évidentes avec un support comme l'iPhone ?

FM : À ce jour on ne peut rien dire au-delà de ce qu'Apple a déjà dit ou montré, je vais donc tâcher de laisser travailler votre imagination en vous donnant quelques pistes à partir des éléments que l'on retrouve sur le site d'Apple.

Tout d'abord, il y a l'intégration de la 3G, qui permet d'être connecté quasiment partout. Il y a du Bluetooth, et comme le système de base est iPhone OS, on peut supposer que la communication entre deux appareils est possible. Les performances sont nettement améliorées : on peut donc imaginer que des applications qui exigeaient trop de puissance pour un iPhone, puissent être envisageables sur iPad.

Il y a une sortie TV, comme sur l'iPhone me direz-vous. Cependant, l'iPhone n'est techniquement pas suffisamment puissant pour gérer correctement un grand affichage. Peut-être est-ce la raison pour laquelle Apple n'a pas laissé les développeurs y avoir accès ? À partir de là, on peut imaginer plusieurs types d'applications :

- SFR, Orange, Free et les autres proposent la TV via la Box. Pourquoi pas la TV sur iPad par Wi-Fi (en utilisant éventuellement l'iPhone comme télécommande) ;
- dans le même ordre d'idée, un jeux vidéo où les iPhone font office, en option, de manettes.
- pourquoi pas un jeu de plateau type Scrabble ou Poker, utilisant l'iPad comme plateau et les iPhone ou iPod touch pour la partie "confidentielle" (jeu de cartes, lettres)
- on pourrait également imaginer des révisions du Code de la route sur iPad
- sur un grand écran, un livre de recettes prend tout son sens (on pourrait tourner les pages par commande vocale)
- une présentation de catalogue, pour un professionnel, est totalement adaptée, surtout vu que l'appareil peut être branché sur un vidéoprojecteur (c'est donc un usage applicatif au moins techniquement envisageable)
- on peut également imaginer un outil de diagnostic pour des techniciens informatique
- des outils pour les architectes pourraient être envisageables
- grâce aux possibilités de connexion d'appareil photo ou d'une carte SD on peut imaginer toutes sortes d'applications

Et à l'inverse, quelles limitations techniques se présentent ?

FM : La principale limitation, et qui n'est pas des moindres, est l'impossibilité de connecter un appareil Bluetooth à une application iPhone. Il y a certes le Framework External Accessories du SDK iPhone qui a été présenté par Steve Jobs comme l'outil ultime. Cependant, il a des limites très pénibles, malgré ses indéniables qualités.

Déjà, il faut s'enregistrer dans le programme "Made for iPod", qui permet d'accéder aux documentations techniques pour la réalisation des composants électroniques. Ensuite - si par chance on obtient une réponse - il faut réaliser toute l'électronique spécialement pour Apple. C'est expliqué noir sur blanc sur le site du programme, accessible publiquement. Le reste est confidentiel. Une fois que l'on a le précieux sésame, si toutefois le matériel est compatible, on peut penser à l'utiliser avec une application iPhone.

En clair, c'est le parcours du combattant.

Pourtant, les API Bluetooth, qui permettent d'accéder à l'ensemble des fonctionnalités du matériel Bluetooth, sont disponibles sur Mac OS X : c'est donc une technologie au moins en partie maîtrisée par Apple. Et c'est là qu'il y a un gros problème : de plus en plus de professionnels utilisent le Bluetooth. Les professionnels de santé par exemple utilisent des lecteurs Sésame-Vitale en port-série, USB ou Bluetooth. Il en va de même pour les terminaux bancaires. La plupart des outils sans fil utilisés par les professionnels et les particuliers utilisent aussi cette technologie. C'est le seul frein, à ma connaissance, dans l'adoption de l'iPad. Mais cette limitation n'étant que logicielle, il y a de bons espoirs pour voir un jour Apple supporter dans son kit de développement une fonctionnalité que tous les autres maîtrisent.

Enfin, comment fait-on pour développer pour un produit qu'on a jamais vu en vrai, jamais touché et qui, même s'il s'appuie sur un OS que l'on connaît et que l'on a un simulateur d'applications, qui offre une nouvelle interface, une nouvelle ergonomie, etc ? On découpe du carton et on imprime des images Photoshop ?

FM : Pour les interfaces, on fait tout via le simulateur puis on fait des captures d'écran pour le client (toujours dans le cadre du contrat de confidentialité bien entendu !). C'est un peu hasardeux, mais les ajustements finaux seront mineurs. Avant que le simulateur ne sorte, on utilisait la sortie TV de l'iPhone ! Sinon, l'imprimante, le papier et le carton, on ne connaît pas trop : Kaeli Soft fonctionne en tout électronique quasiment. On essaye d'être très "green"...

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