Je raccroche l'iPhone : vivre un mois sans smartphone

Arnaud |

"Autant j’avais adoré la sensation de trimballer l’univers avec moi dans ma poche, autant j’avais oublié à quel point il pouvait être lourd" (extrait de "Pause", par Susan Maushart, aux éditions NiL). Cette phrase résume bien ce qu’est le smartphone, et tous ses dérivés. Un jour, au début du mois d’août dernier, une énième notification m’a fait soupirer. Le lendemain, je me suis amusé à compter combien de fois mon iPhone se manifestait dans la journée. Entre 8 et 23h (les heures pendant lesquelles le mode "ne pas déranger" prend le dessus), il s’est manifesté 56 fois, soit un peu moins de 4 fois par heure.

Là n’est pas le seul problème. Deux jours plus tard, je me suis surpris en train d’utiliser mon iPhone, pour répondre à une notification Twitter, alors que j’étais au restaurant avec un ami, malgré une conversation qui n’avait rien d’inintéressant. Je venais donc de mettre en pause une vraie conversation, pour répondre à mon devoir numérique.

Ces deux constats ne laissent pas indifférents, pour la première fois, je remettais réellement en cause les bénéfices qu’ont ces petits appareils sur nos vies. L’iPhone, au sens large, le téléphone intelligent, est une machine fantastique; elle nous relie constamment et sans interruption au web, au reste du monde, aux autres. Ce besoin, endémique à notre société occidentale moderne, peut vite devenir pesant, en nous enfermant dans un monde fait d’autant de conversation numérique que physique.

Je me suis alors lancé dans une sorte d’expérience, un défi à la fois très personnel et pourtant banal pour une grande majorité de personnes : me débarrasser de mes smartphones (un iPhone 5 et un Nexus 5), de mon iPad, de mon bracelet connecté et de toutes les applications qui y sont liées. Simplement un Nokia 108 et mon Mac. L’idée n’était pas de retourner vivre dans les sixties, mais de montrer qu’en 2014, il est possible d’être connecté, sans forcément "trimbaler l’univers dans sa poche". En bon natif numérique que je suis, j’ai toujours été habitué à dégainer mon téléphone pour prendre une note, pour regarder dans combien de temps le prochain bus fera son apparition, ou à lire des magazines sur iPad. L’idée de prendre note sur un morceau de papier me renvoyait sur les bancs de mon adolescence, ou je ne faisais que suivre les consignes. Une fois les portes de l’école franchies, je notais déjà ma liste de course sur mon iPhone. Ce défi est donc loin d’être anodin pour moi, sur les vingt-et-une années qui composent ma vie, j’en ai passé sept, soit un tiers, avec un smartphone en poche. Pendant un mois, la connexion 4G céda sa place au crayon papier et aux itinéraires planifiés.

Les manques

Cet abandon a laissé place à un étrange sentiment, un mélange de sensation de vide et de calme imperturbable. Et très rapidement, les premiers manques se sont fait sentir. On oublie vite le nombre incalculable d’avantages que ces petits appareils nous offrent. L’exemple le plus parlant, c’est celui des transports en commun. Quelques secondes suffisent à vérifier un itinéraire, à savoir dans combien de temps passe le prochain train ou le prochain métro. Sans smartphone ou tablette connectée au réseau cellulaire, il faut prévoir son coup. Cela paraît évident présenté comme ça, mais dans les premiers jours du jeûne, je partais souvent en retard. Un autre point qui peut paraître anodin, c’est celui de la météo. Sans télévision, mes habitudes de prévisions météorologiques se résumaient souvent à celles annoncées par l’iPhone.

Autre manque, celui des réseaux sociaux. Le seul moyen d’y accéder était d’avoir un ordinateur connecté à internet, autant dire que les occasions étaient rares. Sans compter les réseaux sociaux directement liés au mobile, comme Instagram ou Swarm (anciennement Foursquare). Le fait d’avoir un iPad a relégué l’ordinateur au rang de camion (exactement comme Steve Jobs l’avait déjà remarqué). Camion qui ne bougeait pas énormément. Certes, il fait très souvent l’aller/retour entre deux endroits, mais je ne l’utilise logiquement pas dans le bus, dans un café avec un ami… Cette absence de connexion permanente m’a souvent donné l’impression de perdre du temps. Le relevé de mail ou l’actualisation des divers fils d’actualités des réseaux sociaux sont, à mon sens, des activités intermédiaires, que l’on fait très souvent sur un appareil mobile à des moments un peu plus creux. Le résultat de cette baisse d’activité (et par extension, de productivité), a eu deux résultats : le premier, négatif. Je perdais simplement du temps. À chaque fois que j’ouvrais mon ordinateur, je devais prendre le temps de faire ce que j’aurais pu faire vingt minutes plus tôt. Le second est bien plus positif. Sur le mois que j’ai passé sans mes gadgets connectés, j’ai lu beaucoup plus souvent, et de manière plus attentive. J’ai lu, pour la première fois de ma vie, la quasi-entièreté d’un magazine, de deux livres et une foule d’articles que je me serais habituellement contenté de survoler. Et le tout, sur papier.

S’il y a bien quelque chose qui m’a impressionné pendant cette période, c’est le retour en force du papier dans ma vie. Mes abonnements (magazines et quotidiens), sont tous, sans exception, 100% numérique. Mais en l’absence de support numérique, j’ai dû me retourner sur les versions papier. Le Moleskine que j’avais rempli à un tiers en six mois, ne compte maintenant plus que quelques pages vierges. C’est certes plus agréable au toucher, mais cette montagne d’informations prend une importante place physique et produit infiniment plus de déchets.

Une vie plus simple ?

La principale question gravitant autour de mon Nokia 108 consistait souvent à me demander si ma vie était plus simple. Non, et je tendrai même à dire qu’il l’a compliquée. Comme dit plus haut, c’est surtout le manque d’information qui se fait sentir. Dans une ville que l’on ne connaît pas, un smartphone devient notre meilleur allié, en nous montrant le chemin à suivre pour arriver à destination, nous indiquer un bon (ou au contraire, un mauvais) restaurant… La réponse au SMS est une vraie peine, là où sur le clavier azerty d’un smartphone, les réponses complètes ne prennent que quelques secondes, il faut parfois s’armer de patience sur un clavier "123". Mon style est donc passé de normal à de simples "oui" "non" ou "OK" dans la plupart des cas.

On se retrouve vite à louper des événements importants, des invitations de dernière minute, des mails urgents qui sont traités plusieurs heures après… Un cahier Moleskine n’envoie malheureusement pas de notification une demi-heure avant un rendez-vous. Celui-ci pourra être noté en rouge, souligné et entouré, on ne peut compter que sur sa propre mémoire.

À la maison, le manque de tablette ou de smartphone se fait sentir. Derrière les fourneaux, oubliez immédiatement l’idée de suivre une recette venant du web, ou même simplement pour obtenir des conseils de cuisson, ou des indications. Il faudra soit faire la recherche sur son ordinateur et constamment l’avoir à portée de main, soit utiliser du papier pour imprimer cette recette. Le soir, là où l’iPhone permet de répondre rapidement à un mail oublié un peu plus tôt, il faudra rouvrir l’ordinateur. Et la lourdeur d’un ordinateur, à la fois physique et symbolique, deviendra assez vite agaçante.

La valeur d’une photo ou de la musique

Un point plus surprenant, peu attendu, c’est celui de la photographie et de la musique. Commençons par la photo, avec un smartphone, tout le monde a l’habitude de prendre tout et n’importe quoi en photo. Une scène un peu cocasse, un nouvel achat, et dans les cas extrêmes, un gobelet en carton blanc contenant du café. Pendant un mois, j’ai donc utilisé mon appareil photo (type reflex), quelques fois, pour un anniversaire familial ou simplement pour aller faire de la photo en rue. Rien de bien particulier jusque-là, mais j’accorde plus de valeur à ces photos, simplement parce qu’elles sont plus rares, plus soignées et moins aléatoires que celles que j’aurais pu prendre avec un iPhone.

Concernant la musique, le constat est le même. La rareté donne la valeur. Dépourvu d’écouteurs, j’écoutais principalement la musique chez moi. Et je suis passé du positionnement où "j’entendais" la musique à celui où "j’écoutais" la musique. La nuance est importante et renvoie dans les années précédant l’arrivée des baladeurs, où écouter de la musique était une activité monotâche comme une autre.

Du temps vraiment libre

L’absence de notifications et d’une source de distraction permanente à portée de main permet d’être bien plus concentré et proactif. Un peu comme si j’étais subitement passé en monotâche, en lieu et place du multitâche auquel nous sommes tous habitués. L’exemple du magazine cité plus haut est criant de vérité. Avec un iPhone en poche, il y a toujours bien un moment où l’on est tenté d’aller voir ce qu’il se passe sur la toile, et donc, de perdre le fil de notre lecture. C’est encore plus vrai quand on lit ce même magazine sur tablette, ou un simple mouvement permet d’ouvrir Twitter.

Le temps que je passais généralement sur mon iPhone, au lit, j’ai fini par le transférer sur un livre. Je ne dirai pas que j’ai plus lu pendant la durée de cette expérience, mais j’ai lu plus attentivement, et des choses plus intéressantes. Un Jules Verne est, assez logiquement, plus intéressant à lire qu’une vingtaine de statuts Facebook se plaignant du mauvais temps.

Les week-ends, les balades, ou simplement le temps passé avec des personnes chères à nos yeux prennent plus d’importance, la vie virtuelle étant complètement mise de côté pendant ces moments là. Enfin… la mienne. Parce que cette expérience m’a aussi permis de voir (et de vérifier), que la place qu’occupent les smartphones dans nos vies est impressionnante ! Je me suis ainsi plusieurs fois surpris à demander poliment aux personnes avec moi de ranger leurs smartphones, ou de les mettre de côté.

Le silence

C’est le point principal, que je retiendrai certainement le plus de ce mois, l’incroyable tranquillité, tout au long de la journée. Il me suffisait de refermer l’écran de mon MacBook Pro sur son clavier pour ne plus avoir aucun son de notification. Les seules choses que le Nokia 108 peut recevoir sont les SMS et les appels. Autant dire, une minorité des messages que l’ont reçoit (et envoie) aujourd’hui. Les messages Facebook, les iMessages, Whatsapp, Skype, les snaps (Snapchat) attendront tous ma prochaine connexion à l’ordinateur. Les SMS m’assuraient que seules les personnes en mesure de me communiquer quelque chose de vraiment important pourraient me contacter, mes proches. Cette approche peut paraître égoïste, mais elle évite de se faire déranger par une vague connaissance qui veut un conseil sur son prochain ordinateur, après vous avoir assimilé comme geek (sic).

C’est un point auquel les plus stressés devraient réellement réfléchir. Couper les notifications de telle façon permet sans aucun doute possible, de diminuer le stress et la pression numérique tout au long de la journée. Si cela peut paraître anecdotique pour certains, les plus connectés vous le diront, la pression de nos vies numériques peut parfois peser lourd, et nous stresser inutilement.

L’iPhone social

Il m’arrivait de jouer au Snake dans le métro, ou même de répondre à un SMS en marchant. Le regard des gens est très particulier. J’ai vu des personnes me dévisager ou placer un sourire en coin, après avoir jeté un œil à mon téléphone. C’est arrivé principalement dans des lieux "haut de gamme", comme certains bars, ou certaines boutiques. Serait-ce une honte de ne pas avoir un smartphone ? Heureusement, cela ne s’est produit qu’une ou deux fois, à part vos amis qui devraient vous charrier à l’occasion, le fait d’avoir un téléphone à 20€ en poche n’a pas d’énormes répercussions.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, je sortais parfois de chez moi sans mon téléphone. Je ne jugeais simplement pas utile de le prendre pour aller au supermarché du coin de la rue, à la laverie ou encore à la librairie. Chose totalement impensable lorsque j’avais mon iPhone.

Quoi qu’il en soit, j’ai aujourd’hui ramené mon iPhone à la vie. Pendant cette expérience, j’ai pris conscience de plusieurs choses. J’ai pu mesurer à quel point nous avons développé une sorte d’assuétude envers nos gadgets portables. Certaines épreuves sont perçues comme insurmontables sans smartphone, et pourtant, elles ne le sont jamais. Peut-être plus compliquées, mais une solution est toujours présente.

Le constat après ce mois sans iPhone est simple. Il est finalement difficile de se passer d’un smartphone au quotidien, une fois que l’on a réellement pris l’habitude de vivre avec. L’iPhone, au sens large, offre un confort de vie supplémentaire, il permet d’exécuter certaines tâches du quotidien de manière plus simple et plus rapide, en supprimant des étapes totalement inutiles. Il n’est pas indispensable, mais il est fortement appréciable. Est-ce qu’il faut alors le payer de sa tranquillité ? Certainement pas. Une solution simple est de supprimer les notifications du téléphone. Ou encore de simplement couper les données cellulaires du téléphone, et de ne l’activer qu’au moment où cette connexion est nécessaire. C’est radical, mais simple.

Cette expérience ne m’aura pas fait abandonner mon smartphone au profit d’un téléphone basique, mais m’aura ouvert les yeux quant à l’usage du smartphone. Utilisé avec parcimonie et contrôle, il garde son statut de compagnon intelligent, sans devenir une source de stress. Comme on le dit souvent, le problème se situe rarement au niveau de l’ordinateur en lui même, mais plutôt entre la chaise et l’ordinateur.

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