L'iPhone de Jamal Khashoggi utilisé pour l'espionner ?

Christophe Laporte |

Il y a deux mois, l’affaire Jamal Khashoggi défrayait la chronique. Ce journaliste saoudien était sauvagement assassiné à l’intérieur du consulat d'Arabie saoudite en Turquie. Une affaire sordide dans laquelle l’iPhone de Jamal Khashoggi semble avoir joué un rôle crucial.

A un moment donné, certains ont cru que l'Apple Watch de Jamal Khashoggi permettrait de faire remonter des informations dans le cadre de cette affaire

Proche du journaliste, Omar Abdulaziz, un autre dissident saoudien, a récemment attaqué en justice en Israël la société NSO Group, qui aurait mis à disposition des autorités saoudiennes toute sa technologie pour espionner Jamal Khashoggi.

NSO Group est une entreprise discrète dont le métier consiste à développer et vendre des solutions permettant d’accéder à distance et en toute discrétion aux données des smartphones.

À plusieurs reprises, elle a fait les gros titres de l’actualité high-tech pour "Pegasus", son malware qui jailbreak un iPhone puis installe des logiciels-espions sur l’appareil. Il suffit de pousser la victime à toucher un simple lien pour que Pegasus en récupère toutes les données (lire : Le malware Pegasus qui siphonne les données de l'iPhone en vente pour 50 millions de dollars).

Si l’iPhone de Jamal Khashoggi avait bel et bien été siphonné, alors les autorités saoudiennes n’ont sans doute eu aucun mal à être informées en temps réel de ses communications sur les applications de messagerie instantanée ou de ses déplacements.

Comme le signale le New York Times, ce n’est pas la première fois que le NSO Group fait l’objet d’une attaque en justice. Celui-ci est soupçonné d’avoir aidé les gouvernements du Mexique et des Émirats arabes unis à espionner des activistes et des journalistes à travers leurs smartphones. Les personnes en question n’étaient ni des criminels ni des agitateurs susceptibles de mener des actions violentes.

Habituellement peu bavard, le NSO Group a publié un court communiqué dans lequel il affirme mettre à disposition ses outils aux autorités gouvernementales, uniquement dans le but de lutter contre le crime et le terrorisme. La société assure qu'elle ne tolère aucune mauvaise utilisation de ses produits, et qu’en cas de doute, elle n’hésitera pas à enquêter et prendre les actions appropriées, comme suspendre ou rompre un contrat.

En Israël, la réglementation sur la vente de ce type d’outils est très encadrée, le spyware étant considéré comme une arme à part entière. Par conséquent, le NSO Group doit obtenir l’accord du ministère de la Défense avant de proposer ses outils à des gouvernements étrangers. Selon la presse israélienne, l’Arabie Saoudite aurait déboursé l’année dernière 55 millions de dollars pour utiliser les outils du NSO Group.

Dans les mois qui ont précédé l’assassinat de Jamal Khashoggi, les autorités saoudiennes ont également essayé d’attirer le plaignant Omar Abdulaziz, lequel est localisé au Canada.

Omar Abdulaziz

Il a été approché à plusieurs reprises par des émissaires saoudiens pour l’inciter à rentrer au pays, lui présentant deux scénarios assez différents. Le premier, assez radieux, s’il venait à revenir en Arabie-Saoudite, le deuxième, beaucoup plus sombre où Omar Abdulaziz finirait en prison après avoir été arrêté à un aéroport.

Tout comme Jamal Khashoggi, Omar Abdulaziz a décliné cette proposition et les autorités saoudiennes sont passées à la vitesse supérieure. Ce dernier aurait reçu un message l'invitant à suivre l'acheminement d'une livraison, laquelle permettait en fait au logiciel espion du NSO Group de s’installer discrètement. C’est un groupe de recherche de l’université de Toronto qui a averti Omar Abdulaziz que son téléphone a pu être hacké à ce moment-là.

Les autorités saoudiennes ont donc apparemment été informées des échanges réguliers entre les deux activistes par le truchement du téléphone d'Omar Abdulaziz. Mais pour ce dernier, il ne fait guère de doute que le téléphone de Jamal Khashoggi était également infecté.

CNN a publié des extraits de leurs conversations.

Suite à cette affaire et à d’autres, Amnesty International a essayé à plusieurs reprises, mais sans succès pour le moment, de faire retirer la licence d’exportation de systèmes de défense de NSO Group.

Dans un communiqué du 28 novembre, l'organisation révèle que le logiciel du NSO Group a été utilisé sur au moins un de ses membres pour tenter de l’espionner. Le ministère israélien de la défense a rejeté cette demande. Désormais, Amnesty International réfléchit elle-aussi à porter cette affaire devant les tribunaux !

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