Le Canard et les Echos racontent les coulisses de l'achat raté de Bouygues Telecom

Florian Innocente |

Les Echos et le Canard Enchaîné font le récit dans leurs éditions respectives des coulisses de l'acquisition ratée de Bouygues Telecom par Patrick Drahi. On se souvient que Martin Bouygues était ressorti de l'opération quelque peu auréolé de son refus d'un chèque de 10 milliards d'euros sur sa filiale et ses salariés.

De l'histoire que racontent les deux titres il ressort qu'il n'a peut-être pas manqué grand chose pour que cela se fasse. Qu'en tous cas Martin Bouygues n'était pas rigoureusement contre l'idée de vendre son opérateur.

Patrick Drahi et lui ne se sont rencontrés qu'une seule fois, c'était en janvier dernier, autour d'un dîner organisé par leur ami commun François Pinault, racontent le Canard et Les Echos. Après un échange qualifié de cordial, le patron d'Altice est reparti avec le sentiment qu'il y avait peut-être une carte à jouer. Même si Altice et Bouygues s'étaient affrontés l'année dernière autour de SFR.

Au bout de quelques semaines, une offre d'Altice à 8,5 milliards d'euros est proposée mais immédiatement rejetée. Il n'y a pas de contacts directs avec Martin Bouygues, ce sont François Pinault et Grégoire Chertock, un associé-gérant chez Rothschild qui conseille Bouygues, qui font passer le message. Le prix n'est pas assez élevé.

Le Canard Enchaîné précise que le directeur financier de Bouygues et Grégoire Chertock sentent qu'il y a une opportunité à jouer, quand bien même Bouygues Telecom n'est pas officiellement à vendre. Un chèque avec un chiffre « commençant par 1 » pourrait contribuer à améliorer le dossier. En parallèle il faudrait déminer le terrain vis-à-vis de l'Autorité de la concurrence. C'est là que la carte Free est utile puisqu'Iliad reprendrait une partie des actifs de Bouygues.

Plusieurs réunions ont lieu entre Altice et Free, sans la présence de leurs patrons respectifs qui ne s'entendent guère. Pour 2 milliards, Free reprendrait à son compte une partie du réseau de Bouygues et des boutiques. Un accord de principe est ainsi trouvé sans que Free n'ait discuté de la chose avec Bouygues.

Le 3 juin, Patrick Drahi relève son offre à 10 milliards et la soumet à Bouygues via son directeur financier. Elle est examinée de près en interne, sans le concours de conseillers extérieurs. Il n'y a pas de vente officielle de Bouygues d'annoncée et la discrétion reste de mise.

Trois semaines passent et aucune réponse n'arrive de Bouygues. Chez Altice on apprend cependant que le conseil d'administration de Bouygues va se réunir le 23 juin, soit trois jours plus tard. C'est à ce moment que l'opération fuite opportunément dans les colonnes du JDD. Le Canard enchaîné parle d'une confidence lâchée par Patrick Drahi pour pousser ses pions.

Entre l'offre déposée au début du mois avec un ultimatum d'une semaine et cette fuite dans les médias, les conditions furent réunies pour exaspérer Martin Bouygues. L'homme est décrit par le Canard comme étant d'une « humeur massacrante » vis-à-vis de cette opération. Est-ce qu'en manoeuvrant plus discrètement Patrick Drahi aurait connu une issue plus favorable ?

D'autres facteurs se sont peut-être additionnés pour lui compliquer la tâche, expliquent les Echos. Un timing qui ne convenait pas au gouvernement, désireux d'organiser des enchères sur les fréquences 4G de la bande des 700 MHz avec le plus d'acteurs possibles. La mise à l'écart aussi du ministère de l'économie jusqu'au dernier moment, avec Bercy qui souhaitait également attendre de voir dans quelles conditions la réorganisation de SFR allait être menée à son terme. Une pression peut-être du président de la République sur Martin Bouygues (dont l'entourage a toutefois soutenu qu'il restait souverain dans ses choix).

Toujours est-il que le conseil de Bouygues a repoussé l'offre par un « non catégorique », la personnalité et les méthodes de Patrick Drahi agissant comme repoussoir. Tout est question maintenant de voir si une offre reformulée sur le fond et la forme a quelques chances de faire changer d'avis le patron de Bouygues. Patrick Drahi pour sa part a rapidement assuré qu'il repartait à la recherche de « nouvelles cibles ».

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