Deux mois avec Android : notre verdict

Anthony Nelzin-Santos |

En attendant le retour de Microsoft et l'énième résurrection de Palm, RIM, Apple et Google sont les trois principaux protagonistes du monde du smartphone, avec BlackBerry, iOS et Android. Chez iGeneration, nous sommes « naturellement » utilisateurs d'iPhone, après avoir utilisé Windows Mobile, Palm OS, Symbian et BlackBerry.

Le fait de parler de plus en plus d'Android dans ces colonnes nous a amenés à nous procurer un téléphone équipé de l'OS de Google, d'abord pour savoir de quoi il en retournait et de pouvoir parler en connaissance de cause, mais aussi avec une petite idée derrière la tête : pour l'utilisateur habitué à l'iPhone, et plus encore à iTunes, Android est-il une alternative envisageable ?

Ce test n'est pas un test complet d'Android, ni un test matériel, et encore moins une comparaison frontale et aveugle avec l'iPhone et iOS : la variété des interfaces disponibles et des smartphones équipés de cet OS nous l'empêche. Il faut par contre indiquer que nous avons fait le choix d'un Nexus One équipé d'Android 2.2 Froyo, afin de tester un smartphone récent (entre l'iPhone 3GS et l'iPhone 4) avec une version « nue » d'Android, telle qu'elle a été conçue par Google. Loin d'un test exhaustif, il s'agit donc plutôt du ressenti d'un utilisateur d'iPhone après deux mois en compagnie d'Android (dont deux semaines comme seul et unique téléphone) sur les quelques points les plus importants : mises à jour, applications et boutique, synchronisation.

Premiers pas difficiles
Apple nous a habitués à un rituel immuable, à la limite du sacré : après un déballage minutieux, on branche l'iPhone à iTunes pour l'activer et le paramétrer rapidement. On le branche ensuite de temps en temps, d'abord pour sauvegarder ses données, ensuite pour mettre à jour l'appareil.

Le modèle Google est légèrement différent : au premier démarrage, on rentre les informations de son compte Google, qui devient alors associé au téléphone. Courriels, contacts, calendriers, et plus encore arrivent directement sur le téléphone. Quant aux mises à jour, elles sont « pushées » au téléphone sans fil, over-the-air (OTA).

En théorie, le modèle Android, qui coupe complètement le cordon avec l'ordinateur, est non seulement appréciable, mais a même des avantages sur celui d'Apple, qui ne l'emporte que sur la sécurité supplémentaire d'avoir une sauvegarde locale du contenu et de la configuration de son appareil. En pratique, il peut se révéler être un casse-tête.

SFR étant distributeur exclusif du Nexus One en France, il est censé en canaliser les mises à jour. L'appareil étant livré avec Android 2.1, nous avons donc attendu que le téléphone nous propose la 2.2, apportant quelques modifications cosmétiques, mais aussi et surtout un gain de performances visible notamment dû à l'adoption d'un compilateur juste-à-temps (JIT). Alors que notre test a commencé plusieurs semaines après la date de sortie prévue de cette mise à jour chez l'opérateur, rien.

L'ouverture d'Android est en effet toute relative une fois qu'elle est placée dans les mains des fabricants et des opérateurs. Comme ses collègues européens, SFR utilise une build spécifique d'Android, dont la mise à jour en 2.2 n'était pas prête. Il nous a donc fallu passer un après-midi et quelques sueurs froides à « rooter » notre Nexus One (perdant la garantie au passage) et à chercher plusieurs versions d'Android dans les recoins de l'Internet pour enfin jouer du Terminal pour passer d'Android 2.1 « SFR » à Android 2.0 « Google », puis Android 2.1 « Google », pour enfin se voir proposer la mise à jour officielle vers la 2.2, puis plus récemment vers la 2.2.1.

La plupart des utilisateurs ne se poseront jamais ces questions, jusqu'à rencontrer une application qui refusera de s'installer, la faute à une version incompatible d'Android. Mais pour un utilisateur iPhone habitué à la simplicité du processus de mise à jour et de restauration de son téléphone, et attiré par ce côté sans fil des mises à jour d'Android, ce fut une première douche froide. On savait qu'Android avait des racines UNIX, on n'espérait pas aller les voir et les manipuler dès les premières heures…

Bref, le modèle Google est certainement une excellente idée, mais tel qu'il est appliqué pour le moment, il n'est qu'un problème. On peut penser ce que l'on veut du modèle contrôlé d'Apple, mais pour le moment, celui de Google n'est pas beaucoup plus ouvert : au lieu d'un dictateur clair et identifié, Android est un conglomérat de petits chefs, opérateurs et fabricants, chacun tirant la couverture à soi. Il faut en être conscient : cette fragmentation est un des avantages d'Android (l'autre, qui est lié, étant son placement sous licence open source), mais c'est aussi son plus gros défaut.
[ pagebreak ]
Applications : du très bien, et du beaucoup moins bien
La bataille des smartphones se fait aujourd'hui largement sur le terrain des applications. Alors que l'App Store approche aujourd'hui les 300.000 applications, l'Android Market a dépassé les 100.000. Soyons francs : passé les 10.000 applications, on est à peu près sûr de trouver ce que l'on veut.

La différence viendra peut-être du nombre de choix disponibles pour chaque application : la masse des applications sur l'App Store offre une variété de choix, et permet à 2 ou 3 applications de se distinguer dans chaque catégorie. Dans l'Android Market, on est plutôt à une application majeure dans chaque catégorie : si elle ne plaît pas, on doit faire avec en attendant la concurrence. Et on doit remarquer un manque global de qualité dans l'Android Market, même si les choses semblent s'améliorer de jour en jour (lire : L'Android Market sous le feu des critiques). Sur ce point, l'App Catalog de Palm, pourtant moins bien fourni, semble plus poli, mieux fini, et globalement de meilleure qualité.

Alors qu'il y a moins d'applications dans l'Android Market, la navigation n'y est pas forcément plus aisée. En pratique, comme avec l'App Store, la première visite dans l'Android Market se fera donc en suivant le top 10 de chaque catégorie. La principale différence se fait du côté de la répartition gratuit/payant : entre 1 application sur 2 et 2 applications sur 3 sont gratuites sur l'Android Market, une proportion qui s'inverse presque sur l'App Store. Les applications payantes sur l'Android Market semblent cependant en moyenne plus chères que les applications payantes de l'App Store, sensation confirmée par certaines études (lire : Une étude sur les prix des applications mobiles).

À la manière de l'App Store, l'Android Market utilise un système centralisé de paiement : celui-ci utilise Google Checkout, qui associe une carte bleue à votre adresse Gmail. Le système est cependant assez capricieux (refus de notre carte bleue dans un premier temps, puis refus de certaines transactions) et pas particulièrement sécurisé (il ne demande pas de mot de passe lors des achats), mais a un énorme avantage sur l'App Store : il est possible de demander le remboursement d'une application dans les 24 heures qui suivent son achat. Cela donne largement le temps de tester une application et de demander son remboursement le cas échéant, procédure dont on se demandera toujours pourquoi elle n'est pas intégrée à l'App Store.

Il y a cependant une subtilité dans l'Android Market : les prix sont mondiaux, et si une application vient des États-Unis, vous ne la paierez pas en euros, mais bien en dollars. Cela explique l'apparition de prix comme « ~ 0,99 € », mais surtout l'application de la TVA lors de l'achat, à laquelle il faudra ajouter la commission que ne se gênera pas de prendre votre banque pour cette transaction à l'étranger. Ça surprend, et est un petit détail qui s'ajoute aux autres : l'Android Market est globalement beaucoup moins bien fini que l'App Store.

On se retrouve aussi face à des choses assez ubuesques : comme dans certains pays, l'Android Market ne propose pas d'applications payantes, certains développeurs privilégient le gratuit financé par la publicité (d'où cette proportion gratuit/payant, d'où aussi les questions sur la protection de la vie privée sous Android, les régies publicitaires étant grandes demandeuses de données sensibles). Une application aussi populaire qu'Angry Birds, par exemple, n'est ainsi disponible qu'en version gratuite, mais criblée d'une publicité aussi moche (mais vraiment) que mal placée (mais vraiment).

Les applications elles-aussi sont globalement moins bien finies que celles pour iOS : il est évidemment possible de faire des applications particulièrement affreuses pour iPhone, mais force est de constater que les éléments fournis par Apple permettent une certaine homogénéité sans jamais tomber dans l'uniformité pour autant : certaines commandes tombent naturellement sous la main. Il y a de très bonnes applications sous Android, il faut le reconnaître, mais chacune tente de réinventer l'eau chaude. Une va utiliser du texte blanc sur fond noir quand l'autre fera l'inverse, certaines vont placer des éléments de menus dans un tiroir coulissant quand d'autres vont choisir une barre glissante ou un menu conventionnel.

Même au sein des applications fournies par Google, la confusion règne : alors que l'application Gmail reprend la charte minimaliste du webmail, l'application e-mail (qui sert pour toutes les autres boîtes), adopte le thème noir et blanc très sobre et très confortable que l'on retrouve dans le reste du système (mais dans les SMS, tiens, qui adoptent un fond blanc). La plupart des menus sont cachés dans un tiroir à icônes ? Non, l'application Galerie, certainement la mieux finie d'Android, utilise un menu sous forme de bulle semi-transparente avec animations. Ces petites incohérences ne sauteront pas aux yeux de ceux qui viennent du monde Nokia par exemple, mais l'utilisateur habitué à l'iPhone les remarquera, parfois en se grattant le crâne.

C'est une impression globale d'Android : il y a du très bien — les widgets permettant l'activation rapide de fonctions et de voir rapidement certaines infos, la barre de notifications, qui rend les bulles d'iOS préhistoriques, la commande vocale performante et bien plus étendue que celle d'iOS ; mais aussi du moins bien — l'incohérence de l'expérience utilisateur, ce sentiment de travail inachevé. Certains pourront passer ces petits détails, d'autres non. Nous sommes dans le camp du non : nous devons avouer être complètement acquis au niveau de finition proposé par Apple.
[ pagebreak ]
Synchronisation OTA
Google est avant tout un géant du Web : il ne faut donc être étonné de retrouver tous ses services sur Android, de YouTube à Google News en passant par Latitude et Maps. L'élément central est cependant Gmail (ou Google Apps for your Domain) : votre téléphone est lié à votre compte, et votre base est la base de tous les services de synchronisation.

Courriels, contacts et calendriers Gmail sont donc synchronisés en push : si vous utilisez le service de Google, vous n'aurez aucun mal à utiliser un smartphone Android. Android est aussi compatible Exchange, avec les mêmes possibilités.

L'utilisation soit de Gmail soit d'Exchange ne pose aucun problème à un habitué de l'iPhone ou d'iTunes : celui qui n'a pas de compte MobileMe utilise probablement l'un des deux en push, et Gmail comme Exchange s'intègrent à Mail, Carnet d'adresses et iCal sur le Mac, et leurs équivalents sous Windows. La synchronisation se fait alors sans fil, de manière quasi instantanée : ce n'est pas révolutionnaire (l'iPhone le fait tout aussi bien), mais c'est appréciable (webOS, par exemple, avait parfois quelques problèmes avec Exchange).

Les choses sont plus compliquées pour l'utilisateur de MobileMe : les courriels sont relevés en IMAP, mais contacts et calendriers ne sont pas ajoutés. Seul l'iPhone est pleinement compatible avec MobileMe, qui n'est intégré à aucun autre OS, de manière semble-t-il volontaire (le module calendrier de MobileMe utilise CalDAV, un protocole open source qui pourrait être utilisé par Android).

Bref, une transition vers Android ne devrait pas poser de problèmes majeurs, sauf à utiliser MobileMe, service pour le moment taillé sur mesure pour l'iPhone. On doit d'ailleurs noter que la synchronisation ne nous a jamais fait défaut en deux mois d'utilisation (on aimerait en dire autant de MobileMe), même s'il y a parfois quelques petits soucis entre le Carnet d'adresses du Mac et celui de Gmail (des inversions de noms et prénoms).

L'autre grand point fort de la synchronisation OTA d'Android est le fait que chaque application peut venir se greffer à ce système : c'est le cas de Facebook, Twitter ou Skype. Les contacts de ces trois réseaux sont fusionnés avec votre carnet d'adresses global : en général, le système réussit bien à retrouver qui et qui et à placer les bonnes informations au bon endroit, même s'il y a parfois quelques doublons. Bien sûr, rien ne vous empêche de désactiver la synchronisation avec Facebook et Twitter pour éviter de faire enfler votre carnet d'adresses. Celle avec Skype est on ne peut plus intéressante : d'un clic, on peut passer un coup de fil Skype depuis son carnet d'adresses — on ne peut pas le faire sur l'iPhone.

Synchronisation avec le Mac
Si les utilisateurs d'iPhone ont bien souvent un compte Gmail et que cet aspect-là d'une éventuelle transition à Android est transparent, ce n'est pas le cas d'un autre aspect central de l'expérience iPhone : iTunes. Véritable hub, iTunes permet la sauvegarde, la synchronisation, la gestion des applications, l'ajout de morceaux de musique, et on passe. Rien de tel n'existe pour Android.

L'OS de Google mise en effet tout sur la gestion OTA : mises à jour, mails, contacts et calendriers donc, mais aussi sauvegarde. Puisque la plupart des données les plus importantes (boîtes mail, agenda et carnet d'adresses) sont sur le nuage, le seul élément à sauvegarder reste les applications. Android dispose d'un système permettant, lors de l'utilisation d'un nouveau téléphone, d'automatiquement restaurer toutes les applications téléchargées, et la plupart des paramètres. Le système reste cependant moins abouti que celui de l'iPhone qui nécessite certes une connexion à l'ordinateur, mais sauvegarde l'intégralité du téléphone.

La gestion des fichiers multimédia est une autre paire de manches : par défaut, le téléphone monte comme une simple mémoire USB. Après pas loin de dix ans d'iPod, on a pris certains automatismes — on peut l'appeler dépendance. Même sans avoir d'iPhone, pour peu que l'on gère ses médias dans iTunes (et le logiciel d'Apple, même s'il a pris de l'embonpoint, est certainement un des tout meilleurs gestionnaires de médias), ce retour en arrière est plutôt frustrant.

Certains développeurs ont cependant développé des solutions alternatives : la plus probante est certainement DoubleTwist, développé par Jon Lech Johansen, plus connu sous le nom de DVD Jon. Celui qui est connu pour avoir créé un logiciel capable de décrypter les contenus de DVD cryptés a développé une véritable alternative à iTunes. Même si l'on peut regretter qu'iTunes ne soit pas plus ouvert, alors qu'il l'était avant la naissance de l'iPod, DoubleTwist fait l'affaire, allant jusqu'à complètement le remplacer.

Il reprend les grandes lignes de l'interface d'iTunes, s'intègre à sa bibliothèque, et permet de synchroniser morceaux de musique, films et photos avec son smartphone Android. Il intègre Amazon MP3 pour l'achat de morceaux. Google aurait pu développer un logiciel de synchronisation intégrant l'Android Market mais surtout un système de sauvegarde complet de son téléphone, mais Android est suffisamment ouvert pour permettre l'utilisation de solutions tierces, heureusement performantes.

Conclusion
Bref, cette expérience avec Android du point de vue d'un utilisateur iPhone se conclut sur une note mi-figue mi-raisin.

Il y a du bon dans l'OS de Google : alors que l'iPhone cloisonne les fonctions dans des applications, le système mixte bureau/applications d'Android permet d'effectuer certaines tâches et d'accéder à certaines informations sans lancer d'applications. La recherche vocale fonctionne bien, tout comme l'intégration des différents comptes de courriels, calendriers et contacts. Le tout fait du système de Google un système agréable au quotidien, et un peu plus tourné vers l'Internet que ne l'est l'iPhone, peut-être plus centré sur lui-même.

Mais il y a aussi du moins bon dans l'OS de Google. Toutes les petites choses qui ne sauteront pas aux yeux de celui qui vient de Symbian ou de BlackBerry (ou de la masse des clients d'Android qui viennent du featurephone à « OS » basé sur Java) s'imposent à l'utilisateur habitué à la philosophie Apple. L'iPhone représente une bonne balance entre contrôle et ouverture, penchant parfois plus d'un côté, parfois plus de l'autre : il offre une interface cohérente, autorisant les développeurs à sortir largement des clous (et donc à casser une tendance plus naturelle à l'homogénéité), tout en fournissant des éléments permettant de ne pas toujours réinventer la roue.

On peut pourtant faire de bonnes interfaces dans Android : la Galerie offre une interface moderne et attractive, alors que le client mail se fait plus reposant (le mode blanc sur noir est un must) et productif, avec un code couleur efficace. On pourra arguer qu'Android pousse à la diversité : certes, mais cette diversité tend à l'épouvantail, et finit par distraire. La création de surcouches ne vient certainement pas de nulle part.

Bref, on peut dire beaucoup de bien d'Android, comme on peut en dire beaucoup de mal. Il faut seulement veiller à ne pas tomber dans le piège de l'ouverture à toutes les sauces : oui, Android est open-source, oui, il est globalement plus ouvert qu'iOS, qui tire justement sa force du contrôle exercé par Apple. Mais Android n'est pas ouvert dès lors qu'il est installé sur un téléphone : le passage par un fabricant, puis un opérateur, casse cette dynamique. Qu'est-ce qui est le moins ouvert : attendre une mise à jour qui ne viendra peut-être jamais et finir par rooter son téléphone pour la faire, ou devoir connecter son téléphone à iTunes ? Android n'est pas ouvert, il est permissif, et c'est ce qui fera la différence pour certains.

L'utilisateur iPhone qui n'a pas mis ses billes dans MobileMe et pas trop d'argent dans l'App Store pourra envisager Android. S'il est habitué à iTunes, DoubleTwist fera l'affaire, mais cela concerne peut-être un peu plus le Mac-User que l'habitué de Windows. Tout ne sera en fait qu'affaire de goût, écosystème fermé relativement permissif (Android Market et autres boutiques) contre écosystème fermé moins permissif (App Store), l'un proposant une expérience globalement plus cohérente et mieux finie quand l'autre offre le choix du modèle de téléphone et la facilité de passer d'un modèle à un autre. Il y a du choix et c'est tant mieux, le reste n'est qu'affaire de goût — et les goûts et les couleurs…

Accédez aux commentaires de l'article