RIM sous la critique d'une lettre ouverte anonyme

Florian Innocente |

BGR publie la lettre ouverte d'un cadre de "haut rang" chez RIM (le site dit en avoir vérifié l'identité, mais il ne peut la révéler) qui liste une série de dysfonctionnements chez le fabricant canadien, avec quelques suggestions pour y palier. À la lecture du texte, le chantier est toutefois assez lourd, il va de la refonte des produits à la culture même de l'entreprise. Sitôt publiée, RIM a tenté d'apporter une réponse à cette missive anonyme.

L'expérience utilisateur

Considérons ce qui est le mieux pour l'utilisateur final. Nous prenons souvent des décisions sur les produits en se basant sur des alignements stratégiques, les demandes de partenaires ou même des avis juridiques - l'utilisateur final s'en fout. Nous devons simplement admettre qu'Apple est à fond là-dessus et c'est l'une des raisons pour lesquelles ils ont des gens qui font la queue la nuit devant des magasins du monde entier, et que leurs produits sont en rupture de stock pendant des mois. Ces gens ne sont pas des zombies hypnotisés, c'est simplement qu'ils aiment des produits magnifiquement conçus, qui sont centrés sur l'utilisateur et qui fonctionnent comme ils sont supposés le faire. Android a une faiblesse majeure - il lui manquera toujours la simplicité et l'élégance qui découle d'un contrôle de bout en bout du matériel au logiciel. Nous avons vraiment une grande opportunité pour construire quelque chose de nouveau et de "spécifiquement BlackBerry" avec la plateforme QNX” (lire aussi RIM préparerait ses smartphones QNX).

Le salarié en appelle à une renaissance du goût pour l'innovation au sein des équipes au lieu de chercher à tout prix à avoir les mêmes fonctionnalités qu'en face ou à essayer de se différencier à tout prix et sans bonnes raisons (il cite le cas de Flash comme exemple de l'ajout de fonctionnalités pas forcément essentielles). “Quand a-t-on sorti pour la dernière fois une nouvelle expérience utilisateur ou une fonction majeure qui n'existait pas déjà sur les autres plateformes ?” Il suggère au passage aux dirigeants de RIM d'utiliser pendant quelques jours les produits concurrents pour comprendre ce qui plaît tant à leurs clients.

De nouveaux responsables d'équipes

Il préconise ensuite de décharger de leurs responsabilités des chefs d'équipes qui n'ont d'autre légitimité que leur ancienneté dans l'entreprise. Ils sont toujours en place alors même qu'ils ont montré qu'ils n'avaient pas les compétences requises ou qu'ils ont échoué sur certains projets (il cite l'exemple du lancement du BlackBerry Storm, perclus de bugs). Personne ne rend de comptes, les équipes sont démotivées, elles ne communiquent pas entre elles, et pourtant les gens chez RIM bossent sans compter leurs heures.

Soigner les développeurs

Si nous créons d'excellents outils, nous verrons d'excellentes réalisations. Si nous offrons des outils de merde, ne soyez pas surpris de voir des apps de merde […] Les applications pour les smartphones BlackBerry sont nulles. Même le PlayBook, avec toute sa puissance, a l'air d'un jouet Fisher Price avec ses applications Flash/Adobe AIR”.

La critique suivante porte sur les relations avec les développeurs (sur lesquels il faut investir de toute urgence) et sur les outils de développements (le SDK est comparé à un vieux 4x4 Ford des années 1990). Pour ce salarié, les outils de développement de RIM ne résistent pas à la comparaison face à ceux d'Apple, mais personne n'ose le dire franchement à la direction. Même les premiers concernés, les éditeurs partenaires de RIM, ne le feraient qu'à demi-mot vu qu'ils tirent des revenus des développements commandés par le fabricant. Conseil : recruter des pointures dans la mise au point de SDK (lire aussi Des développeurs lassés par la plateforme de RIM).

Créer le désir

25 millions d'utilisateurs d'iPad se contrefichent de ne pas avoir Flash ou un vrai multitâche, alors pourquoi en faire le point central de nos campagnes ?” Réponse de l'auteur de la lettre, car ce sont les seuls points de différentiation des produits de RIM et de son marketing assoupi. Il juge aussi, à propos de ce marketing, qu'on ne créé pas du désir en parlant de la supériorité technique d'un produit “Combien de portables Linux sont vendus ? Comment cela s'est-il terminé pour le Betamax. Ma mère veut un iPad et un iPhone simplement parce qu'ils lui font envie. Un multitâche sophistiqué, non”.

Il aimerait voir RIM redéfinir sa communication en mettant en avant les valeurs de la société ce qu'elle représente (ce qu'Apple a fait par exemple avec Think Different, ndr) “Les gens s'attachent à une marque ou à un produit pas seulement pour ses fonctionnalités, mais pour ce qu'ils expriment et ce qu'ils leur apportent”. Il renvoie à ce sujet vers la vidéo d'une mini conférence de TED 2010 (à la 2e minute) où Simon Sinek, un consultant marketing, explique que toute organisation ou entreprise sait expliquer ce qu'elle fait, son domaine d'activité, qu'elle peut éventuellement expliquer comment elle le fait, mais que très peu savent dire 'pourquoi' elles le font (gagner de l'argent n'étant que le résultat de cette action), c'est-à-dire ce qui sous-tend leur activité, ce qui justifie leur existence, ce en quoi elles croient (lire aussi Pourquoi les gens aiment les produits Apple à propos de cette démonstration de Sinek).

Nouvelle direction

Autre grief, la direction à deux têtes de RIM. Deux hommes - Jim Balsillie et Mike Lazaridis, tous deux co-CEO - qui se sont gaussés de l'arrivée de l'iPhone, expliquant qu'Apple voulait mettre un ordinateur dans un téléphone, et que cela ne marcherait jamais. C'est à cette époque qu'aurait dû être engagée la transition de BlackBerry OS vers QNX “Nous avons maintenant 3 à 4 ans de retard”. Il propose aux deux dirigeants de RIM de recentrer leurs responsabilités sur un ou deux domaines précis et de confier la direction générale de l'entreprise à un nouveau PDG ayant un regard neuf.

Il s'agit aussi de redéfinir les projets, de réduire leur nombre, de savoir dire non, de replacer le client au centre des préoccupations plutôt que de répondre d'abord aux demandes des opérateurs. Enfin il les enjoint d'écouter les doléances de leurs équipes, sans qu'elles craignent de subir les conséquences de leur franchise. Et accessoirement de faire de RIM un lieu de travail agréable “Certains de nos bureaux donnent l'impression d'être à l'époque de l'ex-Union Soviétique”.

RIM répond

RIM n'a pas tardé à réagir à cette volée de critiques en offrant une réaction sur le site de l'entreprise. Cela commence par une mise en doute des réelles motivations de cet employé à vouloir vraiment faire bouger les choses. Plutôt que de s'adresser de manière anonyme à un site d'actualité il aurait été plus logique de discuter directement avec les personnes concernées explique le billet. RIM met ensuite en avant la transition système qui a été engagée et bien qu'elle ait pris plus de temps que prévu, la société estime que ses équipes sont motivées et optimistes. Sont aussi cités quelques résultats financiers positifs, malgré des déconvenues sur la croissance du marché américain. Mais en résumé, si la société reconnaît que les temps ont été agités, tout ne va pas si mal…

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