Mais où sont les iBeacons ?

Stéphane Moussie |

Combien de fois vous êtes-vous servis d'iBeacon ? Avez-vous même utilisé cette technologie ne serait-ce qu'une seule fois ? Non ? Force est de constater que deux ans et demi après son lancement par Apple, iBeacon n'a toujours pas décollé. Ces petites balises Bluetooth qui envoient automatiquement des informations aux smartphones alentours devaient notamment révolutionner le commerce. Où (en) sont les iBeacons aujourd'hui ?

Une toute petite minorité de boutiques équipées

Selon une enquête menée par Forrester cette année, uniquement 3 % des commerçants américains utilisent des balises Bluetooth. Et à l'avenir ? Seulement 16 % prévoient d'essayer ces produits à moyen terme.

« C'est très décevant », commente pour Bloomberg Hari Gottipati, un consultant indépendant qui croyait en cette technologie à ses débuts. « Dans les nombreux centres commerciaux où je me rends, je ne vois pas autant de balises que je m'y attendais. »

Crédit Jonathan Nalder CC BY

Pour être sûr de recevoir une notification iBeacon, il faut se rendre dans un Apple Store. La firme de Cupertino a montré l'exemple en équipant l'intégralité de ses boutiques américaines en seulement six mois. Résultat, selon Reveal Mobile, les Apple Store comptent pour environ 15 % des commerces équipés.

Et en France ? « Le marché en est à ses débuts », déclare Patrick Chatanay, cofondateur et CEO d'Ezeeworld, une entreprise spécialisée dans « la transformation mobile et digitale ». Et de préciser : « Nous avons aujourd’hui un parc de plus de 12 000 beacons déployés en France et notre technologie est utilisée par plus de 13 millions de porteurs d’applications mobiles ». Ezeeworld a comme clients La Poste, Maison de la Presse, Vente Privée Le Pass, ou encore E.Leclerc.

Pas de soutien d'Apple, mais de nouvelles initiatives de Facebook et Google

Si Apple a été la première à lancer cette technologie, elle ne l'a en revanche jamais vraiment promue. Pas de campagne marketing, pas de mise en avant des apps compatibles dans l'App Store, pas de balise Apple commercialisée malgré l'existence d'un modèle en interne... On a connu la firme de Cupertino plus offensive pour promouvoir l'une de ses technologies.

Une balise Apple distribuée dans son réseau de magasins et prête à l'emploi permettrait sans nul doute de remettre sous les feux de la rampe la technologie, mais cette idée n'enthousiasme guère les acteurs du secteur.

Le mode d'emploi de l'iBeacon Apple, uniquement destiné aux développeurs afin qu'ils testent leurs applications.
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« Apple n’a pas vocation, a priori, à proposer des matériels iBeacon, mais plus à proposer un environnement logiciel favorisant l’usage autour de son univers produit », défend Patrick Chatanay interrogé par nos soins. Une entrée en fanfare d'Apple sur le marché matériel serait synonyme de rude concurrence pour les entreprises comme Ezeeworld qui vendent leur propre balise.

Mais on en est loin. Apple est allée vite au début, mais cet effort ne s'est pas inscrit dans la durée. « La norme iBeacon a peu évolué », note le dirigeant français. Si Cupertino ne semble plus se soucier d'iBeacon actuellement, d'autres mastodontes ont lancé des technologies similaires.

En juin dernier, Facebook a sorti ses propres Bluetooth Beacons, des balises gratuites qui permettent aux commerçants de « se connecter à leurs clients ». Quand un client se trouve dans le champ d'une balise Facebook, des informations sur la boutique visitée sont automatiquement proposées dans l'application mobile du réseau social. Cette initiative est toujours réservée à « un nombre limité » d'entreprises aux États-Unis.

En juillet, c'est Google qui a dévoilé Eddystone, un iBeacon open source fonctionnant aussi bien avec Android qu'iOS. Autre particularité : il peut émettre une URL, ce qui évite d’avoir à installer l’application du commerçant puisqu’il suffit d’avoir un navigateur pour accéder au contenu.

La pertinence en question

L'arrivée de Facebook et Google va-t-elle suffire à redynamiser le secteur ? En tout cas, ce ne sont pas les usages qui manquent. Le commerce est le domaine le plus représenté, mais ce n'est pas le seul. Patrick Chatanay explique qu'à l'avenir, « les clients de La Poste [auront] la possibilité de signaler leur présence à proximité du bureau pour récupérer plus rapidement un colis ou un recommandé, ou indiquer leur arrivée pour un rendez-vous avec un conseiller. »

On a vu aussi une expérimentation dans des stades de baseball aux États-Unis. L'intérêt était de parvenir à localiser les spectateurs sans les contraintes d'un GPS peu efficace en intérieur. L'entreprise next2u propose quant à elle de tirer parti d'iBeacon pour des expositions ; des contenus multimédias sont « poussés » sur smartphone lorsque l'on s'approche des œuvres exposées. Et il y a aussi des usages domotiques.

Beacon for Store, la solution iBeacon d'Ezeeworld. Cliquer pour agrandir

Malgré cette large palette de possibilités, le peu d'engouement général autour d'iBeacon interroge sur la pertinence même du concept. « Les commerçants sont globalement conscients de la nécessité qu’il y a à changer les codes et les usages du commerce physique, principalement en raison de la place grandissante des places de marché et de la multiplicité des canaux d’achat, soutient le CEO d'Ezeeworld. Les concepts de l’omnicanal renforcent totalement cette idée et donc la nécessité de travailler sur une vision 360° du client. »

Mais le client a-t-il envie d'être vu sur 360° ? On peut penser que non quand des commerçants américains ne veulent pas trop faire savoir qu'ils utilisent avant tout les balises pour collecter des données sur leurs clients, comme le rapporte Bloomberg. « Les nouvelles technologies peuvent faire peur », tente de justifier un cadre de Kontact.io, une entreprise qui vend des balises.

Sans même parler d'une éventuelle peur d'être suivi à la trace, les consommateurs ne veulent apparemment pas être dérangés par des messages promotionnels quand ils font du shopping. D'après une étude d'InMarket, les gens arrêtent d'utiliser les applications qui leur envoient plus d'un message de ce type.

Mais pour ça, il faut déjà que le client ait l'application du magasin, sans quoi la balise Bluetooth envoie des signaux dans le vent. Et les applications des commerçants ne font pas partie des plus populaires de l'App Store.

À tout cela, il faut ajouter l'arrivée d'Apple Pay. Ce service de paiement couvre ou couvrira bientôt les principaux aspects commerciaux d'iBeacon. Apple Pay permet de payer de façon plus traditionnelle (et donc sûrement plus rassurante) que le système Bluetooth imaginé par PayPal où l'on ne sort même pas le smartphone de sa poche.

Le nouveau service d'Apple est aussi moins intrusif. Pas d'iPhone qui vibre quand on passe à proximité d'une boutique, c'est l'utilisateur qui consulte ses cartes de fidélité (fonction à venir bientôt) dans l'app Apple Pay quand il en a envie. Et accessoirement, Apple Pay est plus rentable pour la firme de Tim Cook, qui empoche une commission à chaque achat. Quant à l'usage domotique d'iBeacon, HomeKit est également passé par là.

iBeacon était-il seulement un ballon d'essai pour Apple ?

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