La Cnil s’inquiète de l’extension du passe sanitaire

Anthony Nelzin-Santos |

Après deux avis circonspects mais prudents, la Cnil renâcle plus franchement maintenant que le gouvernement veut étendre la portée du « passe sanitaire ». Alors que le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire est examiné en urgence à l’Assemblée nationale, l’autorité gardienne des libertés individuelles invite la représentation nationale « à s’interroger de façon précise sur les lieux où le passe sanitaire s’avère réellement nécessaire ».

Image Adam Nieścioruk (Unsplash).

En mai, la Cnil tolérait un passe sanitaire « limité aux évènements impliquant de grands rassemblements de personnes », excluant qu’il puisse concerner les « activités de la vie courante ». En juin, l’autorité administrative indépendante craignait que le passe sanitaire soit demandé aux salariés des lieux concernés par les mesures gouvernementales.

En juillet, la Cnil doit avouer son impuissance, puisque le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire ignore ses deux avis. L’autorité déplore que le gouvernement ne l’ait pas consulté, ce qui n’était certes pas obligatoire, et décide « par transparence » de publier la transcription de l’audition de sa présidente devant la Commission des lois du Sénat.

Marie-Laure Denis explique que « l’extension proposée du passe sanitaire dépasse l’enjeu sanitaire ». Comme nous le faisions au début de la pandémie, la présidente de la Cnil craint l’effet de cliquet. « Le volontariat pourrait devenir une obligation après une seconde vague épidémique », disions-nous, « des mesures de contrôle individuel pourraient être ajoutées à l’occasion d’un deuxième confinement ».

Chaque « vague » épidémique a été l’occasion d’un nouveau coup de cliquet. La Cnil interroge aujourd’hui « la frontière entre ce qui relève de la responsabilité individuelle et ce qui relève du contrôle social. » Marie-Laure Denis pointe les dangers de la confusion :

Il y a un risque certain d’accoutumance à de tels dispositifs de contrôle numérique, de banalisation de gestes attentatoires à la vie privée, de glissement, à l’avenir et potentiellement pour d’autres considérations que la seule protection de la santé publique ici recherchée dans un contexte exceptionnel, vers une société où de tels contrôles seraient la norme et non l’exception.

Il me semble donc important d’alerter sur le risque de créer un phénomène d’accoutumance préjudiciable qui pourrait conduire, demain dans un tout autre contexte sanitaire, à justifier qu’on ait recours à un dispositif de contrôle numérique analogue pour contrer toute épidémie particulièrement contagieuse. À partir de combien de morts devra-t-on se poser la question de franchir le pas alors que la tolérance de la société au risque diminue ? Si, malheureusement, nous devions vivre encore plusieurs années avec des variants successifs du coronavirus, le passe sanitaire a-t-il vocation à être prolongé de trimestre en semestre ou y renoncerons-nous pour affronter la crise en maintenant des conditions de vie plus normales, malgré l’impact sanitaire ?

« Le rebond de l’épidémie peut justifier des mesures exceptionnelles », concède la Cnil, « mais l’extension du passe sanitaire doit être paramétrée au plus près ». Marie-Laure Denis pense que la loi devrait prévoir « une évaluation rigoureuse et scientifique » des mesures disponibles pour supprimer celles devenues inutiles et mieux articuler les autres.

Est-il bien sérieux de laisser son numéro de téléphone dans un cahier de rappel exposé aux quatre vents ? Les risques sont-ils les mêmes dans une immense salle de concert à moitié vide et une petite gargote bondée ? Faut-il suivre les personnes mineures de la même manière ? Le passe sanitaire pourrait être un filet de secours plutôt qu’une première ligne de défense.

L’autorité demande des précisions et des garanties sur le contrôle de l’identité du porteur du passe, le traitement des données médicales par les employeurs, le délai de conservation des fichiers, et le maintien d’une version papier. Dans tous les cas, la Cnil rappelle l’impératif absolu « que le dispositif soit limité dans le temps », ce qui est aujourd’hui le cas.

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