Comment Google a manœuvré pour contrer Epic Games et protéger son Play Store

Félix Cattafesta |

Si la guerre entre Apple et Epic nous a pas mal occupé, nous avons assez peu parlé de celle qui oppose Google à Epic. Depuis plusieurs mois, le développeur de Fortnite a enclenché une démarche antitrust contre la firme de Mountain View et The Verge a consulté le document, tout comme Protocol. Cela permet d'en savoir un peu plus sur ce qui se trame dans les coulisses de Google Play.

Sur Android, il est assez courant que les constructeurs développent leurs propres boutiques (Samsung Galaxy Store, Huawei App Gallery), et Google a voulu empêcher que celles-ci ne fassent trop d'ombre à son Play Store maison.

L'entreprise a donc lancé un programme « Premier Device » permettant aux fabricants de recevoir une plus grande part des revenus du moteur de recherche, qui passent alors de 8 à 12%. En échange, ces partenaires devaient accepter de commercialiser leurs smartphones sans aucun autre magasin d'applications que le Google Play Store de préinstallé, ni aucune application ayant les droits pour installer des fichiers APK.

Comme on peut le lire dans la plainte déposée par Epic, cette initiative a été un succès. Quelques mois après le lancement, une majorité des fabricants les plus populaires avaient rejoint le programme. On retrouve notamment LG et Motorola, qui ont engagé la quasi-totalité de leurs appareils, respectivement 98% et 95% (LG, depuis, a jeté l'éponge sur le marché du smartphone). Du côté du groupe chinois BBK (Oppo, Vivo, OnePlus), 70% des téléphones participaient à ce programme. D'autres marques comme Sony (50%), Sharp (50%) ou Xiaomi (40%) sont également concernées.

Le Google Play Store.

La plainte d'Epic a aussi permis de mettre en lumière le « Project Hug » ("Projet Calin") de Mountain View, qui fut lancé en 2019 lorsqu'Epic a fait sécession du Play Store pour créer sa propre boutique d'applications.

Google a pris peur à l'idée qu'Epic ne soudoie les constructeurs, comme Samsung, pour livrer des téléphones avec cette nouvelle échoppe préinstallée. Sur le long terme, cela aurait pu motiver d'autres éditeurs à passer leurs applications chez Epic Games et à ne plus payer la taxe Google de 30%. Le géant avait estimé à 6 milliards de dollars la perte potentielle de chiffre d'affaires si Epic Games entrainait suffisamment d'éditeurs dans son sillon.

Pour éviter ce funeste destin, ce fameux « Projet Câlin » a été mis en branle. Il a été décrit par des responsables d'Android comme « une stratégie pour se rapprocher et montrer de l'affection aux développeurs », ce que l'on peut traduire par « envoyer des brouettes de dollars aux développeurs susceptibles de partir ou de créer leurs propres magasins ». Ce deuxième plan a lui aussi été un succès et a été signé (entre autres) par Activision-Blizzard.

Protocol pour sa part reprend des passages du document qui ont été déclassifiés. Ils révèlent que Google a un temps envisagé d'approcher Tencent — important actionnaire d'Epic — avec deux options en tête. Soit racheter au groupe chinois les 40% dont il dispose dans le capital d'Epic Games afin d'obtenir davantage de contrôle sur la stratégie de l'éditeur, soit de s'allier à Tencent afin d'acheter les 60% restants dans le cadre d'une OPA hostile. Deux scénarios élaborés dans l'hypothèse où Epic Games n'accepterait pas un accord amical avec Google.

Tim Sweeney, patron co-fondateur d'Epic Games

Enfin, un autre passage du document parle d'un rendez-vous entre Apple et Google en 2018 pour discuter de l'accord financier qui lie les deux entreprises autour de l'utilisation du moteur de recherche. À l'issue de la rencontre, le représentant d'Apple a proposé à un haut cadre de Google de « travailler comme si on ne formait qu'une seule entreprise » pour lutter contre les efforts d'Epic Games visant à faire bouger les règles et le taux de commission des boutiques d'apps.

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