App Store : quand l'usage de la publicité faisait débat au sein d'Apple

Florian Innocente |

La publication d'un échange de mail entre deux cadres d'Apple — dans les remous du procès avec Epic — montre que l'idée de mettre de la publicité dans l'App Store bouillonnait au sein de la Pomme, mais qu'elle n'était pas simple à vendre aux propriétaires d'iPhone. Apple, et Tim Cook le premier, les ayant biberonnés avec l'idée que la Pomme leur épargnerait ce type de contenu dans ses produits vendus à des tarifs élevés.

Depuis 2016, avec les Search Ads, Apple placarde de la publicité dans l'App Store et cette semaine encore, ce programme proposé aux éditeurs pour que leurs apps gagnent en visibilité, a trouvé un nouvel emplacement. On en avait dans les résultats de recherche, on en a aussi dans les suggestions.


En bleu, en haut à gauche et en bas à droite (c'est le tout nouvel emplacement), les encarts pub dans l'App Store

Fin février 2015, David Neuman, ingénieur chez Apple, envoie à son collègue Eric Friedman, responsable de la lutte contre la fraude sur l'App Store, un lien vers l'annonce par Google de l'arrivée d'un programme pilote de publicités dans Google Play.

Dans son mail, Neuman exprime son souhait qu'Apple reprenne l'idée et fasse de même. Ce à quoi son interlocuteur répond que le principe de payer pour promouvoir une app serait en effet « formidable ». Justement l'idée a plusieurs fois flotté dans l'air, dit-il, comme un moyen de lutte contre le trucage des classements.



« Si les gens sont disposés à payer des "sociétés de marketing" (des bots) pour améliorer leur position, pourquoi est-ce qu'on ne leur permettrait pas de nous payer, nous, pour obtenir la même chose ? » fait observer Eric Friedman ?

Malheureusement personne chez Apple n'est encore prêt à le faire, le sujet est délicat, même si le faire de cette manière aurait le mérite de la transparence.

Friedman estime par ailleurs que le système des classements sur l'App Store ne remplit absolument pas son rôle d'outil de découverte d'apps pour les utilisateurs, ou vraiment très à la marge. Dans la plupart des cas il n'est que le reflet du travail de bots et d'utilisateurs qui ont fait monter des apps sur les podiums en suivant des incitations promotionnelles à les télécharger.

En définitive, les seuls à qui ces classements sont utiles, conclut Friedman, ce sont les protagonistes de ce marché, les développeurs, qui peuvent voir quel type d'apps ils peuvent essayer de suivre, ou des investisseurs.

Il cite le cas d'un changement effectué sans prévenir dans l'algorithme du classement des apps payantes qui en a défavorisé l'une des vedettes, Big Fish Casino. Son éditeur a soudainement paniqué car cela contrariait d'un coup ses projets de lever de nouveaux fonds auprès d'investisseurs. « Ce n'est plus un outil de découverte pour les utilisateurs », conclut Eric Friedman. Ce dernier, dans sa déposition pour le procès avec Epic, avait déjà eu des mots durs, cette fois pour la validation des apps.

Face à ce constat, David Neuman répond qu'Apple pourrait publier sur son site une lettre ouverte à propos des challenges que représentent la découvertes d'apps sur un App Store, et de quelle manière la publicité organique pourrait être l'une des solutions. Ensuite Apple pourrait joindre les actes à la parole en activant ces pubs, tout en reléguant les classements dans un écran distinct.

Friedman acquiesce à l'idée, les « développeurs adoreraient » mais il soulève un problème : « Tim dit à tout le monde que nous créons des produits remarquables sans monétiser les utilisateurs. Les pubs seraient une assez étrange manière de faire » . Les écrans de recherche et d'exploration du catalogue sont de bien meilleurs outils, selon lui, alors que le principe de popularité comme fonction de classement sur l'Apple Store est qualifié de « stupide ».



Cette notion de ce qui est populaire ou pas peut fonctionner pour la musique, mais ce que les utilisateurs cherchent vraiment, dit-il, ce sont des apps utiles, de grande qualité et bichonnées par leurs développeurs, plutôt que des apps simplement populaires.

L'un de ses collègues, conclut Eric Friedman dans ce mail, a développé un modèle informatique pour trier le bon grain de l'ivraie entre les apps, avec autant de pertinence que l'équipe éditoriale de l'App Store. Il traque aussi les copiés-collés d'apps à grande échelle et sait mesurer finement la réputation d'un développeur : « La seule manière de tricher avec ce système consiste à être un développeur qui se démène pour faire de très bonnes apps, utiles et que plein de gens gardent sur leurs appareils »…

Ce court échange ne suffit pas à comprendre comment Apple a finalement décidé de mettre de la pub dans sa boutique l'année suivante, quand bien même il s'agit de réclames exclusivement pour le contenu de l'App Store, mais elle éclaire certaines réflexions qui ont eu lieu au sein des équipes ou au niveau de quelques individus.

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