La télécommande zappe de plus en plus les chaînes françaises

Florian Innocente |

L'innocente télécommande des téléviseurs devient un véritable cheval de Troie des plateformes de streaming américaines, déplorent plusieurs responsables de chaines de télévision françaises qui ne peuvent lutter face aux accords signés directement entre les Netflix, Amazon, Disney et les fabricants de téléviseurs.

Le Figaro se fait l'écho de cette domination implacable qui voit les chaînes françaises perdre de leur visibilité à la fois sur les télécommandes et dans l'interface des téléviseurs connectés. En cause, les accords de poids lourds noués entre les fournisseurs de contenus tels que Netflix, Disney+, Amazon, YouTube et les fabricants tels que Sony, Samsung, LG sans oublier les opérateurs et leurs box.

Une télécommande light, certaines aujourd'hui ont 6 ou 8 boutons vers des services

Depuis quelques années les services de streaming ont leur bouton dédié sur les télécommandes, qui sont autant d'appels à zapper les chaînes classiques. Pire, comme le fait remarquer dans l'article un haut responsable d'une grande chaine, le pavé numérique a parfois été retiré : « Chez Samsung, le numéro un mondial du marché, le design des nouvelles télécommandes est encore plus radical. Il intègre des touches Netflix, Amazon et Rakuten, mais le traditionnel clavier de numérotation, lui, a disparu ! ». Pour aller sur TF1 ou France 2 il faut utiliser un bouton à puces colorées qui affiche le pavé numérique à l'écran et les chaines se retrouvent reléguées au rang d'options secondaires.

Cette mise à l'écart se poursuit sur l'écran des téléviseurs connectés où l'affichage des services n'est pas le fruit du hasard mais de négociations au niveau mondial dont les montants sont hors de portée des chaînes françaises : « Une plateforme comme Salto, par exemple, n'aura jamais assez d'argent pour avoir sa place sur la télécommande ou s'afficher en pole position des écrans de télé » constate l'un des actionnaires de la plateforme française qui réunit TF1, France Télévision et M6.

Il est loin le temps où lorsqu'on allumait son téléviseur en France, il mettait automatiquement la première chaîne (ce qui n'avait pas manqué de faire des remous lorsque celle-ci fut privatisée et que la concurrence s'installa dans le PAF)…

Ce favoritisme n'est pas le propre des services américains. Il y a eu le cas des abonnés à une box SFR en 2019 qui ont vu soudainement l'une des chaînes du groupe (BFM, BFM Paris, etc) apparaître en premier à chaque allumage. Ce n'était pas un bug mais un moyen tout à fait légal pour Altice de pousser vers ses contenus. Toutefois un réglage permet de le débrayer.

Entre ces raccourcis et l'irruption des géants américains dans les droits sportifs — Amazon avec la Ligue 1 — c'est un effacement qui menace potentiellement les acteurs français. Des quotas de productions francophones sont bien imposés aux nouveaux entrants mais ils ne leur coûtent pas cher dans l'absolu et ne pèsent pas lourd dans leur portefeuille de programmes.

Un bouton Apple TV+ sur la nouvelle télécommande Roku

En l'absence de réactions du gouvernement qui a davantage pesé sur cette obligation de création de contenus plutôt que sur les modalités d'accès aux chaînes, les solutions manquent. Le Figaro fait parler la patronne de France Télévision, Delphine Ernotte, qui cite une idée dans l'air au Royaume-Uni où une loi obligerait les fabricants à afficher en bonne place des chaînes publiques.

Et dans ce domaine, comme dans d'autres mis en lumière durant la crise sanitaire, certains en appellent à un sursaut national, comme Thomas Follin, directeur de Salto : « Sans diffuseur français, pas de souveraineté culturelle ».

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