Interview : Eyrolles, l'iPad et l'avenir des eBook

Florian Innocente |

Eyrolles a été parmi les premiers à figurer sur l'iBookstore, la librairie électronique de l'iPad. Avec des débuts encourageants selon l'éditeur, même si les volumes peuvent paraître anecdotiques dans l'absolu.

Sébastien Bago, qui a piloté le projet iPad chez Eyrolles revient sur ce lancement et sur les évolutions que l'on peut attendre dans le livre électronique. Tout ne sera pas si simple si le livre se met à ressembler à une application. Explications…

MacGeneration : Comment Eyrolles a préparé son arrivée sur l'iBookstore de l'iPad ?

Sébastien Bago : Même si l'iPad n'est pas qu'une liseuse de livres électroniques, on s'y est intéressé, car il amenait la couleur sur ce marché des readers. Puis on a attendu qu'Apple démarche les éditeurs pour voir quelles seraient les conditions de présence sur l'iBookstore. Enfin, on a fait en sorte d'être rapidement prêts, ce qui n'était pas forcément facile, on a vu d'ailleurs qu'au démarrage en France il y avait peu d'éditeurs.

Ça n'a pas été compliqué de travailler avec Apple ?

SB : Oui et non, même si c'est une grosse machine ça reste un revendeur "comme les autres", Apple Europe a démarché les principaux éditeurs Français, comme peuvent le faire d'autres revendeurs d'ouvrages.

Vous étiez déjà sur d'autres plateformes ?

SB : On est présent "par défaut" sur les autres tablettes, Sony par exemple, lorsque les ouvrages sont achetés depuis notre plateforme IziBook.

On y propose environ 1000 titres au format PDF et 100 au format ePub, lequel compatible avec l'iPad ou les lecteurs de Sony et Amazon. Une centaine de nouveaux titres devraient arriver courant juin et on devrait arriver à 400/500 titres au format ePub d'ici novembre.

Pourquoi cette distinction entre une offre plus importante en PDF et plus réduite en ePub ?

SB : Le format ePub (développé initialement par Sony) est recomposable, c'est à la base du XHTML encapsulé dans un fichier. Le texte d'un ePub peut donc s'adapter aux différentes tailles d'écran. Mais cette transformation a comme inconvénient de casser un peu la structure et la mise en page d'un ouvrage. Alors que le PDF va au contraire préserver cette mise en page. Tous les ouvrages ne sont donc pas faciles à convertir en ePub. Ce sera plus adapté pour les essais ou la littérature générale, des domaines où la mise en page se résume à du texte qui coule. Alors qu'on a chez Eyrolles des livres techniques ou illustrés.

Mais vous avez pour objectif d'aller davantage vers l'ePub ?

SB : On a quelques ouvrages d'informatique ou de management, avec des mises en page plus complexes qui ont été converties, mais ça demande pas mal de travail.

Et vous envisagez d'enrichir les livres de contenus multimédias ?

SB : Oui on a clairement deux voies de développement. L'ePub qui, malgré ses contraintes, est un format simple permettant d'être présent sur plusieurs plateformes, et de l'autre côté il y a les formats enrichis qui se prêtent bien aux ouvrages de 3D, de graphismes, d'architecture, de dessins où l'on peut ajouter des contenus interactifs, de la vidéo. Ou encore le fait de pouvoir inclure une fonction de prises de notes dans un ouvrage universitaire ou un support de formation… ce sont toutes ces choses que l'on développe et que l'on devrait proposer dans les mois à venir.

Ce qui doit amener d'autres contraintes, par exemple pour l'auteur dont le livre va nécessiter plus de contenus, plus variés avec des compétences supplémentaires…

SB : C'est effectivement un travail éditorial qui devra se faire un peu plus en amont, on va concevoir des ouvrages différemment, qui vont s'affranchir de leur version papier. Aujourd'hui les eBook sont plutôt de la dématérialisation de titres papier existants.

À l'avenir on va peut-être concevoir une version papier qui sera assez simple et on fera en sorte que les auteurs amènent du contenu supplémentaire pour enrichir le texte, avec des vidéos par exemple… tout dépendra du sujet.

On peut supposer que ça va forcément avoir une incidence sur les coûts de réalisation, avec plus de personnes impliquées, plus de ressources nécessaires, et donc des répercussions aussi sur le prix final…
[ pagebreak ]SB : Il y aura en effet des coûts supplémentaires. Disons qu'aujourd'hui un ouvrage numérique est vendu environ 15% ou 20% moins cher que son équivalent papier. Si la TVA sur les eBook passe à 5,5% comme pour le papier ça permettrait de baisser encore un peu plus. Avec ces livres enrichis, l'idée n'est pas que les prix s'envolent, mais un ouvrage informatique par exemple sera vendu 30€ sur papier, 20€ en numérique classique, et peut-être 30€ dans sa version numérique enrichie.

Quel premier bilan tirez-vous de ce lancement sur l'iBookstore après 15 jours ? (l'entretien téléphonique a été réalisé autour du 10 juin, ndr)

SB : La première chose c'est qu'on comptait beaucoup sur le retentissement médiatique autour de l'iPad pour démocratiser le principe du livre numérique. Et il y a eu beaucoup de buzz à ce sujet, ce qui était plutôt intéressant.

En terme de ventes, on est plutôt satisfaits. On a déjà deux best-sellers, "Etre heureux avec Spinoza" et "Programmer avec iPhone OS 3" (ndlr, son auteur avait été interviewé au sujet du développement de l'iPad, lire Interview : "On va créer de nouvelles expériences avec l'iPad"). On en a vendu plusieurs dizaines par semaine depuis la sortie de l'iPad, ce qui au format numérique est très bien.

Et ce sont deux ouvrages sans beaucoup de points communs…

SB : Oui, l'un est plutôt sur le développement personnel au moyen de la philosophie, l'autre sur la programmation, ça montre qu'on peut proposer au format électronique des contenus très variés et hors du domaine de la littérature générale. Et que ça prend !

Plus globalement, une bonne vente en numérique c'est combien ?

SB : Il faut savoir qu'avant même l'arrivée de l'iPad, ce qui se vendait bien sur IziBook c'était les livres sur la photographie. Et puis on a pas mal de livres qui n'ont pas d'équivalent papier, là une bonne vente approche quelques centaines d'exemplaires. Dans l'absolu, lorsqu'on vend plusieurs milliers d'exemplaires au format papier, une très bonne vente au format numérique c'est 600 ou 700 exemplaires.

Mais sinon on tourne entre quelques dizaines ou centaines d'exemplaires. On est sur un marché naissant, donc on compte pas mal sur ce type d'effet d'annonce qui a entouré l'arrivée de l'iPad. Et quand Google ou Amazon lanceront leurs solutions, on s'attend à ce qu'il y ait le même type de retentissement.

Sur l'iBookstore vous avez vendu combien de titres au total ?
Quelques centaines, ce qui est plutôt pas mal là aussi.

Comment jugez-vous le modèle économique d'Apple avec ce partage de 30% pour elle et 70% pour l'éditeur ?

SB : De notre point de vue, l'iBookstore est un revendeur comme un autre, on travaille avec la Fnac ou Numilog, la plateforme d'Hachette. Donc finalement, buzz et marketing mis à part, Apple est un canal comme un autre. S'agissant des accords commerciaux on est aussi sur ce modèle d'agence qui est utilisé aux États-Unis : avec les 30% pour Apple. On n'a pas réinventé la poudre, ça ne change rien par rapport à ce qui se pratique sur l'App Store (Eyrolles a une poignée d'applications sur l'App Store, ndr). On est reste sur un format assez classique.

Comment vous décidez des prix pratiqués ? On voit par exemple qu'un ouvrage sur l'iBookstire sera vendu 3 ou 4 euros de moins que sa version papier.

SB : Sur IziBook on est à environ -15% comparé au papier est c'est le prix que l'on fait aussi avec la Fnac. Chez Numilog, comme il y a des DRM on est à -25%. Sur l'iBookstore on est aussi entre -15 et -20%. Mais avec une TVA à 5,5% au lieu de 19,6% sur les oeuvres numériques on pourrait aller jusqu'à -25% ou -30%. On est sur ces tarifs parce que les volumes de vente sont encore assez faibles pour des coûts de conversion ou de mise en place de chaînes de fabrication qui restent à amortir. Mais on tend vers du -30 voire -35% sur des livres numériques sans enrichissement.
[ pagebreak ]Et comparé à d'autres canaux comme la Fnac par exemple, l'iBookstore est plus intéressant ?

SB : C'est pareil. Avec la Fnac ou des librairies, on a ce qui s'appelle des remises libraire et elles sont du même ordre que ces 30%, à quelques points près. On présentait un peu Apple comme une espèce d'ogre, mais ils respectent la façon de travailler avec les libraires en France. Il n'y a pas eu de volonté de changement ou de tentative de révolution.

Comment Apple vous a vendu sa plateforme ?

SB : Ils se sont présenté comme un libraire numérique qui proposait en plus sa tablette de lecture, c'est ce qui a fait la force d'Amazon aux États-Unis avec le Kindle. Souvent aujourd'hui lorsque les gens veulent acheter un livre au format numérique, même s'ils ont un ordinateur ils ne savent pas exactement comment ils vont le lire, et ce qu'il faut acheter comme lecteur électronique. Ce n'est pas forcément évident. Là avec l'iPad et l'iBookstore il y a toute la facilité et l'ergonomie d'Apple, on achète très facilement son livre. Nous on y a vu un canal supplémentaire, une ergonomie agréable, l'opportunité d'une forte couverture médiatique, on ne s'est pas posé la question Apple/pas Apple, c'était juste un nouveau partenaire.

Vous voyez ce marché de l'eBook vraiment démarrer à quelle échéance ?

SB : C'est vraiment difficile de se projeter. Concrètement ça se développe vraiment beaucoup. Aujourd'hui en France on est entre 1 et 3% du chiffre d'affaires éditorial, c'est plutôt 3% chez Eyrolles en 2009. L'objectif pour l'année prochaine c'est de progresser vers les 7 ou 8%. Il y a beaucoup d'effet d'annonce, par exemple Sony qui voit le numérique se mettre au niveau du papier d'ici 5 ans, mais ça c'est du buzz. Je pense toutefois que ça va augmenter et des gens comme Apple et surtout Google qui va se lancer dans quelques mois vont faire avancer les choses. On a besoin de visibilité auprès du grand public.

Vous allez communiquer vous-même ?

SB : D'ici quelques mois on devrait communiquer assez fortement autour des ouvrages enrichis.

Justement, un éditeur anglais, parlant de ce type de livres qui s'apparente presque aux anciens CD multimédias, disait il y a quelque temps qu'il passerait plutôt par l'App Store que par l'iBookstore car il s'agissait davantage d'applications que de livres électroniques au sens classique du terme

SB : Il y a des chances que ce soit ça. Il n'y a aujourd'hui aucun format qui soit implanté ou qui soit disons posé comme le standard ultime. Demain il y aura certainement plusieurs formats, ce qui est intéressant. On aura des livres papier peu chers et des livres électroniques plus riches, avec une identité propre. Il faut vraiment que le livre numérique se développe en tant que tel et ne reste pas une émanation du livre papier. 2010 sera une année charnière pour ça. Apple va aider à aller dans ce sens, mais c'est aux éditeurs de proposer de nouveaux contenus.

Mais si on commence à faire des livres qui soient plutôt des applications, mettons iPhone ou Android, ça va devenir compliqué, ne serait-ce que pour vous. Un même ouvrage devra être développé deux fois… On n'est plus dans le PDF ou l'ePub qui sont multiplateforme. On part d'un objet simple, le livre vers quelque chose qui va être sacrément compliqué !

SB : Aujourd'hui on en est là en effet. Il faut s'adapter aux différents langages, on voit que Flash n'est pas forcément supporté, on est vraiment dans une phase expérimentale, limite recherche et développement…

Pour conclure, vous-même, vous avez un iPad ?

SB : Au bureau oui, à titre personnel non. J'attends une V2 qui corrige les quelques petits défauts, et notamment, s'agissant de l'usage comme liseuse, le poids que je trouve encore un peu élevé. C'est la principale critique que j'ai relevée autour de moi.

ndr : à la suite de cette interview nous avons sollicité Sébastien Bago après la sortie virulente d'Antoine Gallimard à propos de l'iPad et de l'iBookstore (lire l'article Antoine Gallimard s'attaque à l'iBookstore et à son format ePub), il n'a pas souhaité régir, estimant qu'il était trop tôt pour se prononcer.

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