Téléphonie : l’appel de la nostalgie

Mickaël Bazoge |

Le MWC a fermé ses portes le 2 mars, et comme chaque année, le salon de la téléphonie européen a fait le plein de nouveautés. Mais cette édition a un goût particulier, celui de la madeleine.

La vedette du salon barcelonais cette année n’a pas été le G6 de LG, le P10 de Huawei ou les nouvelles tablettes de Samsung. Ces produits intègrent certes des technologies dignes d’intérêt comme l’écran bord à bord 2:1 du haut de gamme de LG ou encore le second capteur photo Leica plus performant chez Huawei.

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Mais toutes ces innovations ont été balayées d’un revers de la main par Nokia qui a signé son grand retour dans le milieu de la téléphonie. Le groupe finlandais a laissé le soin à HMD, créé par d’anciens de l’entreprise, de développer et commercialiser des téléphones sous la marque Nokia. Et HMD ne s’est pas fait prier pour ressusciter un modèle fétiche, le 3310.

Allo Nokia ? 2000 a appelé, il voudrait récupérer son 3310

Ce téléphone est un « doudou » pour les trentenaires (et les plus vieux…), pour qui il a souvent été le premier mobile. Une madeleine ou plutôt un « téléphone de cœur », comme l’appelle Florian Seiche, président de HMD, dans un entretien à Europe 1. La motivation du constructeur pour relancer la carrière de ce modèle est fort respectable : « Ce qui nous a motivés c’est l’amour de la marque Nokia. Et nous avons eu tellement de demandes de la part des consommateurs pour un nouveau 3310 que nous nous sommes dit, “allons-y, faisons-le !” » - Avec Nokia, HMD veut faire partie des trois premiers constructeurs mondiaux

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C’est une belle raison, mais HMD sait aussi que la réussite commerciale est pratiquement acquise. La hype autour du nouveau 3310 est réelle, l’effet nostalgie joue à plein et le prix demandé — 49 € — est suffisamment abordable pour que ce téléphone puisse rentrer dans la case « cadeau idéal ». Pour Florian Seiche, le 3310 « permettra deux choses : dans les pays développés, les gens vont l’utiliser comme un téléphone compagnon pour le week-end ou les soirées, mais ailleurs beaucoup de gens vont aussi l’utiliser comme premier téléphone. C’est une renaissance ».

Au-delà de la poudre de perlimpinpin distribuée avec générosité par HMD, il faut toutefois raison garder. La nostalgie a bon dos, mais elle n’est pas forcément la meilleure conseillère. La nouvelle version a une bouille sympathique, et on y trouve une version modernisée de Snake signée Gameloft. Pour le reste, le téléphone ne fonctionne qu’en 2G — les pays où ces réseaux ont été recyclés ou fermés seront privés du téléphone mythique, dont… les États-Unis. L’absence de Wi-Fi ou de prise en charge, a minima, de la 3G feront de cet appareil un jouet évidemment sympathique, mais un jouet.

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Le 3310 original était increvable, il fonctionnait même après les pires tortures. En ira-t-il de même avec son lointain successeur ? C’est impossible à dire sans avoir testé le mobile en profondeur évidemment, mais les échos renvoyés par la prise en main courroucée de nos confrères de FrAndroid ne laissent présager rien de bon dans ce domaine : le logo Nokia au dos se décolle et le plastique de la coque semble moins solide que celui de son illustre prédécesseur.

TCL, receleur de nostalgie

TCL n’est pas le plus connu des constructeurs de téléphones, et pour cause, le groupe chinois avance masqué. Ces dernières années, cette entreprise, dont l’activité principale a longtemps été les téléviseurs, a acquis les droits de plusieurs marques occidentales plus ou moins en déshérence. C’est le cas d’Alcatel par exemple, une marque d’Alcatel-Lucent utilisée sous licence par TCL.

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En décembre dernier, TCL récupérait les activités design et construction de smartphones qui faisaient la fierté de BlackBerry. Le constructeur canadien met depuis son savoir-faire dans l’élaboration d’applications et de services sécurisés pour les entreprises, laissant le soin à son partenaire TCL de faire vivre la marque. Et il s’y emploie, en misant sur ce qui a fait la force et la réputation de BlackBerry : le clavier physique.

C’est ainsi que durant le MWC, TCL a lancé le KEYone, un smartphone qui évoque immanquablement l’héritage de BlackBerry avec ce clavier doté de touches à la fois physiques et tactiles (la zone peut servir de trackpad). Le tout se complète de caractéristiques techniques honnêtes : écran tactile de 4,5 pouces (1 620 x 1 080), un Snapdragon 625, 3 Go de RAM, 32 Go de stockage, des appareils photo de 8 et 12 mégapixels (avant et arrière), une batterie de 3 505 mAh.

La nostalgie s’arrête au clavier, car il n’est pas question de s’embarrasser de BlackBerry OS. L’appareil fonctionne en effet sous Android 7.1 avec des applications maison préinstallées qui sont liées notamment à la sécurité. Tout cela est bel et bon, mais si ce terminal est à même de séduire les derniers fans de BlackBerry et les orphelins des claviers physiques, le prix les refroidira assez rapidement : le KEYone sera en effet commercialisé 599 €…

TCL n’a pas fini de jouer avec la fibre nostalgique : il se murmure en effet que le constructeur, qui possède les droits sur la marque Palm, a l’intention de relancer des smartphones griffés au nom du prestigieux constructeur (lire : Palm pourrait renaître de ses cendres). Les restes de webOS appartenant à LG qui s’en sert pour ses téléviseurs, il ne faut pas trop compter sur des terminaux mobiles équipés de ce système d’exploitation…

Le retour des PDA

Les PDA ont été les ancêtres des smartphones tels qu’on les connait aujourd’hui. Apple a d’ailleurs largement contribué à l’expansion de ce marché avec le Newton ! Beaucoup de constructeurs s'étaient lancés sur ce secteur, à l’instar de Sony (la fameuse gamme Clié) ou encore l’anglais Psion qui, tout au long des années 90, a régalé les poches des utilisateurs avec sa gamme Series. En 2012, ce qui restait de cette entreprise a été acquis par Motorola Solutions, puis un an plus tard la marque a complètement disparu du paysage.

Le Psion Series 5 à gauche, le Sony Clié à droite — Cliquer pour agrandir

À l’occasion du MWC, Psion s’est rappelé au bon souvenir de tous. Pas sous ce nom évidemment, mais sous celui de Gemini. Conçu par Planet Computers avec l’aide de Martin Riddiford qui a co-développé les Series 3 et 5 de Psion, ce PDA comme à la bonne vieille époque reprend le design des appareils du constructeur. Le châssis métallique se déplie pour dévoiler d’un côté un écran tactile de 5,7 pouces, de l’autre un clavier avec des touches en dur.

L’appareil intègre Android et Linux en dual-boot, un SoC doté de 10 cœurs, 4 Go de RAM, 64 Go de stockage, un appareil photo en façade de 5 mégapixels, deux USB-C, un lecteur d’empreintes digitales, une batterie (amovible) de 8 000 mAh. Le Gemini se décline en deux versions, une Wi-Fi et une avec le support de la 4G. Les prix démarrent à 299 $, avec une livraison prévue pour décembre : il s’agit en effet d’un projet à financer sur Indiegogo.

Retour vers le futur

Ces appareils qui sentent bon la madeleine ne vaudront peut-être guère plus que leur valeur nostalgique. Qui voudra vraiment utiliser le Nokia 3310, à part pour amuser la galerie ? Comme l’a rappelé Pierre Dandumont dans un billet décapant, le 3310 de la belle époque n’était pas une panacée, et à utiliser aujourd’hui, c’est pire encore. Le nouveau modèle étant finalement très proche de l’ancien (en termes de connectivité et d’utilisation générale, s’entend), l’expérience qu’il offrira risque de sérieusement décevoir.

Après des années passées à taper sur un clavier virtuel, revenir à de bonnes vieilles touches doit être bien sympathique comme sur le nouveau BlackBerry, pour ceux évidemment qui ont connu le genre. Mais le prix demandé pour ce qui n’est finalement qu’un milieu de gamme se justifie difficilement, en particulier pour un smartphone Android. Les modèles haut de gamme de Samsung, LG ou encore HTC voient leur tarif baisser rapidement en général.

En matière de clavier, celui du Gemini se pose là. Reste à savoir qui voudra vraiment s’encombrer aujourd’hui d’un PDA. Le modèle 4G du Gemini peut envoyer et recevoir des appels VoIP et cellulaires en tout temps, il pourra donc remplacer un smartphone. Le format clapet a le mérite de l’originalité (pour notre époque en tout cas, car c’était assez commun il y a une vingtaine d’années).

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La nostalgie a du bon et après tout, il n’y a pas de mal à se faire du bien. Mais on idéalise sans doute une époque révolue : la mémoire efface les mauvais souvenirs et les expériences pénibles, pour ne conserver que les bons moments (lire : À quoi ressemblaient les smartphones avant l’iPhone de 2007 ?). Il est ainsi très probable que l’intérêt autour de la proposition la plus emblématique de ce MWC, à savoir le Nokia 3310, retombe assez rapidement une fois que l’appareil sera disponible.

Dix ans après le lancement de l’iPhone, il est en tout cas symptomatique de voir une industrie se retourner sur son passé illustre et faire appel à la fibre nostalgique de ceux qui ont vécu les débuts de la téléphonie de masse. Cette tendance va sans aucun doute se poursuivre encore un temps (il reste quelques icônes à dépoussiérer), alors que les smartphones les plus puissants se ressemblent de plus en plus...

Jusqu’à l’arrivée d’un appareil ou d’une technologie qui viendra bouleverser le paysage et entraînera dans son sillage tout le secteur, comme Apple y est parvenu en 2007, avec un succès qui ne se dément pas. Apple pourra-t-elle de nouveau incarner ce renouveau pour l’industrie ? Réponse avec l’iPhone 8.

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