Fuchsia : Google imagine une toute nouvelle interface mobile

Nicolas Furno |

Le projet Fuchsia est connu depuis l’été dernier, mais il était resté jusque-là largement secret. Ce nouveau système concocté par Google repart sur de nouvelles bases par rapport à Android et Chrome OS, les deux systèmes actuellement portés par le géant de la recherche. Pensé à l’origine davantage pour l’internet des objets, il pourrait toutefois servir de fondation pour les smartphones et autres tablettes.

Avant d’être une couleur et peut-être un système d’exploitation, les Fuchsia sont de splendides fleurs. (Photo Maja Dumat (CC BY 2.0)) Cliquer pour agrandir

Sous le capot, Fuchsia ne repose plus sur un noyau Linux comme les deux systèmes actuels de Google, mais un noyau maison nommé Magenta. Ce choix pourrait aussi signifier que la licence open-source ne serait plus la très contraignante GPL qui, pour faire simple, force les développeurs à conserver la licence s’ils exploitent un projet GPL. Pour le moment, Magenta est proposé avec plusieurs licences plus souples, comme Apache 2.0 ou celle du MIT. Au-delà de ces considérations légales, Google ne dépendrait plus d’un projet externe et surtout, ce noyau peut être optimisé spécifiquement pour les besoins et en fonction des contraintes des appareils mobiles.

Les apps développées pour Fuchsia n’exploitent plus Java comme celles pour Android, mais Dart, un « nouveau » langage de développement qui reprend et améliore JavaScript. Google avait d’abord créé ce langage avec l’ambition de remplacer JavaScript pour le web, mais il pourrait servir pour ce nouveau système mobile. Fuchsia utilise aussi le kit de développement multiplateformes Flutter qui doit permettre de créer des apps natives pour iOS et pour Android.

Côté graphismes, Google a aussi développé un moteur de rendu nommé Escher et basé sur Vulkan. On le voit bien, l’entreprise cherche à reproduire ce qu’a fait Apple avec iOS en maîtrisant complètement la partie logicielle. Google pourrait ainsi répondre à Apple en gardant davantage le contrôle sur Fuchsia, par exemple pour offrir des mises à jour à tous les utilisateurs sans dépendre des opérateurs et constructeurs. Mais le projet est encore plus ambitieux que cela, puisqu’il passe aussi par une nouvelle interface.

Une nouvelle interface pour succéder à Android ?

Google pourrait très bien « réinitialiser » Android en modifiant uniquement ses fondations, mais en gardant l’interface actuelle. Et même en permettant aux développeurs de conserver leurs apps actuelle développées en Java. Mais l’entreprise a développé une toute nouvelle interface qui repose sur des paradigmes nouveaux. Nommée Armadillo, elle est elle aussi open-source et on peut même la tester sur un terminal Android.

Un tatou, armadillo en anglais. (Photo Chris van Dyck (CC BY 2.0)) Cliquer pour agrandir

Armadillo a été développée avec Flutter et donc Dart. Pour l’heure, on en est au stade du concept non fonctionnel et l’interface ne « sert » à rien. Elle permet d’avoir une idée des travaux en cours chez Google et notamment de cette organisation radicalement différente de ce que l’on connaît aujourd'hui. Même s’il y a des différences profondes entre Android et iOS, les deux systèmes reposent sur les mêmes idées.

On retrouve des centres dédiés aux notifications et aux contrôles sous la forme de zones tirées depuis le haut ou le bas de l’écran. On retrouve aussi une organisation des apps rangées sur une grille d’icônes éventuellement entrecoupées de widget. Même les écrans d’accueil d’iOS et d’Android sont très proches. Avec Armadillo, Google teste autre chose et s’oriente davantage vers le concept de cartes dans l’esprit de feu WebOS.

L’écran d’accueil ici est une longue liste. Au centre de l’écran, vous retrouvez vos informations personnelles et un tap affiche l’équivalent du centre de contrôles. Il n’y a pas de barre de statut en haut de l’écran, l’heure et la batterie restante sont affichées systématiquement en bas. Et le reste des informations est disponible dans cet équivalent du centre de contrôles.

Écran principal d’Armadillo : au centre de l’écran, des informations personnelles seront affichées. En touchant cette zone centrale, un panneau de contrôle apparaît. On distingue, en bas, une zone dédiée à l’assistant de Google. Et en haut, les apps. Cliquer pour agrandir

En défilant la vue vers le haut, les apps sont affichées sous la forme de cartes et présentées comme des « stories », des histoires, ou plutôt des activités. Leur fonction n’est pas tout à fait claire, mais l’idée est de ne pas présenter une app par son icône, mais plutôt par sa fonction. Ces cartes sont triées par ordre d’utilisation et elles peuvent être ouvertes pour lancer une app, comme un client mail.

Les cartes d’activité au cœur du concept Armadillo. Au centre et à droite, deux exemples d’apps associées à une carte. Cliquer pour agrandir

Comme l’interface dédiée au multitâche dans Android, cette vue permet aussi de gérer des sortes de fenêtres. Armadillo permet d’afficher deux ou trois apps en même temps en posant une carte sur l’autre, par exemple. Les concepteurs de cette interface ont pensé aux tablettes et on peut alors organiser son espace de travail avec quatre apps en même temps à l’écran. Sur un téléphone, un système d’onglets est utilisé pour passer d’une app à l’autre.

Sur une tablette, Armadillo offre nettement plus de souplesse. Ici, quatre apps affichées en même temps à l’écran. Notez au passage la présence d’un avatar sur chaque fenêtre : est-ce que le système améliorera la prise en charge de plusieurs utilisateurs ? Cliquer pour agrandir
Armadillo simplifie le passage d’une app à l’autre sur un smartphone avec un système d’onglets similaires à ceux que l’on a dans les navigateurs. Cliquer pour agrandir

La zone du bas contient les cartes d’un assistant comme celui que propose déjà aujourd'hui Google. C’est aussi ici que l’on trouve un champ de recherche, sans doute à la fois pour trouver une app sur l’appareil et pour initier une recherche en ligne. Ses concepteurs évoquent la possibilité de créer une nouvelle histoire, ce qui ressemble fortement au lancement d’une app.

Assistant intégré à Armadillo et moteur de recherche. Pour le moment, comme pour les cartes et les apps d’ailleurs, cette interface ne contient que des emplacements par défaut et elle ne fonctionne pas du tout. Cliquer pour agrandir

Le futur d’Android ou un simple concept sans avenir ?

Comme vous l’aurez constaté sur les captures d’écran, Armadillo est encore loin de pouvoir remplacer Android. C’est très clairement un travail en cours et il reste beaucoup de travail pour en faire un véritable système d’exploitation fonctionnel et complet. Est-ce que ce sera même le cas un jour ? Google est connu pour ses projets qui n’aboutissent jamais et on ne sait pas quel avenir réserve Mountain View à son tatou.

L’icône actuelle d’Armadillo… Cliquer pour agrandir

Sur le plan technique, le choix de Flutter pourrait être déterminant. Si Google parvient à convaincre les développeurs d’exploiter cet outil pour créer des apps iOS et Android, il aura à sa disposition un catalogue d’apps compatibles Fuchsia. C’est probablement plus facile à dire qu’à faire, mais on imagine que cela ferait partie du plan si ce système devenait celui par défaut de l’entreprise.

À court terme et pour faciliter la transition, le géant de la recherche pourrait même intégrer tout ce qu’il faut pour faire tourner des apps Android sur Fuchsia. C’est précisément ce que propose Google pour Chrome OS, même si la possibilité d’installer des apps Android sur les Chromebook est en retard.

Le projet Fuchsia a commencé au sein de Google en février 2016. On le voit bien près d’un an et demi plus tard, il est loin d’être finalisé et si Google entend sérieusement remplacer Android, il lui reste probablement plusieurs années de travail. Peut-on vraiment remplacer Android ? C’est toute la question, mais il est logique que l’entreprise essaie au minimum de suivre cette voie. D’ailleurs, il serait logique qu’Apple en fasse de même en interne et, pourquoi pas, imagine un nouveau système d’exploitation modernisé pour remplacer iOS et macOS.

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