Pourquoi Apple n’a pas lancé Apple Music en bêta ?

Christophe Laporte |

Soit Apple a la mémoire d’un poisson rouge, soit Apple fait preuve d’une certaine arrogance. À vrai dire, on a du mal à choisir entre ces deux options. Le lancement d’Apple Music n’est pas forcément une réussite. Même certains blogueurs américains, pourtant d’habitude si cléments, se sont mis à critiquer Apple (lire : Apple Music est un « cauchemar », et c’est le plus grand fanboy d’Apple qui le dit).

Les principaux problèmes d’Apple Music sont :

  • L'ergonomie est perfectible. Apple a commencé à faire des premiers ajustements dans la version de l'app Musique dans iOS 9
  • La synchronisation de certains éléments, notamment les listes de lecture, marche de manière erratique chez certains utilisateurs
  • Des difficultés d'accès assez récurrentes au service d'Apple, principalement avec iTunes sur OS X et Windows
  • Et le plus gênant sans doute : des « disparitions » de fichiers suite à la fusion des bibliothèques iTunes et Apple Music (un correctif est en préparation)

En matière de données personnelles, à part les photos, il n’y a pas grand chose de plus précieux que sa musique. C’est sans doute pour cela que la réaction de Jim Dalrymple, pourtant évangéliste d'Apple, a été aussi vive.

Le précédent MobileMe

Lorsque j’évoquais une mémoire de poisson rouge de la part des dirigeants d’Apple, c’est en rapport au lancement de MobileMe, qui a durement marqué l’histoire d’Apple en matière de services en ligne (lire : MobileMe : les dessous d'un lancement raté). Et MobileMe n’est pas forcément un cas isolé hélas…

Mais c’est également tout le paradoxe d’Apple dans cette histoire. Il est souvent reproché à Apple d’être mauvais en matière de service en ligne. Pourtant, et il convient de le rappeler, elle a un réel savoir faire dans le domaine. L’Apple Store en ligne est l’une des plus grosses boutiques qui parviennent à encaisser de très fortes montées en charge lors de la commercialisation de nouveaux produits. L’iTunes Store est le plus grand disquaire au monde. L’App Store est avec Google Play la principale plateforme de téléchargement d'apps. Tous ces services ont peut-être des défauts, mais 99 % du temps, ils fonctionnent.

Les yeux plus gros que le ventre ?

Alors, est-ce de l’arrogance ou de l’inconscience ? Proposer un service de streaming (n’en déplaise à Eddy Cue pour l’expression) n’est pas une mince affaire. Spotify ne s’est pas monté en un jour. Le service de musique en ligne suédois a été lancé avec un catalogue sans commune mesure avec son catalogue actuel dans un nombre de pays restreint et avec un système d’invitation. Autant dire qu’ils avaient le temps de voir venir en ce qui concerne la montée en charge.

Apple, c’est tout le contraire. Entre iOS 8.4 qui s’est propagé très rapidement et iTunes qui est l’un des logiciels les plus répandus sur Mac et PC, Apple a rendu accessible d’un coup d’un seul son service à plusieurs centaines de millions d’internautes.

Si à cela, on ajoute le fait qu'Apple Music inclut une période gratuite d'essai de trois mois et qu'Apple une fois de plus est parvenu à faire monter le buzz autour de son service, la rumeur des 10 millions d’abonnés au service en quatre semaines semble assez crédible. Il ne serait pas étonnant qu'Apple Music compte à court terme plus d'utilisateurs que n'importe lequel de ses concurrents — Spotify, le numéro 1 du secteur, a franchi les 20 millions d’abonnés.

Comment gérer avec succès un tel lancement ? À cet argument, beaucoup répondent qu’avec les moyens dont dispose Apple, ce n’est pas un problème. Mais pour les responsables d’Apple, il faut gérer entre autres les aspects juridiques (la gestion des droits de catalogue), les aspects logiciels (iTunes et iOS 8.4), les aspects serveur, les aspects éditoriaux…

Ce n’est pas une mince affaire. Et face à ce qui ressemble malgré tout à un petit défi (même quand on s’appelle Apple), il est surprenant que le constructeur n’ait pas lancé son service sous forme de bêta dans un premier temps. Au passage, on l’a dit mais on le répète, il est dommage que la Pomme ne soit pas partie de zéro pour Apple Music (lire : Apple Music : pourquoi ne pas avoir tué le père ?).

Elle aurait pu ainsi se protéger médiatiquement de tous les dysfonctionnements pointés du doigt par les utilisateurs, en rappelant que c’était une bêta et qu’il convenait de redoubler de prudence. Les utilisateurs, surtout ceux qui gèrent d’immenses bibliothèques, auraient sans doute abordé le nouveau service d’Apple avec plus de vigilance. Au passage, il est stupéfiant qu’une personne aussi influente et expérimentée que Jim Dalrymple n’ait pas de sauvegarde de sa bibliothèque iTunes. Vous connaissez notre position sur la sauvegarde (il faut toujours sauvegarder !).

Spotify - le grand vainqueur des déboires d'Apple Music ?

Certains trouveront peut-être que nous avons la dent dure, mais il faut se rappeler avec quelle arrogance et quelle assurance Apple Music a été présenté. Tout ceci est d’autant plus regrettable qu’Apple Music est un service sur certains points qui ne manque pas de qualités. Mais Apple a semble-t-il confondu vitesse et précipitation. C’est peut-être lié à la montée en puissance de Spotify aux Etats-Unis qui a poussé les dirigeants d’Apple à répondre rapidement.

Ce qui est d’autant plus étonnant dans cette affaire, c’est que quelques mois auparavant, Apple a proposé une bêta de Photos pour Mac afin de s’assurer que la transition délicate depuis iPhoto se déroule sans encombre. Et ô surprise, elle n’a pas fait l’objet de problème majeur. Comme quoi, Apple sait développer des services dans le nuage fiables et efficaces. Etonnant, non ?

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