Sur Disney+, prière de ne choquer personne

Nicolas Furno |

Avant le lancement d’Apple TV+, plusieurs rumeurs laissaient entendre que les dirigeants d’Apple gardaient un œil très attentif sur les œuvres originales produites pour le service. Des agents et producteurs se sont plaints de l’implication de ces dirigeants, tandis que la ligne directrice semblait refuser toute violence gratuite et limiter le sexe au strict nécessaire.

Eddy Cue était monté au créneau pour réfuter ces rumeurs et assurer que les scénaristes avaient carte blanche. C’est surtout le contenu produit par la Pomme qui a prouvé que ces rumeurs de censure n'étaient pas totalement justifiées. S’il ne fallait qu’une seule preuve, alors évoquons See qui est très clairement une série très « adulte », assez similaire à ce que HBO peut proposer en matière de violences et d’évocations sexuelles. Si Apple avait effectivement cherché à adoucir ses séries, celle-ci n’aurait pas existé, en tout cas pas sous la forme qui a été présentée à l’automne.

See, photo de presse Apple TV+.

On a beaucoup parlé de la censure chez Apple, oubliant presque qu’il y a un autre acteur dans le domaine qui contrôle ses créations et applique ouvertement un lissage pour plaire au plus grand nombre, sans prendre le risque de choquer certains individus. Disney est connu depuis sa naissance pour son traitement familial et c’est assez logiquement le même positionnement qui a été choisi pour Disney+, son service de streaming qui sera lancé dans le courant du mois en France.

Ce traitement familial n’empêche pas systématiquement la violence, mais le sang à l’écran est complètement banni et la violence doit rester mesurée. De la même manière, la sexualité n’est pas totalement absente, mais il n’est pas question de voir un corps nu ou de montrer une scène de sexe. C’est ce traitement que l’on retrouve dans ses blockbusters, que ce soit pour l’univers cinématographique de Marvel ou la saga Star Wars, par exemple.

Sur son service de streaming, le contrôle est manifestement très strict sur ce qui est familial et l’entreprise n’hésite pas à remettre en cause des projets jugés trop adultes, comme le retour de Lizzie McGuire. Cette série Disney Channel des années 2000 évoquait le quotidien d’une adolescente de 13 ans et l’idée était de reprendre le personnage, mais de suivre son quotidien de trentenaire. Ce concept n’a manifestement pas plu aux responsables du service de streaming, qui ont remercié en début d’année la créatrice de la série originale qui officiait sur ce retour.

Le Lizzie McGuire de 2001, avec son mélange d’images réelles et d’animation.

Disney voudrait refaire une version édulcorée à la place et Hilary Duff, l’actrice principale, a demandé sur Instagram à passer la série sur Hulu, autre service du géant des médias, pour qu’un traitement « adulte » soit envisageable. Est-ce que Disney acceptera ? Cette solution de basculer une série Disney+ jugée trop adulte sur Hulu a en tout cas été déjà utilisée au moins à deux autres reprises.

Cet autre service de streaming au contenu plus adulte sert en effet de porte de sortie pour les séries que Disney ne veut plus voir sur Disney+. Au début du mois de février, High Fidelity, une série adaptée du long-métrage éponyme, est sortie sur Hulu, alors qu’elle était prévue au départ pour Disney+. Ce sera aussi le cas de Love, Victor, la série adaptée de Love Simon, un long-métrage de 2018 où un jeune adolescent faisait son coming-out.

Est-ce que cette série qui sortira en juin sera vraiment plus adulte ? On peut laisser le bénéfice du doute, mais elle a été conçue à la place pour Disney+ et le film qui l’a inspiré est très chaste. Est-ce qu’un simple baiser entre deux garçons (attention, spoiler) comme on peut en voir dans Love, Simon empêcherait Disney de diffuser la série sur son service principal1 ? Espérons que non, mais quand on pense à la frilosité de l’entreprise sur l’homosexualité2, on peut avoir un doute.

Love, Simon en version cinéma (photo de presse).

Quoi qu’il en soit, ces trois exemples sont bien la preuve que le contrôle éditorial est infiniment plus serré sur Disney+ que sur Apple TV+, ou même n’importe quel autre service de streaming. Apple a eu un droit de regard sur le contenu et la forme de ses séries exclusives : on sait notamment qu’une série inspirée par la vie de Dr Dre a été annulée et qu’un détail des décors a été modifié pour Servant. Mais ce contrôle est bien plus léger et comme Netflix ou Prime Video, l’entreprise propose des contenus qui s'adressent à différents publics, avec des créations effectivement destinées aux enfants, d’autres qui conviendront à toute la famille et certaines qui se destinent aux adultes.

On pourrait dire que Disney fait la même chose avec Disney+ et Hulu. Il y a toutefois une différence très nette d’audience entre les deux services3, et d’autre part un biais déjà manifeste au cinéma sur ce qui relève d’un contenu adulte ou non.


  1. Alors qu’il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine… (attention, spoiler bis).  ↩

  2. La « concession » du discret baiser en arrière-plan dans le dernier épisode de Star Wars, ou encore l’hétérosexualisation de personnages dans Thor: Ragnarok et dans Black Panther sont autant d’exemples qui prouvent bien que le sujet est sensible pour Disney…  ↩

  3. Hulu est toujours réservé aux États-Unis pour le moment, même si Disney a prévu une expansion en Europe courant 2021.  ↩

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