Comment StopCovid a provoqué des remous au sein de l'Etat

Christophe Laporte |

Le projet StopCovid a fait couler beaucoup d’encre depuis sa présentation. Cet article publié par Acteurs Publics révèle que cette application a également suscité beaucoup de débats et de tensions au sein de l’Etat.

Tout d’abord, il y a une lutte d’influence autour de ce projet, notamment entre d’une part, la direction interministérielle du numérique (Dinum), et d’autre part, l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (l’INRIA). Tout oppose ou presque les deux acteurs dans ce projet.

crédit image : INRIA

Pour le développement de cette application, l’INRIA milite pour l’utilisation de Robert, son protocole centralisé. De son côté, Dinum souhaite s’appuyer sur le protocole décentralisé DP-3T, mis au point par une équipe de chercheurs suisses. Ces approches divergentes ont atteint un point de non retour avec le projet de traçage commun d’Apple et de Google (lire : Entre Bubble et Apollo, la petite histoire du traçage commun d'Apple et de Google). La direction interministérielle du numérique souhaite s’appuyer sur la brique logicielle des deux sociétés américaines, ce que l’INRIA refuse catégoriquement.

Dans cet épineux dossier, Cédric O tranchera en faveur de l’INRIA au nom de la souveraineté numérique. On connait la suite… Du fait de son architecture, Robert ne peut s’appuyer sur les outils d’Apple et de Google. Pour mener ce projet à bien, le secrétaire d’État au Numérique entame un bras de fer avec Apple notamment pour avoir accès aux API bas niveau de Bluetooth sur l’iPhone, chose qu’Apple refuse entre autres pour des raisons de sécurité.

Dans cette affaire, les décideurs ne sont pas à une contradiction près. Alors que l’idée était initialement d’avoir une application entièrement open-source afin d’instaurer un lien de confiance, on se dirige vers une application partiellement fermée réalisée par des acteurs privés. En effet, la Dinum et son incubateur Beta.gouv ont été définitivement mis sur la touche et remplacés par un myriade d’entreprises, dont Orange, Capgemini, Dassault Systèmes, Withings et Lunabee Studio. La souveraineté nationale est donc délaissée à des entreprises privées, même si au cabinet de Cédric O, on assure qu’elles ne sont « qu’exécutrices, sous la responsabilité de l’Inria ».

Image : Christine Daniloff, MIT.

Pour finir, on s’étonnera de la présence d’un autre personnage clé dans cette histoire. Alors que le conseil scientifique Covid-19, qui a aussi son mot à dire sur ces questions, a pour vocation d’être « totalement indépendant », on s’étonnera de la présence d’Aymeril Hoang. Ce dernier est à la fois membre du conseil scientifique et supervise pour le compte de Cédric O, le développement de l’application StopCovid. Que n’aurait-on pas dit si une pareille affaire s'était produite dans le privé !

Aymeril Hoang s’était fait remarquer il y a quelques semaines dans une vidéo où il présentait la solution d’Apple et Google pratiquement comme une « solution clé en main, entièrement packagée » [...] où « en caricaturant à peine », les États n’auraient plus qu’à concevoir des écrans. Entre une interface de programmation et une app prête à l’emploi, il y a un monde… On vous laisse juger si c’est la mauvaise foi ou de l'incompétence, mais cette vidéo montre que le bon sens n’a pas forcément été l’une des valeurs premières pour mener à bien ce projet.

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