« Apple a causé d'énormes dégâts à la valeur des logiciels »

Florian Innocente |

« Aucune autre entreprise qu'Apple n'a causé autant de dégâts à la valeur perçue des logiciels, ainsi qu'à la capacité d'en vivre en tant que développeur indépendant », écrit Matt Gemmell, ancien développeur (devenu écrivain).

La faute en incombe in fine aux clients qui ne veulent plus ou pas payer pour leurs apps. Cependant, Apple les y encourage de toutes sortes de manières, créant les conditions de cette dévaluation.

Gemmell déroule plusieurs arguments. Comme la course aux prix les plus bas pour augmenter les volumes des ventes sur lesquelles Apple prélèvera sa dîme. Qui dit prix bas dit ancrage dans les esprits que le logiciel est une commodité sans grande valeur.

Proposer simultanément une version compatible iPhone et iPad (voire watchOS) est pratique pour le client mais cela renforce le sentiment que l'ajout d'une version supplémentaire ne coûte rien à son auteur. Alors qu'elle se traduit par des développements et des tests en sus.

L'App Store ne propose toujours pas de mécanisme de mises à jour payantes d'un même logiciel « Les clients en tirent la conclusion qu'ils peuvent s'attendre à des mises à jour gratuites pour toute la vie et qu'importe la somme, même modique, qu'ils auront déboursée au départ ».

Circulez il n'y a rien à voir, tout va bien dans l'économie des apps

Ces critiques, et d'autres encore détaillées dans ce billet, ne sont pas inédites. Elles s'appuient sur des choix d'Apple qui restent décriés encore aujourd'hui par les développeurs. L'obligation de sortir une toute nouvelle app pour relancer un cycle de paiements au lieu de mettre à jour la précédente en est le parfait exemple. À cela Apple préfère le modèle d'un abonnement (lire https://www.igen.fr/app-store/2016/06/app-store-la-nouvelle-voie-des-abonnements-96069).

[MàJ le 6/05] : hasard du calendrier, Phill Schiller a abordé cette question au même moment.

Du point de vue de Gemmell, tous ces choix sont bénéfiques pour le client final (en termes de simplicité d'utilisation) mais ils sont mortifères pour les indépendants.

Une mesure de la valeur de la production créative d'une personne, est ce qu'une autre personne est disposée à payer en échange. Les prix bas attirent ceux qui accordent le moins d'importance à la valeur du travail. Ce n'est pas une mise en garde; c'est bêtement un fait. Et non, vous ne pouvez pas équilibrer les volumes de ventes avec le prix pour atteindre le même chiffre d'affaires : il y a beaucoup plus de gens qui achèteront à 1 $ seulement (ou gratuitement si vous essayez de vendre des In-App). Si vous vendez plutôt à 3 $, votre nombre de ventes diminuera beaucoup plus fortement que votre multiplication du prix par trois.

On peut préférer viser des bénéfices immédiats, sur le court terme, admet Gemmell, mais c'est une course où l'on nivelle par le bas « Gardez à l'esprit que vous aurez propagé l'idée que votre travail, globalement, n'a aucune valeur et qu'il est rapidement jetable ».

L'auteur prend en exemple le cas du jeu Monument Valley, vendu 3,59 $ et dont l'éditeur avait fait enrager une partie de ses clients lorsqu'il avait voulu vendre des niveaux supplémentaires pour 1,79 € (lire Voilà pourquoi vous ne méritez pas Monument Valley) « Vos supporters les plus fervents vous tourneront le dos à la minute où vous réclamerez de l'argent. Ils se diront que vous ne valez pas la peine d'être payé à nouveau, puisque vous leur avez déjà appris que votre travail n'en valait pas le coup ».

L'App Store est un immense marché de clients potentiels et un marché qui fonctionne pas si mal au vu des chiffres, admet volontiers Gemmell (lire App Store : record des ventes en décembre et au 1er janvier). On pourrait ajouter qu'il assure aux utilisateurs d'iPhone une certaine tranquillité d'esprit face aux risques que peuvent poser des logiciels malveillants qui seraient accessibles sans aucune difficulté.

Cette sécurité, procurée par cette plateforme de distribution encadrée et verrouillée, tous les éditeurs en profitent. Cependant, la situation n'est pas complètement rose pour les développeurs aux ressources plus faibles qui y investissent et peuvent avoir du mal à en vivre sur le long terme.

Le Mac App Store échappe quelque peu à ces critiques mais pour une raison assez simple, Apple n'y apporte pas un intérêt démesuré, c'est peu de le dire. Et mieux vaut que cela continue pour les développeurs Mac qui veulent éviter cette course à la dévaluation de leurs logiciels, conclut Gemmell…

Deux éditeurs de taille moyenne mais indépendants, prolifiques sur les plateformes d'Apple — The Omni Group et Panic — ont fait valoir une expérience diamétralement opposée avec l'App Store. Chez The Omni Group, les apps mobiles sont vendues cher, très cher même eu égard à ce qui se pratique (de 33 à 80 €). Mais l'éditeur a dû revoir sa manière de faire devant l'éternelle absence de fonction de mise à jour des apps et de versions démo sur l'App Store.

Quant à Panic, éditeur réputé aussi dans son domaine, il a échoué à trouver un public pour ses apps iOS, malgré des baisses de prix pour suivre la tendance de fond. Cependant, comme son patron le reconnaissait, il n'y avait peut-être pas une parfaite adéquation entre la nature de ses utilitaires et les besoins exprimés par les utilisateurs sur iOS.

Dans un mois Apple tiendra sa conférence des développeurs. En plus des traditionnelles énumérations de chiffres sur la vigueur de l'écosystème iOS et de son "app "economy" (lire Apple vante ses 2 millions d'emplois américains) il y aura, peut-être qui sait, de la place pour quelques annonces structurelles sur le fonctionnement des App Store. En mars, Apple a enfin accédé à une vieille demande, celle de permettre aux développeurs de répondre à leurs clients sur l'App Store.

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