En dévoilant hier le nouveau système d’abonnement de l’App Store, Apple pourrait mine de rien bouleverser complètement des habitudes bien établies. Si la sauce prend avec les développeurs, et la Pomme va tout faire pour que ce soit le cas, on risque bien de ne plus consommer les applications comme on le faisait jusqu’alors (lire : App Store : Apple fait sa petite révolution).
Ce système d’abonnement est bien plus sophistiqué que celui que l’on connait actuellement. Il offre aux développeurs une grande souplesse et va les pousser à revoir leur stratégie. À partir de la deuxième année de souscription d’un abonné, la commission reversée au développeur va passer de 70% à 85% du prix de vente de l’abonnement. Une carotte très intéressante qui a un objectif : pousser le développeur à améliorer constamment son application afin d’« accrocher » le client sur le long terme.
Ce fonctionnement est bien différent du concept de mises à jour payantes que les développeurs réclament à corps et à cris depuis toujours. On accepte généralement de remettre la main à la poche pour s’offrir la nouvelle version majeure d’un logiciel qui regorge de fonctionnalités inédites. Avec un système d’abonnement, le développeur va « lisser » ces nouvelles fonctions dans le temps, dans le but de conserver ses abonnés (et les abonnements qui vont avec).
C’est un système qui fonctionne pour Adobe et Microsoft : les nouveautés du Creative Cloud et d’Office 365 sont livrées pratiquement en continu, sans attendre le lancement d’une version majeure. D’ailleurs, les numéros de version ont tendance à s’effacer. Évidemment, si cette structure tarifaire a de quoi satisfaire les développeurs dont les revenus ne se limiteront plus aux premières semaines de lancement d’une nouvelle app, on verra si les consommateurs sont prêts à multiplier les abonnements à leurs applications préférées. Ne serait-ce que financièrement, le budget n’est pas extensible à l’infini, et à côté il ne faut pas oublier les forfaits Netflix, Spotify, Apple Music, iCloud, Dropbox, Office 365… (lire : Le cloud : le nouveau trou dans votre budget)
Les applications qui utilisent déjà le système d’abonnement actuel (c’est le cas de Spotify, Netflix, Dropbox et consorts, ou encore les apps de presse) vont être un peu plus riches dès ce 13 juin. Apple va en effet activer le levier des 85% lundi prochain pour les clients à ces services qui en sont à leur deuxième année d’abonnement.
Apple précise également que si un ex-abonné se réinscrit dans les 60 jours suivants sa désinscription, il continuera d’être inclus dans le lot des abonnés de plus d’un an. Au delà de cette période de grâce de 60 jours, le pourcentage reversé au service bascule à 70%. Ce sera à l’application d’encourager l’utilisateur à revenir sur sa décision et à s’abonner à nouveau, dans ces 60 jours autant que possible.
Les abonnements pour les développeurs
Quoi qu’il en soit, dans la foulée des diverses interviews de Phil Schiller, Apple a livré quelques explications sur le portail des développeurs. À partir de cet automne, toutes les applications (iOS, tvOS, OS X) de toutes les catégories pourront proposer des micro-transactions sous la forme d’abonnements renouvelables automatiquement.
Cependant, toutes les applications ne sont pas forcément concernées par le modèle « app en tant que service » : certaines pourront continuer à être proposées sous la forme d’une « licence perpétuelle » (téléchargement payant), d’autres en tant que freemium (téléchargement gratuit, puis achat in-app, servant par exemple à acquérir des objets virtuels dans les jeux).
Apple précise que les abonnements renouvelables automatiquement concernent les applications qui proposent du contenu mis à jour sur une base régulière (journaux, sites web, cours, catalogues de vidéos ou de fichiers audio), ou des services (stockage, jeux de type massivement multijoueurs). Cela laisse une porte suffisamment grande pour toucher bon nombre d’éditeurs, mais on ne voit nulle part la possibilité de s’abonner à une application « pro » qui offrirait de nouvelles fonctions sur une base régulière.
Des apps comme Pixelmator, Paper ou Affinity Designer pourront-elles prétendre à ce type d’abonnement ? Ces logiciels ne fournissent pas de contenu ou de services à proprement parler, mais ils peuvent tout à fait livrer de nouveaux outils ou proposer de nouvelles fonctions. Les propos de Phil Schiller hier ont laissé penser que ces apps pourront exploiter ce modèle sur abonnement, mais la documentation d’Apple n’en fait pas mention. Est-ce une manière pour le constructeur de se garder une certaine marge de manœuvre au moment de valider une application ?
Auquel cas, le risque existe que l’App Store refuse purement et simplement de valider une application qui aurait demandé des mois de travail (on a déjà vu des histoires horribles du même genre…). Un éditeur prendra-t-il le risque de financer à perte le développement d'une application innovante, au risque de se faire blackbouler par Apple ? On suivra avec intérêt les informations qui seront dévoilées au fil des ateliers durant la WWDC car en l’état, ils sont nombreux à se poser des questions.
Les abonnements pour le consommateur
Au delà de ce flou typique d’Apple qui pourrait provoquer quelques maux de tête chez les développeurs, ces nouveaux abonnements vont apporter aussi une certaine souplesse pour les consommateurs. Une application pourra ainsi fixer des prix différents selon la durée de l’abonnement : 7 jours, un mois, deux mois, trois mois, six mois ou un an.
Apple prévoit deux types de souscription :
- Abonnement renouvelable automatiquement : c’est sans aucun doute les offres qui seront les plus courantes. Elles permettent d’accéder à du contenu mis à jour en continu (presse, par exemple) ou à des services (stockage en ligne). Une fois l’abonnement échu, il est renouvelé automatiquement, à moins que l’utilisateur ait désactivé la fonction de renouvellement automatique.
- Abonnement non-renouvelable : ce sera le cas pour les offres de type « season pass ». On connait ces forfaits qui ouvrent droit à une saison de retransmission sportive ou pour des séries TV, par exemple. À la fin de cet abonnement, l’utilisateur recevra une notification l’invitant à acheter un nouvel abonnement.
Apple a indiqué que le panneau de gestion des abonnements — actuellement confus et difficile à débusquer — sera revu pour faciliter les désinscriptions.
Si Apple s’abstient de parler de versions de démo, dans les faits le constructeur laisse la porte ouverte à une telle possibilité. Les développeurs pourront ainsi offrir des périodes gratuites pour utiliser leurs applications. Dans le cas d’une souscription d’un mois, l’utilisateur pourra recevoir 7 jours ou un mois d’utilisation gratuite. Le client ne déboursera rien avant la fin de cette période d’essai, puis son compte sera débité automatiquement dès que l’abonnement normal sera en route — à moins que l’utilisateur ait désactivé le renouvellement automatique (il sera sans doute activé par défaut, comme aujourd’hui).
Les développeurs auront aussi tout loisir de moduler les prix de leurs abonnements selon 200 paliers tarifaires et selon les territoires. On imagine ainsi que Netflix ou Spotify pourront proposer leur abonnement premium moins cher dans un pays où ils viennent de se lancer, histoire d'appâter le chaland. iTunes Connect, l’outil de gestion des développeurs, va intégrer une fonction qui va les aider à gérer les différentes tarifications selon les pays, de quoi leur faciliter la vie en cas de variation des taux de change ou de modification de la taxe sur la valeur ajoutée.
Attention toutefois, en cas de hausse des prix d’un abonnement, l’utilisateur sera prévenu par notification : il devra explicitement accepter de poursuivre l’abonnement. S’il ne fait rien, l’abonnement s’arrêtera à la fin de la période choisie, sans autre forme de procès. À noter : en cas de baisse de prix, l’abonné ne recevra aucune notification et le tarif de son abonnement sera réduit automatiquement.
Autre nouveauté qui va ouvrir aux éditeurs de nouvelles possibilités : l’App Store permet de créer différents niveaux de prestations au sein d’une même application. Par exemple, des souscriptions basic, premium et gold, donnant droit à plus ou moins de services ou de contenus. Les consommateurs pourront passer facilement et en tout temps d’un niveau de service à un autre sans pénalité. Charge ensuite aux développeurs de bien communiquer sur les différents services de leurs applications, afin d’encourager les utilisateurs à choisir l’abonnement le plus élevé, et y rester.
Mieux encore : afin de récompenser les clients les plus fidèles, un éditeur pourra décider d’augmenter son abonnement pour les nouveaux clients. Les utilisateurs actuels continueront de payer l’ancien prix. Évidemment, ils devront régler le nouveau prix en cas de changement d’abonnement.
Ces nouveaux abonnements pensés par Apple font preuve d’une grande flexibilité et couvrent des usages intéressants qui dépassent le cadre des simples mises à jour payantes. Ils vont forcer les développeurs à réfléchir au modèle économique de leurs applications. Les consommateurs pourront, eux, utiliser des services de manière plus souple ou ponctuellement (un GPS durant les deux semaines de vacances, par exemple).
Il s'agit peut-être aussi d'un moyen pour Apple de rendre les utilisateurs plus captifs à son écosystème. Quitter iOS alors qu'on a plusieurs abonnements en cours non transférables pourrait contrarier une transition vers Android.
Apple doit encore éclaircir certains points obscurs. Les applications qui ne fournissent pas de contenus ou de services à proprement parler pourront-elles adopter les abonnements ? Phil Schiller dit oui, mais pas (encore ?) Apple. Si les modèles traditionnels de la licence perpétuelle et du freemium restent en place, cette troisième voie ouvre des perpectives inédites pour tous.