À quoi va ressembler Netflix en France ?

Mickaël Bazoge |

Netflix est attendu comme le messie par bon nombre de téléspectateurs qui n'en peuvent plus de la plupart des programmes indigents du PAF. Si le lancement est prévu dans les prochains mois (septembre est souvent évoqué), que vaut réellement le service de vidéo par abonnement ?

Netflix et son catalogue de milliers de films et de séries TV pour moins de 10 euros par mois fait fantasmer bon nombre de Français, et pour une bonne raison : aucun service concurrent n'a su se hisser au niveau de l'offre de l'entreprise américaine. Canal+ a eu le mérite d'essayer avec CanalPlay, mais sans convaincre avec une offre pauvre et d'une qualité souvent indigne des standards actuels.

Netflix, un peu plus qu'un robinet

Rappelons rapidement le principe de Netflix. Le service propose une offre simple et très lisible : contre un abonnement mensuel (on reviendra sur le prix plus tard), l'utilisateur dispose d'un accès illimité au catalogue de vidéos, films et séries TV. Une proposition qui a immédiatement séduit des millions d'abonnés aux États-Unis, où le service se montre bien moins onéreux qu'un abonnement aux chaînes du câble (dont la plupart sont souvent sans intérêt pour le téléspectateur, qui doit de plus accepter de subir un intense matraquage publicitaire).

Si au départ, Netflix s'est contenté d'être un simple tuyau de distribution pour des producteurs avides de rentabiliser leurs séries TV et les vieux tromblons de leurs catalogues de films, le service crée par Reed Hastings en 1997 s'est aussi fait un nom en produisant des œuvres saluées dans le monde entier — House of Cards a multiplié, avec raison, les récompenses.

Netflix revendique aujourd'hui plus de 35,7 millions d'abonnés dans le monde, avec des utilisateurs hors États-Unis qui comptent pour un quart des revenus. L'activité à l'internationale devrait se montrer rentable d'ici quelques mois, avec l'ouverture programmée pour cette année à de nouveaux marchés : Allemagne, Belgique, Suisse… et France.

Après des mois de négociations avec les autorités (même l'Élysée s'est impliqué, c'est dire l'importance de l'affaire), les producteurs et les diffuseurs, Netflix est donc dans les starting-blocks pour un lancement dans l'Hexagone. S'il est encore bien difficile de répondre à la question du catalogue qui nous sera réservé, il est d'ores et déjà possible de se faire une idée du service proposé, en regardant de l'autre côté de l'Atlantique, en particulier au Canada.

L'exemple canadien

Netflix s'est lancé au Canada en septembre 2010. Il s'agissait alors de la première incursion internationale du service hors des États-Unis, mais malheureusement il n'avait pas mis les petits plats dans les grands : avec une minuscule poignée de contenus disponibles au nord de la frontière, le catalogue de Netflix Canada est apparu très pauvre… sans compter l'absence ou presque de films et séries TV doublés et/ou sous-titrés en français, une des deux langues officielles au pays. Il a fallu attendre quelques années supplémentaires pour finalement disposer d'un catalogue un peu plus fourni et attirant.

À l'heure actuelle, ce que propose Netflix au Canada est plus que digne. On y retrouve une portion intéressante des contenus visibles aux États-Unis, mais avec quelques exceptions notoires. Si les téléspectateurs américains peuvent jouir des Avengers ou de la série Arrow, on est encore assez loin du compte au Canada, où l'entreprise doit accorder ses violons avec les distributeurs locaux et naviguer entre la législation locale sur la chronologie des médias.

Et cela ne se limite pas aux nouveautés fraîches. Alors que Netflix US compte des films comme Running Man, Spider-Man (le premier épisode de Sam Raimi), Skyfall, les Tudors ou Dollhouse, au Canada il faudra faire avec un catalogue un peu plus réduit — même si au fil des recherches, on peut dénicher quelques pépites intéressantes comme la trilogie des Rambo, Spider-Man 3, Star Trek : Into Darkness ou encore GI Joe : Retaliation, Pain & Gain, World War Z (oui, il en faut pour tous les goûts…) On trouve également au catalogue canadien des séries TV relativement récentes comme Bates Motel, Mad Men, Breaking Bad… Notons que depuis quelques mois, on assiste à une offensive bienvenue en matière de films relativement récents.

Évidemment, Netflix Canada comprend aussi — et l'atout est de taille — les séries « maison » comme la déjà culte House of Cards, ou encore Orange is the new Black, Lilyhammer, Derek… En revanche, pas de Game of Thrones ou de True Detective. Les deux séries événement de HBO ne sont pas visibles sur Netflix, et pour une bonne raison : le réseau câblé américain n'a pas signé d'accord avec le service. Et il en sera sans doute de même pour la France. Il ne faudra pas s'attendre à voyager dans les terres de Westeros à la rentrée…

Les parents apprécieront également le vaste catalogue destiné à la jeunesse. C'est sans doute l'un des plus importants de toute l'offre de Netflix et il y en a vraiment pour tous les âges et tous les goûts ! L'ajout — récent au Canada — des innombrables épisodes des Pokémon (aussi bien les séries TV que les films) complète un rayon Animé particulièrement riche. Un vrai bonheur pour les amateurs du genre, et en VO s'il vous plait.

En bonus, les grands voyageurs apprécieront certainement de pouvoir accéder au catalogue du pays où ils se trouvent. Une virée à New York permet ainsi de profiter de l'offre américaine du service avec le compte de son pays. Et il reste toujours le recours aux VPN pour ceux qui ne veulent pas s'encombrer avec les spécificités locales…

Question catalogue, ce qu'offre Netflix au Canada est largement suffisant pour occuper agréablement de nombreuses soirées enneigées (ce qui n'était pas forcément le cas il y a deux ans, par exemple). Le service canadien se traîne toujours derrière son homologue américain, avec respectivement 3 600 titres chez l'un et plus de 10 000 pour l'autre. Mais l'apport régulier de nouveautés, en particulier pour les films ces derniers temps, est le gage que le service ne s'endort pas sur ses lauriers et continue de signer des accords avec des distributeurs locaux — il n'est plus rare d'y trouver des blockbusters relativement récents. Voilà qui est de bon augure pour les téléspectateurs français.

Quels contenus en français ?

C'est là que le bât blesse. Les vidéos en français sont rares, notamment pour le doublage. Les films et séries TV disponibles dans la langue de Molière sont bien peu nombreux. On a cependant eu la surprise de disposer de la nouvelle saison de House of Cards entièrement doublée le jour même de son lancement. Une heureuse surprise trop rare sur Netflix. Le service propose bien des sous-titres, mais ils se limitent souvent à l'anglais pour les sourds et malentendants. C'est épatant pour ceux qui veulent apprendre la langue de Britney Spears, mais pour le « couch potato » qui veut juste se détendre devant sa télévision sans avoir l'impression d'être en classe d'anglais, ça coince forcément.

Netflix ne propose pas de liste de vidéos « en français », ce qui serait un point positif pour éviter les déconvenues. De même, on ne sait jamais si une vidéo dispose d'un doublage ou d'un fichier de sous-titres en français avant de la lancer. Attention aux déceptions…

À l'heure actuelle, on ignore évidemment ce qu'il en sera de l'offre en France. Le plus facile sera de fournir des fichiers de sous-titres en français. Pour le doublage, la balle est dans le camp des distributeurs qui devront faire l'effort de livrer des vidéos doublées. Espérons maintenant que la VO ne sera pas oubliée pour autant.

La série TV Les Borgia, produite par Canal+ et visible sur Netflix Canada (mais uniquement en anglais sous-titrée), sera-t-elle disponible aussi en France ? Il est permis d'en douter, Netflix représentant un ennemi mortel pour le réseau français payant. Plus globalement, d'après ce que la rumeur a bien voulu nous en dire, les producteurs auraient accueilli avec bienveillance l'arrivée du service de vidéo à la demande sur abonnement, qui représente un débouché supplémentaire pour leurs contenus et partant, une manne financière de plus.

Pour prouver sa volonté de s'implanter durablement, Netflix a également annoncé qu'une série sera produite en France, à Marseille, en se basant sur la saga Taxi — Luc Besson est impliqué à la production. Du contenu très local donc, avec on l'espère chevillé au corps la même volonté qualitative que pour les autres productions du groupe.

Un point sur la chronologie des médias

Inutile de rechercher sur Netflix — et ce, quel que soit le pays — le dernier blockbuster à la mode. Le service est tenu au respect de la chronologie des médias, qui rythme la vie d'une œuvre au travers des « fenêtres » qui s'ouvrent et se referment au fil des ans. Au Canada par exemple, la location d'un film au travers d'un service de pay per view intervient entre 6 à 7 mois après sa sortie en salles. Il faut attendre deux mois supplémentaires pour le DVD et le Blu-ray. L'iTunes Store et les autres services de vidéo à la demande doivent attendre plus de 8 mois. Netflix peut être servi en même temps qu'iTunes, suivant les accords que le service peut avoir tissés avec le distributeur, ou alors après 24 mois.

Au contraire de l'Amérique du Nord où cette chronologie est majoritairement régie par des accords entre entreprises privées, en France, celle-ci revêt un caractère pratiquement patrimonial puisqu'elle est aussi la garante et la clé de voûte de l'exception culturelle du cinéma hexagonal. En France, les chaînes de télévision financent le cinéma, un système qui fonctionne plutôt bien et qui permet au pays de figurer parmi les plus importants marchés de la production mondiale.

Autant dire qu'on ne touche pas au grisbi, même si la mission de Pierre Lescure, en mai 2013, avait lancé quelques pistes explosives pour bousculer la sacro-sainte chronologie, notamment la disponibilité en VOD trois mois après la sortie en salles, et même deux semaines en cas de sortie dans moins de vingt salles d'un film qui n'a pas reçu de financement. Quant au délai applicable à la vidéo à la demande sur abonnement (SVOD), le cas de Netflix, le rapport préconisait de le ramener à 18 mois.

Rappelons qu'en France, un film ne peut être disponible en DVD/Blu-ray/VOD qu'au bout de 4 mois après sa sortie au cinéma, et 36 mois en SVOD de type CanalPlay — ce qui explique, entre autres, la piètre fraîcheur du catalogue de la filiale en ligne de Canal+. Malheureusement pour les téléspectateurs et Netflix, les propositions de Lescure n'ont pas abouti à une volonté politique claire de tout remettre sur la table… Ce qui peut s'expliquer au vu des énormes enjeux économiques.

Bref, au niveau des films, il ne faudra pas s'attendre à un miracle. À moins que des producteurs iconoclastes viennent tout remettre en cause, comme on l'a vu lors d'initiatives isolées à l'instar du film Welcome to New York ou la dernière production de Joss Whedon. Ces deux métrages ont évité la case cinéma pour filer directement vers la VOD. Mais cela ne concerne pas Netflix au modèle économique différent du paiement à l'acte.

De l'autre côté de la médaille, les séries TV n'ont pas ce problème. Pas de chronologie des médias à respecter, et d'ailleurs le succès de Netflix repose pour une grande partie sur le catalogue de séries proposées — ça n'est pas un hasard si Netflix produit ce type de produits, plutôt que des films. Dans le cas des séries TV, il s'agit d'une négociation entre distributeurs et producteurs ; au vu du poids de Netflix ainsi que son assise financière, les consommateurs français devraient bénéficier d'un catalogue plus intéressant.

Quel prix pour la France ?

C'est la question à moins de 10 €. Au Canada, il en coûte 7,99 $ par mois pour profiter de l'intégralité du catalogue de Netflix. Aux Pays-Bas, où le service est disponible depuis septembre 2013, le prix est fixé à 7,99 €. La rumeur veut que pour la France, l'abonnement mensuel soit fixé « sous les 10 € », en droite ligne de ce que l'on connait ailleurs.

Reste à savoir où le curseur va se positionner. Les obligations qu'auraient accepté Netflix dans le cadre de sa négociation avec les pouvoirs publics pourraient avoir un impact non négligeable sur le prix de l'abonnement. Malgré tout, il devrait être assez limité dans son ampleur, étant donné que Netflix paiera un minimum de taxes en France : pour émettre sur le territoire, le service s'est en effet installé au Luxembourg, à deux pas du siège de l'iTunes Store, au grand désarroi d'Arnaud Montebourg et d'Aurélie Filippetti.

En dehors des obligations légales, Netflix produit également de plus en plus de séries. Ces investissements, souvent de prestige (Kevin Spacey et David Fincher sont aux manettes de House of Cards), sont aussi très onéreux, ce d'autant plus que la bataille avec Amazon sur ce créneau de la production fait monter les enchères. C'est pourquoi, le mois dernier, l'entreprise a décidé d'une hausse des prix pour ses nouveaux abonnés : il en coûtera ainsi 1 € de plus en Irlande (les anciens conservant pendant encore deux ans leurs tarifs habituels).

Il sera également intéressant de voir si des offres couplées seront proposées par les opérateurs. Les Extras de SFR permettent par exemple de choisir CanalPlay avec son forfait Carré : pourquoi ne pas imaginer une offre identique avec Orange ou Bouygues ? Sans oublier la possibilité de retrouver Netflix dans les box des opérateurs : dans ce cadre, des offres spéciales pourraient être lancées.

Netflix dans l'écosystème d'Apple

En France, comme partout ailleurs, les utilisateurs de Netflix auront accès au service via une large palette de terminaux : sur une smart TV et les consoles de salon au gré des accords avec les constructeurs, sur Mac (via un navigateur web), sur iPhone et iPad avec l'application dédiée, ainsi que sur Apple TV et Chromecast. Netflix a d'ailleurs longtemps représenté un des atouts majeurs du petit boîtier d'Apple, à une époque où le contenu proposé se limitait pratiquement au seul catalogue de films en location de l'iTunes Store.

Sur Apple TV, comme sur les terminaux mobiles, l'expérience de Netflix est finalement assez proche de celle offerte par Popcorn Time (il n'est d'ailleurs pas interdit de penser que les développeurs de cette application se soient librement inspirés de Netflix). L'application affiche des séries de jaquettes de films rangées par catégories : Nouveautés, Action, Comédie, etc. Il suffit de tapoter sur une image pour voir apparaître les détails comme le synopsis, le casting, quelques informations connexes comme l'année et l'âge minimum, ainsi que le classement par étoiles donné par les autres spectateurs.

Après le visionnage d'un film ou d'un épisode, on pourra à son tour noter la vidéo, mais pas laisser de commentaire particulier ce qui est un peu dommage. Chaque vidéo pourra être glissée dans une liste de favoris. Il n'est pas possible de créer d'autres listes de lecture, par exemple pour accéder à ses « séries anglaises TV préférées mettant en vedette Simon Pegg ». Par contre, le système de classement de Netflix, extrêmement précis, permet au service de proposer d'étonnantes listes comme « les séries TV mettant en scène un personnage féminin fort ». Ces catégories changent de temps à autre, ce qui permet de découvrir des nouveautés potentiellement intéressantes à chaque lancement de l'app.

À l'ouverture de l'application iOS, on pourra reprendre la lecture d'un film/épisode non terminé. Et l'utilisateur a en tout temps accès à la catégorie Visionnés, où il retrouvera les derniers films et séries TV consultés : utile pour lancer rapidement la lecture d'un nouvel épisode. Des sections comme « Parce que vous avez vu American Dad » retourne des listes de vidéos en lien (dans cet exemple, Netflix propose Family Guy, South Park ou… World War Z. Après tout, pourquoi pas). Surtout, l'atout de Netflix réside dans son algorithme qui propose des films et épisodes en fonction des goûts du spectateur, dont la compréhension s'affine au fur et à mesure des visionnages. Cela tombe parfois à côté de la plaque, mais certaines recommandations sont assez justes et évitent de naviguer durant de longues minutes dans un catalogue dont il est impossible de faire le tour.

Qualitativement parlant, Netflix ne précise jamais si le film est en 720p ou en 1080p. Depuis peu de temps, il diffuse aussi certains contenus en 4K si on dispose d'une connexion Internet d'au moins 25 Mbits/s et un téléviseur compatible. À l'usage, le service s'adapte à la qualité de la bande passante disponible, en priorisant la bande son.

À certains moments en soirée, l'image peut parfois ressembler à du YouTube circa 2007 avec gros pavés de pixels à la clé, mais l'audio restera autant que possible de bonne facture (il est vrai que c'est moins lourd à transporter que de la vidéo). En général, les vidéos demandées se lancent rapidement, le temps de mise en cache est réduit au minimum. Petite astuce, pour accéder aux réglages audio et sous-titres sur Apple TV, il faut maintenir le bouton central de la télécommande.

Rapides et efficaces, dotées d'une interface sobre qui respecte les canons esthétiques de simplicité d'iOS 7, les applications de Netflix (iOS comme Apple TV) sont clairement de nature à concurrencer la facilité de téléchargement et de visionnage des services interlopes. Certes, le contenu n'est pas le même que dans Popcorn Time qui s'abreuve au fleuve des contenus illégaux, mais cette abondance à pas cher est à même de satisfaire la soif des cinévores et des sériephiles.

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