Android Wear ou l'échec de Google sur le haut de gamme

Mickaël Bazoge |

L’Apple Watch n’est pas attendue uniquement par les fans du constructeur. Le lancement de la montre connectée d’Apple est aussi guetté de près par la concurrence, tout particulièrement par les constructeurs de toquantes Android Wear qui n’ont pas encore trouvé la martingale pour multiplier les profits.

Avec 720 000 unités écoulées l’an dernier, les Samsung, LG, Motorola, Asus et Sony n’ont pas vraiment créé l’effet de levier attendu par Google pour imposer Android Wear comme plateforme de référence sur le marché bourgeonnant de la montre connectée — alors que le secteur est précisément en quête de son champion autour duquel se positionneront les systèmes concurrents. Malheureusement pour le moteur de recherche, il est probable que ce rôle échoie à Apple, même si le chiffre donné par Canalys recouvre des réalités différentes.

La G Watch de LG.

Si les premières montres Android Wear ont été lancées en juin (dont la G Watch qui a très mal vieilli), les ventes n’ont vraisemblablement démarré qu’en septembre, lorsque Motorola a débuté la commercialisation de sa Moto 360 : plus convaincante tant en termes de choix des matériaux que de design, cette montre a visiblement fait l’objet d’un soin particulier dans sa conception — après tout, une montre est aussi un bijou, autant avoir quelque chose de joli autour du poignet (lire : Test de la Moto 360). C’est d’ailleurs ce modèle qui s’est révélé le plus populaire du catalogue Android Wear.

Même si ce chiffre de 720 000 unités reste à confirmer (il peut être sous-évalué), il est clair que les montres Android Wear sont bien loin de se retrouver au poignet du plus grand nombre d’utilisateurs d’Android. Ils sont pourtant plus d’un milliard sur la planète : statistiquement, ces montres connectées auraient au moins dû franchir la barre du million, ne serait-ce que par la force de frappe marketing de Google et des constructeurs partenaires. Mais la déferlante n’a pas eu lieu.

Mauvaise heure pour Android Wear

L’intérêt pour les montres connectées ne date pourtant pas de la présentation de l’Apple Watch en septembre dernier. Il n’y a qu’à voir l’engouement pour la Pebble : les deux générations proposées au financement participatif ont non seulement permis à Kickstarter d’établir de nouveaux records, mais également de générer énormément de buzz sur les sites web et les réseaux sociaux.

Même si en bout de course, le constructeur n’écoulera qu’un assez faible volume de ses montres : à la fin de sa période de financement, la Pebble Time devrait atteindre les 100 000 unités vendues, peut-être plus. Sans oublier le million de Pebble vendues depuis son lancement début 2013 : c’est déjà plus qu’Android Wear. On reste loin, évidemment, des millions d’iPhone ou d’iPad qu’Apple écoule lors de leurs week-ends de lancement. Et nul doute que l’Apple Watch établira là aussi un record en la matière lorsqu’elle sera disponible, en avril.

L’erreur de Google a-t-elle été de snober ostensiblement iOS pour privilégier Android ? On peut comprendre la logique qui a conduit le moteur de recherche à s’occuper d’abord de sa propre plateforme. Il est trop tard pour refaire l’histoire, mais ce choix explique sans doute pourquoi Android Wear n’est pas devenue la plateforme vestimentaire de référence.

Alors, y a-t-il un problème spécifique à Android Wear ?

Techniquement, on peut difficilement faire le procès de Google dans cette affaire. Après tout, le moteur de recherche a plutôt bien fait les choses : Android Wear est un système d’exploitation pas désagréable, véritablement pensé pour les petits écrans, avec en plus le système de notifications « intelligentes » et contextuelles Google Now. Pour peu qu’on ait investi du temps dans cette fonction phare d’Android, cet usage cadre parfaitement avec une consultation rapide au poignet. Et l’écosystème logiciel commence somme toute à devenir intéressant.

Certes, tout n’est pas parfait. La navigation dans les menus mériterait d’être simplifiée. Certains gestes n’ont rien de très ergonomique. On aimerait avoir la main sur les « cartes » que Google Now décide de nous servir. L’affichage sur les écrans ronds n’a rien d’optimal. Bref, il y a encore du pain sur la planche pour faire d’Android Wear un système d’exploitation mature, mais le marché de la montre connectée est loin de l’être également.

La bonne volonté de Google et les efforts mis dans le développement de cette nouvelle plateforme ne sont pas suffisants pour la faire décoller. Et les ventes faibles poussent des partenaires pourtant historiques d’Android à investir leurs précieuses ressources ailleurs : Samsung mise tout sur Tizen pour ses toquantes Gear; LG a mis au point une déclinaison de webOS pour sa Watch Urbane LTE. Il est clair que les constructeurs se cherchent, ils sentent qu’il y a un espace à investir pour imposer une solution alternative face à l’ogre Google.

Cheap ou premium

En dehors des problèmes logiciels et techniques qui restent à résoudre (notamment l’épineuse question de l’autonomie qui se pose aussi à Apple), ce démarrage poussif d’Android Wear pourrait aussi s’expliquer par une des caractéristiques principales du marché Android : la frange d’utilisateurs prête à payer pour du logiciel ou des accessoires de qualité est infime face à l’immense majorité de ceux qui utilisent Android par défaut et qui se contentent de profiter des nombreux services gratuits accolés à la plateforme.

La Smartwatch 3 de Sony.

Il n’y a pas de mal : tout le monde n’a pas nécessairement le pouvoir d’achat nécessaire pour dépenser plus de 500 € dans un smartphone. Sans compter que, pour la plupart des utilisateurs, un smartphone n’est qu’un outil permettant de passer des appels et relever ses courriels — leur argent est dépensé ailleurs et c’est très bien ainsi. Mais c’est un problème qui touche moins les possesseurs d’iPhone. L’environnement mis en place par Apple est bien plus intégré, le processus de paiement y est assez simple et globalement, les utilisateurs iOS, plus « engagés » dans l’écosystème iOS, sont plus prompts à la dépense que leurs collègues sous Android.

Cela se lit non seulement dans la marge réalisée par Apple sur l’iPhone (qui a largement participé aux résultats historiques du dernier trimestre 2014), mais aussi au niveau des développeurs. Même si l’iPhone est loin derrière Android sur les parts de marché en volume (20% contre 80%, grosso modo), les revenus générés par l’App Store pour les développeurs sont plus importants que sur le Play Store. Et ce, même quand les téléchargements sont plus importants chez Google.

Cette propension à la dépense plus facile s’incarne aussi dans l’adoption d’Apple Pay : récemment, la banque Chase faisait part du profil de ses clients ayant enregistré leurs cartes de crédit dans le système de paiement sans contact d’Apple. Un rêve pour n’importe quelle marque ou annonceur : le client Apple Pay est jeune, il dispose de revenus plus élevés que la moyenne, et il dépense plus.

Plus globalement, les revenus générés par les « services », qui regroupent chez Apple les différentes boutiques et Apple Pay, ne cessent d’augmenter. Au quatrième trimestre, ils atteignaient pratiquement 4,8 milliards de dollars, un chiffre en hausse de 9,14 % par rapport au même trimestre de l’année précédente. Beaucoup d’entreprises aimeraient avoir des revenus aussi importants pour l’ensemble de leurs activités.

La clientèle premium se trouve majoritairement du côté d’Apple. On verra si les nouveaux Galaxy S6, qui jouent désormais clairement dans la cour du haut de gamme après l’abandon du plastique, arriveront à attirer ces clients plus intéressants pour les constructeurs et les développeurs; ce sont aussi eux qui ont moins de scrupules à dépenser de l’argent dans des périphériques et des accessoires. Il n’y a qu’à voir la vitalité de ce marché et la main de fer dans laquelle Apple serre ses partenaires au travers du programme MFi.

Et si le vrai problème d’Android Wear résidait dans le peu d’appétit des utilisateurs Android pour les périphériques et les accessoires ? L’écosystème de Google est tiré vers le bas par les flots de produits à bas coût qui détournent l’attention de la cible premium visée par Android Wear. Paradoxalement, c’est en se lançant sur iOS que les montres Android Wear pourraient finalement rencontrer le succès. D’une, parce que les possesseurs d’iPhone sont enclins à dépenser un peu plus pour accessoiriser leurs produits mobiles. Et aussi parce qu’ils sont comme tout le monde : ils aiment avoir le choix.

Le choix d’avoir le choix

On peut penser que le succès que rencontre la Pebble, toutes générations confondues, provient aussi du fait qu’elle est une des rares montres compatibles iOS du marché. On trouve bien, sur notre plateforme, toutes sortes de bracelets fitness dont certains affichent l’heure, mais on est loin d’une montre à proprement parler. L’Apple Watch va apporter une sacrée bouffée d’air frais à tous ceux qui veulent porter quelque chose de plus distingué qu’un Fitbit ou un UP.

Les analystes les plus optimistes estiment qu’Apple pourrait écouler une trentaine de millions d’unités de sa montre dans l’année. Pourquoi laisser un tel marché dans les seules mains du constructeur de Cupertino ? Les constructeurs concurrents seraient certainement très heureux de vendre leurs toquantes connectées à des consommateurs prêts à craquer pour d’autres formats, d’autres matériaux et d’autres prix que la montre « officielle ». Android Wear semble être le client parfait : la plateforme propose un écosystème varié, aussi bien au niveau des produits que des logiciels (au contraire de Tizen ou du webOS portable de LG). Encore faut-il que Google bâtisse le pont entre Android Wear et iOS.

Si un développeur, tout seul dans son coin, a pu s’arranger pour que les notifications reçues sur un iPhone s’affichent sur une Moto 360 (lire : Les notifications iOS compatibles Android Wear), alors Google et son armée d’ingénieurs de haut niveau sont certainement en mesure de faire au moins aussi bien. Ce d’autant que tout est déjà disponible : Google Now existe sur iOS (au sein de l’app Google) et rien n’empêche Google de plancher sur une application Android Wear pour iOS comprenant sa propre boutique de logiciels « vestimentaires » — après tout, si Pebble y est bien arrivé, pourquoi pas Google.

Même si le marché n’était pas le même, on peut dresser un parallèle entre Android Wear et l’iPod : c’est quand Apple s’est finalement décidée à prendre en charge Windows que le baladeur a fini par décoller. Steve Jobs en a peut-être mangé son chapeau, mais c’est grâce à cette décision qu’Apple a fini par sortir de l’ornière et devenir l’entreprise toute-puissante que l’on connait.

Pour Android Wear (comme pour l’iPod à l’époque), certaines fonctions manqueront sans doute à l’appel, mais l’essentiel sera là. Il se murmure d’ailleurs depuis peu que Google travaille sur la compatibilité d’Android Wear avec iOS. Si tel était le cas, l’entreprise de Mountain View lèverait le voile sur cette chimère durant Google I/O, qui se tient fin mai… soit un bon mois après le lancement de l’Apple Watch. On pourra tirer alors un premier bilan de la montre connectée d’Apple : il sera peut-être temps pour Google de présenter une alternative aux déçus de l’Apple Watch…

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