iPhone 6s : un excellent appareil photo quand il n'est pas frustrant

Anthony Nelzin-Santos |

Année après année après année, Apple nous a assuré qu’il valait mieux ne pas mettre plus de huit mégapixels dans un capteur aussi petit que celui de l’iPhone. Cette année pourtant, elle lui a ajouté quatre mégapixels sans augmenter sa taille, tout en continuant à professer qu’« une belle photo ne s’apprécie pas qu’en mégapixels ». Apple semble ainsi se rendre coupable de ce qu’elle a toujours dénoncé : une augmentation de la définition au service de la fiche technique plutôt que de l’utilisateur.

iPhone 6s (1/50 à ISO 25).

Voilà qui pose bien des questions. La « technologie de pixels avancée » et le « nouveau processeur de signal d’image » peuvent-ils contrer l’immanquable augmentation du bruit numérique allant de pair avec la diminution de la taille des photosites ? Les « focus pixels » supplémentaires améliorent-ils vraiment la mise au point ? Le « mappage de ton local amélioré » produit-il des couleurs plus réalistes ? Bref, l’iPhone 6s prend-il de meilleures photos que l’iPhone 6 ? La réponse en images.

Un capteur encombré comme jamais

Les amateurs d’« iPhonographie » ont appris à attendre les années « s » : de l’augmentation de la définition du capteur à l’introduction de nouvelles optiques, elles ont toujours été riches en nouveautés. Cette année ne fait pas exception, l’iPhone 6s abandonnant le capteur 8 Mpx utilisé depuis deux ans au profit d’un nouveau capteur 12 Mpx. Mais cette nouvelle augmentation de la définition interroge : pour la première fois, elle n’est pas accompagnée d’une augmentation proportionnelle de la taille du capteur ou d’une amélioration de l’optique.

Le passage de 3 Mpx sur l’iPhone 3GS à 5 Mpx sur l’iPhone 4 s’était accompagné d’une augmentation de la taille du capteur — qui adoptait par ailleurs une toute nouvelle technologie — de manière à préserver la taille des photosites. Des photosites dont la taille a finalement été réduite l’année suivante avec le passage à 8 Mpx, mais la plus grande ouverture de l’optique permettait de moins les mettre à l’épreuve. Mieux, l’iPhone 5s a bénéficié d’un plus grand capteur et d’une meilleure optique tout en restant à 8 Mpx.

La taille des photosites diminuait régulièrement, jusqu’à ce qu’Apple inverse la tendance avec l’iPhone 5s. Bénéficiant de technologies introduites avec l’iPhone 4 et d’une nouvelle optique plus complexe et plus lumineuse, ce modèle s’était imposé comme l’un des tout meilleurs « photophones », un titre repris par l’iPhone 6. Mais la concurrence n’a pas chômé…

L’iPhone 6s défie cet ordre bien établi en casant 50 % de photosites et 50 % de « focus pixels » supplémentaires dans un même capteur ⅓". Conséquence, les photosites ne mesurent plus que 1,22 µm. En quoi cela importe ? La taille des photosites influe directement sur certaines de leurs caractéristiques électriques : plus ils sont petits, plus leur sensibilité diminue, comme la dynamique du capteur. Et le risque de diaphotie (crosstalk), c’est-à-dire le risque qu’un photon atteignant un pixel soit « senti » par un pixel voisin, augmente aussi.

…cette concurrence utilise désormais des capteurs plus grands que celui de l’iPhone, et souvent des optiques plus lumineuses. Le Galaxy S6 Edge utilise un capteur 1/2,6", mais comme Samsung y case 16 Mpx, les photosites ne dépassent pas 1,2 µm. Sauf que la firme coréenne l’associe à une optique ƒ/1,9 et possède d’excellents algorithmes, fruit de son expérience acquise dans le marché de la photographie. Les résultats sont tout simplement excellents. On attend aussi beaucoup du Google Nexus 6P, derrière l’optique ƒ/2,0 duquel s’étalent douze millions de photosites de 1,55 µm sur un « grand » capteur 1/2,3". Seule Nokia s’est aventurée à utiliser des capteurs dignes d’appareils photo compacts, au prix de l’encombrement et du poids.

Les fabricants combattent la diaphotie depuis des années : l’arrangement des filtres colorés et des micro-lentilles des capteurs aident à la prévenir, tandis que le traitement logiciel peut minimiser ses effets sur la colorimétrie. En outre, les photosites sont isolés les uns des autres avec des techniques de plus en plus perfectionnées et de plus en plus efficaces. Or Apple — ou plus précisément son fournisseur — a adopté la plus efficace de toutes, l’« isolation par tranchée profonde » (deep trench isolation).

Un appareil capable du meilleur…

Force est de constater que dans la plupart des cas, cette technologie au nom barbare semble faire des merveilles. Ce premier exemple montre bien le gain de définition offert par le capteur de 12 Mpx, qui retranscrit mieux la dureté des aspérités de l’écorce et la douceur des circonvolutions des lichens. « Définition », plutôt que « piqué », la netteté et le micro-contraste du cliché laissant encore — dans l’absolu — à désirer.

iPhone 6s (1/35 à ISO 32). Toutes les photos de cette comparaison sont directement issues des appareils, sans retouche ni manipulation, et sont fournies sous licence Creative Commons BY-NC-SA. Les miniatures affichées dans l’article sont redimensionnées et compressées par notre outil de mise en ligne ; les versions originales sont consultables au bout du lien cliquer pour agrandir
iPhone 6 Plus (1/50 à ISO 40). Cliquer pour agrandir

Vous aurez sans doute remarqué que les oranges et les jaunes du cliché issu de l’iPhone 6s sont plus chauds et plus intenses : cette « interprétation » est plus fidèle à l’ambiance de la fin d’après-midi ensoleillé pendant lequel ont été prises ces photos. De manière générale, l’iPhone 6s est plus flatteur que son prédécesseur, qui produisait des clichés moins saturés. L’exemple suivant est frappant : selon l’appareil, le vert est plus riche et jaune ou plus profond et bleu.

iPhone 6s (1/35 à ISO 25). Cliquer pour agrandir
iPhone 6 Plus (1/50 à ISO 40). Cliquer pour agrandir

Rares sont les cas où l’iPhone 6s est moins pétulant : cela ne s’est produit qu’une seule fois parmi une centaine de clichés comparatifs, sur une image… qui n’était pas censée m’aider à juger de la balance des blancs et de la colorimétrie ! Elle était plutôt conçue pour révéler d’éventuelles différences dans la construction et le traitement de l’optique, toutes choses qui se dévoilent souvent face au soleil. Sur ce plan, rien ne semble avoir changé : les défauts sont similaires, les différences chromatiques tenant sans doute au léger décalage des deux appareils lors de la prise de vue.

iPhone 6s (1/525 à ISO 25). Cliquer pour agrandir
iPhone 6 Plus (1/705 à ISO 32). Cliquer pour agrandir

Toutes les photos de cette comparaison ont été prises avec l’application Appareil photo, sans autre réglage particulier que celui de la zone de mise au point. Il est donc intéressant que les deux appareils fassent régulièrement des choix d’exposition différents, comme dans cet exemple testant l’étendue de la dynamique des capteurs, de l’ombre parmi les massettes au ciel d’un bleu saturé. Lequel est le meilleur ? À vous de juger.

iPhone 6s (1/1114 à ISO 25). Cliquer pour agrandir
iPhone 6 Plus (1/1464 à ISO 32). Cliquer pour agrandir

La mise au point est rapide, mais il est difficile de quantifier les progrès apportés par les « focus pixels » supplémentaires. Plusieurs tests menés avec des coureurs et des cyclistes — que je ne peux publier pour des raisons de droit à l’image — montrent que l’iPhone 6 et l’iPhone 6s ont la même capacité à « accrocher » des sujets mouvants. L’iPhone 6s est peut-être un peu plus à l’aise avec les sujets approchant de face, mais seulement légèrement.

La différence est sans doute plus visible lorsque la détection de visage est de la partie : demandez à votre sujet de cacher son visage puis de le montrer, et vous verrez comment l’iPhone 6s perd puis refait très rapidement la mise au point. De même, il semble mieux se comporter dans des conditions difficiles, comme dans cet exemple où il met bien au point sur la fleur à droite malgré les bourrasques, alors que l’iPhone 6 tape un peu derrière.

iPhone 6s (1/50 à ISO 25). Cliquer pour agrandir
iPhone 6 Plus (1/100 à ISO 50). Cliquer pour agrandir

…comme du pire

Mais l’autofocus patine dès que la luminosité se dégrade, et comme d’autres systèmes à détection de phase, il est difficile de lui faire changer d’avis lorsqu’il a décidé de mettre au point à côté… ou de ne pas mettre au point du tout. J’ai dû m’y reprendre à huit fois avant de finalement réussir à prendre l’exemple suivant, alors que l’iPhone 6 a pris la photo correctement du premier coup. Mais c’est une situation rare : les « focus pixels » n’ont rien à envier aux systèmes à laser ou infrarouge.

iPhone 6s (1/130 à IS0 25). Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. Le mieux est encore de changer complètement de cadre, de mettre au point à l’infini, puis de réessayer — mais cela ne fonctionne qu’avec les fleurs et les bâtiments, pas avec les enfants. Cliquer pour agrandir
iPhone 6s (1/100 à ISO 25). Finalement ça veut, avec un cadrage légèrement différent. L’autofocus est farceur : il a tendance à patiner dans les situations les moins confortables, comme ici à ras le sol. Tout ça pour un pissenlit !Cliquer pour agrandir
iPhone 6 Plus (1/155 à ISO 32). Cliquer pour agrandir

Cet exemple montre à nouveau la chaleur des clichés de l’iPhone 6s — encore une fois cela colle bien à l’ambiance du moment, mais cette tendance est parfois excessive. Ainsi dans l’exemple suivant, il exagère les rayures jaunes au détriment des rayures vertes, qui sont pourtant plus saturées « en vrai ». Le résultat est flatteur et vibrant, presque tropical, mais le cliché issu de l’iPhone 6 est plus réaliste.

iPhone 6s (1/100 à ISO 40). Cliquer pour agrandir
iPhone 6 Plus (1/100 à ISO 40). Cliquer pour agrandir

Les photos de l’iPhone 6s ne paraissent jamais vraiment artificielles, les développeurs d’applications de « retouche créative » peuvent respirer, mais semblent parfois trahir des traitements logiciels un peu trop poussés. Le problème vient souvent de l’arrière-plan : remontez les exemples précédents, et vous pourrez constater qu’il est souvent plus « dur » sur les clichés de l’iPhone 6s que sur ceux de l’iPhone 6. L’exemple suivant est instructif : toute la définition des clichés de l’iPhone 6s ne provient pas des quatre mégapixels supplémentaires.

Deux extraits à taille réelle. Les arbres se fondent mieux dans le cliché de droite, pris avec un iPhone 6 Plus, alors que le flou est plus distrayant dans le cliché de gauche, pris avec un iPhone 6s. Les cheveux et l’œil sont incontestablement plus détaillés dans la photo issue de l’iPhone 6s.Cliquer pour agrandir

On comprend mieux que l’iPhone 6s possède un nouveau processeur de signal d’image : il traite les données brutes de manière autrement plus complexe que l’iPhone 6. Dans le dernier exemple, le nouveau mappage de ton local joue parfaitement son rôle sur les tons chairs, mais crame complètement le ciel qui avait gardé un peu de bleu sur l’iPhone 6 Plus. Et parfois, il dérape complètement, par exemple lorsqu’il impose un voile vert très disgracieux sur les portraits, ou fond les couleurs d’un pétale aux motifs complexes.

Mais le principal problème semble provenir d’une combinaison un peu excessive de réduction de bruit et d’accentuation des contours. Il est indéniable qu’elle permet aux clichés de l’iPhone 6s de ressortir de manière plus intense, mais elle introduit des éléments parasites dans les grands aplats de couleurs et sur les éléments flous, et fait perdre en détail dans les clichés en basse luminosité, au point que l’iPhone 6s soit alors moins précis que son prédécesseur.

Le problème de l’Appareil photo

Or il n’est pas rare de prendre des photos dans des conditions de luminosité loin d’être optimales. C’est le cas de cet exemple, pris dans une pièce éclairée par une seule source lumineuse (si l’on ne compte pas l’écran de l’ordinateur), à une heure avancée de la nuit. L’iPhone 6s déclenche à 1/17 à ISO 400. Or avec une focale de 29 mm et un appareil aussi léger que l’iPhone, il est bien difficile d’obtenir une photo parfaitement nette à moins d’1/30 — sauf avec le modèle Plus, dont la stabilisation optique est à ce point efficace qu’elle permet de s’en sortir jusqu’à ⅛. (Et dont la batterie permet de prendre des photos pendant quelques heures de plus. Si vous voulez vraiment faire des photos avec votre iPhone, achetez un iPhone 6s Plus.)

iPhone 6s (1/17 à ISO 400). Cliquer pour agrandir

Le même cliché pris à 1/30 et ISO 800 est plus bruité, mais ce bruit est plus régulier et moins gênant… parce que les éléments sont plus nets. L’appareil aurait-il dû faire ce choix ? Il est clair qu’Apple refuse de le faire monter en sensibilité, de peur sans doute de révéler les défauts inévitables avec une telle densité de photosites. Reprenez les paramètres des exemples précédents, et vous remarquerez que l’iPhone 6s choisit toujours une sensibilité moins élevée que l’iPhone 6, même en plein jour où la différence entre ISO 25 et ISO 32 est imperceptible… sauf quand le choix de la première fait déclencher trop lentement.

S’il est impossible de changer l’ouverture, il est tout à fait possible d’agir sur la sensibilité et la vitesse… avec une application tierce comme Manual, pas avec l’application Appareil photo intégrée. « Ça la compliquerait ! » disent certains d’entre vous. Mais elle est déjà compliquée ! Pourquoi le ralenti et l’accéléré sont-ils des modes, mais pas Live Photos ? Le bouton des filtres ne serait-il pas mieux à côté du bouton HDR, et le bouton Live Photos ne serait-il pas mieux à sa place, sous la forme d’un déclencheur secondaire ? Pourquoi, après huit ans d’utilisation de cette application, ai-je toujours du mal à compenser l’exposition sans déplacer le point ?

L’application Appareil photo mériterait une refonte, après des années d’empilement de fonctions. À droite, une capture de l’enregistrement vidéo, avec le déclencheur secondaire permettant d’extraire des images de l’enregistrement — des images de 8 Mpx en 4K, ce qui commence à devenir sympathique.

Sans demander à ce que l’application intégrée devienne subitement aussi absconse que 645 Pro, il est sans doute possible d’y caser élégamment quelques contrôles manuels. Nokia, Google et même Samsung montrent qu’il est possible de concevoir une application à la fois simple au quotidien et complexe lorsque les conditions l’exigent. Cela permettrait peut-être de résoudre quelques points de frustration.

Pour conclure

Que conclure ? Comme on dit d’un bon élève un peu paresseux : « peut mieux faire ». L’iPhone 6s fait un appareil photo frustrant. Lorsque les conditions sont réunies et qu’il fait le bon choix, c’est-à-dire souvent, il produit des clichés extrêmement convaincants. Mais il fait parfois des choix étranges, comme lorsqu’il déclenche trop lentement alors qu’il a énormément de marge pour monter en sensibilité, qu’il accentue les contours au point de rendre inutile le mode HDR, ou qu’il impose une teinte verte aux portraits.

Le capteur 8 Mpx de l’iPhone 6 n’était plus particulièrement impressionnant, mais il était consistant : certains concurrents étaient meilleurs sur certains points, mais il était bon sur tous, ce qui permettait à l’iPhone d’être l’un des tout meilleurs photophones du marché. Le capteur 12 Mpx de l’iPhone 6s est un peu plus versatile : il prend d’excellents clichés, mais il est peut-être un peu plus difficile de les obtenir déclenchement après déclenchement après déclenchement. En cela, l’iPhone 6s est beaucoup plus proche de ses concurrents sous Android, dans un retournement de situation assez ironique.

Pouvait-on espérer mieux ? À la lumière de la (courte) histoire de l’iPhone, sans doute. Mais cette histoire montre aussi qu’Apple peut changer le module photo en année « normale » : l’obsession de la firme de Cupertino pour la finesse laisse peu de place à un capteur plus grand, mais elle pourrait peut-être adopter de nouvelles technologies pour améliorer la sensibilité et la colorimétrie de son capteur. En attendant, on ne fera pas trop la fine bouche : l’iPhone 6s permet quand même de fixer de beaux souvenirs.

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