Pour Jimmy Iovine, Apple Music était trop ambitieux

Mickaël Bazoge |

Tim Cook lui même avait admis cet été qu’Apple Music était sorti trop tôt (lire : Tim Cook revient sur trois erreurs : Plans, John Browett et Apple Music). Cette fois, c’est Jimmy Iovine, le grand manitou du service musical d’Apple, qui bat sa coulpe : « Nous avons été trop ambitieux dès le départ ; nous en avons probablement fait trop », raconte-t-il dans Buzzfeed, en compagnie de Bozoma Saint John, la patronne du marketing d’Apple Music.

La nouvelle version du service, lancée avec iOS 10 et macOS Sierra (elle est aussi disponible dans OS X El Capitan), doit justement servir à resserrer les fonctionnalités, ajouter de la cohérence, simplifier l’usage d’Apple Music. « Nous sommes en train d’y arriver, un pas après l’autre, et je pense que tout le monde sera étonné de voir toutes les choses que nous créons », fait-il miroiter.

Il est certain que personne n’a vu venir cette interview d’Hillary Clinton, prétendante démocrate à l’élection présidentielle US, par Mary J. Blige :

Ni l’émission de télé-réalité Planet of the Apps, la série TV avec et pour Dr Dre Vital Signs, ou encore l’acquisition de Carpool Karaoke, l’émission chantante de James Corden devenu ambassadeur d’Apple Music.

Dans cet article-fleuve, les deux dirigeants d’Apple reviennent donc sur Apple Music et sa position parfois difficile en tant qu’intermédiaire entre les maisons de disques, les artistes et les utilisateurs. « Je ne sais pas comment faire tout ça d’une autre manière », reconnait Iovine, « je ne sais qu’aider à faire de la bonne musique, d’aider à son exposition, faire en sorte qu’elle soit écoutée et la traiter comme elle doit l’être ». Et pour y parvenir, « vous utilisez tous les outils que vous avez à votre disposition ».

Tous les outils… sauf la gratuité. « Les détenteurs de droits (…) doivent faire quelque chose, parce qu’il y a beaucoup de musique gratuite et c’est un problème », accuse Iovine qui ne donne pas de nom, mais qui vise clairement Spotify et son service d’écoute gratuit financé par la publicité. « Il y en a suffisamment ici [de la musique gratuite] pour faire dire aux gens : "Mais pourquoi devrais-je m’abonner à quelque chose ? ».

En revanche, Apple Music n’a pas peur de parier sur l’arme à double tranchant que sont les exclusivités. Le dernier exemple en date, l’album Blonde de Franck Ocean, a mis le feu aux poudres : Universal, l’ancienne maison de disques de l’artiste — et première major au monde — a décidé d’arrêter de donner des exclusivités aux services de streaming (lire : Les exclusivités d'Apple Music vont-elles franchir l'Ocean ?).

« Nous misons beaucoup sur ça [les exclusivités] », explique Iovine. « Nous avons eu quelques vrais succès, et nous remplissons toujours notre part du contrat ». La vidéo Please Forgive me de Drake a ainsi été vue des millions de fois alors qu’elle est apparue sur Apple Music cette nuit.

« À chaque fois que nous faisons une exclusivité, nous apprenons quelque chose de nouveau ». Et si Universal boude, alors Apple Music se tournera vers ses autres partenaires de l’industrie du disque, comme Sony et Warner. « C’est le show d’Apple », indique-t-il en guise de profession de foi. « Aussi longtemps qu’Apple me demandera de faire ce que je fais, je continuerais à le faire ».

Si les labels commencent à se rendre compte du danger potentiel que font peser les exclusivités sur leur business (en termes de piratage, par exemple), les consommateurs aussi sont les dindons de la farce. Si on n’est pas abonné à tel ou tel service, on risque en effet de rater le dernier album d’un de ses artistes préférés.

En toute simplicité, Iovine estime qu’à l’instar des spectateurs abonnés à Netflix et Hulu, les amateurs de musique finiront par avoir plusieurs abonnements à des services de streaming. « Dans un an, le paysage devrait être très différent de ce qu’il est aujourd’hui », professe l’ancien producteur et ex patron de label.

En tout cas, cette stratégie semble porter quelques fruits. L’industrie de la musique sort finalement la tête de l’eau après plusieurs années de vaches maigres, grâce au streaming (lire : Le streaming sauve l’industrie de la musique). Si Spotify (40 millions d’abonnés payants) croît plus vite qu’Apple Music (17 millions), les deux services ne se marchent pas sur les pieds et leurs clientèles sont, pour le moment, différentes.

Apple Music s’adresse d’abord à des utilisateurs moins jeunes et plus "internationaux", qui n’ont jamais eu ou presque de première expérience avec le streaming. C’est l’une des raisons qui expliquent la nouvelle interface du service, avec des images plus larges, une typographie proéminente ainsi qu’une réorganisation des icônes dans la barre de menus. Désormais, la bibliothèque musicale de l’utilisateur est la première de la ligne.

« La question que nous nous sommes posée était : "Dans une journée normale, comment est-ce que vous interagissez avec votre musique ?" », raconte Bozoma Saint John. La réponse, c’est ce que l’on peut voir actuellement dans iOS 10 et macOS Sierra. Et aussi dans les deux nouvelles listes de lecture qui mixent les goûts de l’utilisateur avec le catalogue du service : le mercredi, Mon mix préféré et le vendredi, Mon mix découverte.

Ces deux playlists sont générées par des algorithmes, une première pour Apple Music dont les sélections reposent habituellement sur des humains. L’avantage de la Pomme ici par rapport à la concurrence, c’est que ces listes exploitent l’historique d’écoute d’iTunes. Mon mix préféré exploite les classements et les compteurs des morceaux de sa bibliothèque iTunes pour proposer un choix de titres déjà écoutés avec d’autres morceaux des mêmes artistes.

La playlist Mon mix découverte se veut plus ambitieuse puisqu’elle propose des morceaux sortis récemment — y compris des chansons que l’utilisateur n’a jamais écoutées — que les experts musicaux d’Apple Music ont marqué comme étant similaires aux titres appréciés de l’abonné. D’autres listes de lecture du même tonneau sont d’ores et déjà en préparation.

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