StopCovid aura un angle mort sur iPhone

Stéphane Moussie |

En faisant l'impasse sur l'API proposée par Apple et Google, la France n'a pas choisi la voie la plus facile pour StopCovid, bien au contraire. Sur iPhone, l'application ne pourra pas fonctionner en tout temps, comme nous l'a indiqué un ingénieur travaillant dessus.

Sans revenir sur le débat de l'adoption du protocole ROBERT à la place de la solution promue par Apple et Google, rappelons que ce choix a une implication technique fondamentale.

Sans l'API Exposure Notifications spécialement développée pour cette crise sanitaire, les applications de traçage des contacts sont contraintes par des limitations en matière de Bluetooth (la technologie retenue pour que les smartphones communiquent entre eux), en particulier sur iPhone. Faute d'avoir obtenu une exception de la part d'Apple sur ces restrictions, les équipes derrière StopCovid doivent se débrouiller avec les moyens du bord, sans perdre de vue les règles de l'App Store.

Image Inria

Nous avons pu nous entretenir sur le sujet avec Vincent Bellet qui, par l'intermédiaire de Coalition Network, une ONG proposant sa propre application de traçage des contacts, Coalition, a rejoint le projet StopCovid. Vincent Bellet travaille (bénévolement) sur la partie Bluetooth avec d'autres ingénieurs du consortium monté pour l'occasion et qui regroupe plus d'une vingtaine d'organisations (Inria, ANSSI, Lunabee Studio, Orange…).

Le fonctionnement de StopCovid en Bluetooth sur iPhone sera assez similaire à celui de l'application NHS COVID-19 du Royaume-Uni (qui fait aussi l'impasse sur l'API d'Apple/Google), indique l'ingénieur.

L'application « scannera » passivement les autres appareils Bluetooth qui passent à proximité. Lors d'un contact, l'app sortira de sa léthargie afin de récupérer les signaux et envoyer le sien, et aussi pour déterminer la durée du contact et établir la distance entre les deux personnes.

Selon Vincent Bellet, StopCovid n'aura pas besoin d'être constamment à l'écran pour fonctionner, du moment que l'iPhone est en route. Imaginons que vous lanciez StopCovid puis que vous ouvriez Mail ou une autre application, l'app de traçage des contacts continuera à recevoir et émettre les signaux.

En revanche, si votre iPhone est en veille, ça se complique pour StopCovid, qui est obligé de dormir plus profondément. Si un appareil Android, qui lui est en mesure d'émettre des signaux tout le temps, passe à proximité, il pourra réveiller StopCovid. Si vous êtes uniquement entouré d'iPhone, StopCovid restera endormi et sera donc inutile — un problème qui ne se pose pas en utilisant l'API Exposure Notifications. C'est pour cette raison que certaines apps, comme la « Stop Covid » de Géorgie, bricolent des parades pour que l'iPhone ne passe pas en veille.

Vincent Bellet fait valoir qu'en dépit de cette limitation, StopCovid jouera son rôle dans les endroits où il y a du monde, comme les transports en commun, parce qu'il y aura à peu près à coup sûr un smartphone Android dans les parages (Android représente près de 80 % du marché en France) ou bien un utilisateur d'iPhone qui utilisera son téléphone. Reste néanmoins cet angle mort, quand seuls des possesseurs d'iPhone sont à proximité et qu'ils n'utilisent pas leur téléphone.

Pour s'assurer un fonctionnement en continu sur iPhone, l'application NHS COVID-19 incite l'utilisateur à la relancer via une notification. Image Ross McKillop.

L'ingénieur, qui a fait auparavant partie de l'équipe ayant créé FireChat, une messagerie instantanée en peer-to-peer très utilisée pendant la « révolution des parapluies » à Hong Kong, reconnait du bout des lèvres que sans l'API d'Apple/Google, StopCovid fonctionne moins efficacement qu'elle aurait pu le faire avec. Mais c'est un problème qui n'est pas spécifique à l'application française, fait-il remarquer, cela concerne toutes les applications qui ne font pas appel à l'API Exposure Notifications, y compris Coalition (dont l'intérêt est son caractère global quand les États circonscrivent leurs apps à leurs populations respectives).

Vincent Bellet préfère insister sur l'aide que va apporter cette app aux « brigades sanitaires » chargées de remonter les « cas contacts » quand une personne est atteinte du Covid-19. Une aide dont l'ampleur dépendra du nombre de personnes installant StopCovid sur leur téléphone, avant même l'efficacité de l'app elle-même.

Les premiers tests en conditions réelles sont prévus pour la semaine prochaine et l'application pourrait être disponible à partir du 2 juin.

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