Copie privée : les députés valident la redevance sur les smartphones reconditionnés

Anthony Nelzin-Santos |

Après six mois de bataille juridique et médiatique, les acteurs de l’industrie du reconditionnement ont perdu la guerre contre Copie France. À l’occasion du vote de la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, l’Assemblée nationale approuve l’application de la redevance pour copie privée sur les smartphones reconditionnés.

Le reconditionnement d’un téléphone dans l’usine de Smaaart.

Comme toutes les redevances, celle pour copie privée rémunère un droit d’usage, en l’occurrence « les copies ou reproductions réalisées à partir d’une source licite et strictement réservées à l’usage privé du copiste ». Son calcul revient à une commission « paritaire » qui favorise disproportionnellement les représentants des ayants droit. Les Français payent ainsi l’une des redevances les plus élevées de la planète, qui atteint 4 € sur une clé USB de 128 Go à 20 €, et 12 € sur un smartphone de 64 Go à 489 €.

Alors que la redevance a toujours été attachée au support, Copie France estime que cette « rémunération compensatoire s’applique à chaque utilisateur d’un appareil, qu’il soit neuf ou reconditionné ». La société qui perçoit et répartit la redevance pour copie privée avait assigné les principaux reconditionneurs en justice, au début de l’année, leur réclamant 30 millions d’euros d’arriérés. « Nous avons été assignés arbitrairement, sans le moindre échange, en se basant sur des chiffres que je ne comprends pas », déplorait Jean-Christophe Estoudre, président de Smaaart.

« Cette notion de réparation d’un préjudice est bien évidemment liée à l’usage, et pas à l’appareil », répondait Charles-Henri Lonjon, le secrétaire général de Copie France, « si un appareil donne lieu à des usages successifs qui sont identiques ou très proches en matière de copie, alors il faut bien réparer ces préjudices successifs. » La bataille s’était alors engagée sur le terrain sémantique et juridique, chacun des deux camps prenant la presse et l’opinion à témoin.

Les reconditionneurs pouvaient faire valoir les aspects environnementaux et sociaux de leur industrie, qui génère 5 000 emplois en France, et représente environ 10 % des ventes de smartphones. Or les clients sont attirés d’abord et avant tout par le prix. Quand un reconditionneur vend un iPhone 8 de 64 Go à 233,33 € HT, environ 150 € remboursent l’achat du téléphone, et 65 € couvrent les frais de reconditionnement. Reste une marge de 18,33 €, dont Copie France voulait récupérer 12 €.

« L’équilibre de la filière tient à la marge que nous arrivons à réaliser », expliquait Jean-Christophe Estoudre, « si l’on doit reverser les deux tiers à Copie France, c’est bien simple, on arrête tout. » Ce sera finalement la moitié : , les députés ont entériné le « compromis » proposé par Copie France, une « solution gagnant-gagnant » pour la ministre de la Culture.

Cette solution consiste dans une ristourne de 35 % sur les tablettes reconditionnées et 40 % sur les smartphones reconditionnés. La redevance pour copie privée atteindra donc 8,40 € sur le modèle le plus populaire du moment, l’iPhone 8 de 64 Go. Copie France, qui a collecté 232 millions d’euros de redevance en 2020 contre 36 millions en 1987, impose le principe d’un paiement à chaque revente, et plus seulement lors de la première mise sur le marché comme le prévoit la loi.

Du moins à chaque revente en France. Les acteurs étrangers qui inondent les places de marché en pratiquant un dumping à la TVA ne seront pas assujettis à la redevance pour copie privée. « Environ 98 % des vendeurs non européens qui passent par des places de marché ne paient pas la TVA », confirmait un rapport de l’inspection générale des finances publié en 2019. Les solutions avancées par le secrétariat d’État chargé de la Transition numérique ont été ignorées.

La distinction entre les appareils qui ont déjà été soumis à la redevance et les autres ? La solidarité des places de marché en manière de paiement de la TVA ? L’augmentation de la redevance pour copie privée lors de la première mise sur le marché pour compenser la prolongation de la durée de vie des appareils ? Balayées par la publication d’une tribune de 1 661 artistes dans le Journal du dimanche, un blitz médiatique mené avec le soutien de la ministre Roselyne Bachelot.

Éric Bothorel, député LREM de la 5e circonscription des Côtes-d’Armor et rapporteur de la proposition de loi, déplore des pressions des représentants des ayants droit. « Les lobbies des télécoms, des grands acteurs du numérique, sont parfois qualifiés de puissants », expliquait-il lors des débats, « eh bien j’ai pu mesurer qu’ils sont des enfants de chœur. Jamais je n’ai été menacé par Orange et Google dans le cadre de mes fonctions. »

Son collègue Philippe Latombe, député Modem de la 1re circonscription de Vendée, dit n’avoir « jamais vu autant de méchanceté, de propos malveillants ». La ministre de la Culture met cela sur le compte de la « passion » des acteurs impliqués. Reste un problème fondamental : déjà fortement limitée par la loi et les dispositifs techniques, la copie privée disparait, puisque les usages se déportent vers le streaming.

« C’est un phénomène qui est connu, attendu, anticipé, et intégré dans la réflexion » explique Charles-Henri Lonjon, secrétaire général de Copie France. La société de perception compte battre le fer tant qu’il est chaud : elle s’intéresse maintenant aux pratiques de ripping des flux, qu’elle veut faire intégrer dans le barème, argüant qu’il s’agit d’une copie privée. Et tant pis si cette pratique est parfaitement illégale…

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