La crise existentielle de Bouygues Telecom

Christophe Laporte |

Dans cette nouvelle donne des télécoms, Bouygues Telecom est certainement celui dont la remise en question est la plus profonde. Lors de ses premières années, Bouygues Telecom était le trublion de la téléphonie mobile.

Profondement impacté par l’arrivée de Free Mobile, l’opérateur s’est longtemps posé la question de son avenir : se rapprocher d’un autre opérateur ou continuer en solo. Nous reviendrons sur ce sujet un peu plus tard, mais tout nous laisse à penser que cette question est tout sauf tranchée, contrairement à ce que déclarent les dirigeants de Bouygues.

Pour tirer son épingle du jeu, Bouygues Telecom a agi principalement sur deux axes. Avec Orange, c’est l’opérateur qui a le plus misé sur la 4G. La réutilisation de la bande de fréquences 1800 MHz du réseau 2G à la 4G LTE (le refarming comme on dit dans le jargon) lui a permis d’avoir rapidement et à un coût moindre un réseau 4G de qualité.

Aujourd’hui encore, il y a deux divisions en matière de 4G : une première avec Orange et Bouygues Telecom et une seconde avec Free Mobile et SFR (lire : La guerre des télécoms en 2015).

Le deuxième axe de la stratégie a consisté à lancer une grande offensive sur le fixe. L’idée est simple : attaquer Free sur son marché de prédilection afin de faire baisser les prix et les marges de son concurrent. Pour la faire simple, c’est avec les bénéfices de la Freebox que Free construit son réseau mobile.

Ces derniers mois, suite à l’échec des négociations avec SFR, Bouygues Telecom a d’autre part mis en place un plan d’économie (notamment en installant un nouveau système d’informations bien moins onéreux) et a travaillé au rajeunissement de sa marque. L’opérateur a tout récemment adopté un nouveau logo. Un moment, Bouygues avait même considéré changer de dénomination et communiquer exclusivement sous la marque B&You, jugée plus moderne.

Pas ou peu de profit tiré de l'avantage concurrentiel sur la 4G

Bouygues Telecom s’est montré très agressif sur la 4G. L’opérateur a multiplié les promotions afin de recruter de nouveaux clients, arguant que les personnes qui avaient goûté les délices de son réseau 4G étaient beaucoup plus fidèles que les autres.

Sur le plan commercial, l’offensive dans le domaine de la 4G est loin d’avoir porté tous ses fruits. Certes, l'opérateur a gagné des abonnés sur les trois derniers trimestres, mais il retrouve à peine son niveau de début 2013. Et il n’a toujours pas retrouvé son nombre d’abonnés d’avant Free Mobile.

Alors qu'il peine à recruter massivement des abonnés, son avance technique dans la 4G se réduit. Au fil des mois, Orange a refait son retard et est même passé devant sur certains points. L’opérateur historique couvre actuellement 75 % de la population en 4G, contre 72 % pour Bouygues.

Le pari de la 4G+

La fuite en avant. C’est semble-t-il la carte jouée par Bouygues Telecom. Plutôt que d’essayer d’augmenter coûte que coûte sa couverture en 4G, l’opérateur joue la carte des débits. En pointe sur la 4G+, il compte encore appuyer sur l’accélérateur cette année. Bouygues Telecom devrait offrir des débits pouvant atteindre jusqu’à 300 Mb/s au second semestre (lire : Bouygues Telecom : l’ultra haut débit mobile à la rentrée en France).

Comme nombre de ses concurrents, Bouygues est à la recherche de ses marges perdues. Voyant que sa stratégie de conquête de nouveaux abonnés n’était pas couronnée de succès, l’opérateur s’est lancé dans une opération très délicate : celle de remonter ses prix. Lors de la fusion de ses marques Bouygues Telecom et B&You, l’opérateur en a profité pour revoir ses tarifs sur certains forfaits clés à la hausse. Ainsi, le forfait 5 Go de B&You est passé de 24,99 € à 29,99 €.

Alors qu'elle peine à rebondir dans la téléphonie mobile, la société de Martin Bouygues connait un véritable boom dans l’internet fixe. Les chiffres sont éloquents. Avec 2,4 millions de clients fin 2014, Bouygues a triplé sa base abonnés en trois ans. L’année dernière, c’est elle qui a recruté le plus de nouveaux abonnés : 415 000 contre 246 000 pour Orange et 228 000 pour Free. Reste que dans ce secteur, Bouygues Telecom fait figure de nain. A titre de comparaison, l’ensemble SFR/Numericable compte plus de 6,5 millions d’abonnés.

Le problème de Bouygues Telecom, c’est que cette conquête de nouveaux abonnés se fait au détriment de la rentabilité. Fin 2013, Martin Bouygues avait fait part de son intention de déplacer la guerre des prix sur le fixe. On se souvient de sa volonté de vouloir faire économiser aux Français 12,50 € par mois.

Une offre à bas coût, donc, tout en jouant la carte de l’innovation. Bouygues Telecom a été le premier à jouer la carte Android pour ses box, rejoint par Free avec la Freebox mini 4K.

En guerre sur tous les fronts

La question que les observateurs se posent est de savoir si l’opérateur en a les moyens financiers. Un rien provocateur, Martin Bouygues avait déclaré que son groupe pouvait très bien être «  l’acheteur naturel de Free, de SFR et même d’Orange ».

La réalité semble toutefois différente : malgré tous ses efforts et un programme d’économie important, Bouygues n’attend pas un retour de la croissance avant 2016.

N’en déplaise au management de Bouygues, les questions concernant son avenir vont inévitablement se reposer. Cette volonté de vouloir gagner des abonnés à outrance, notamment dans le fixe, peut être perçue avant tout comme une façon de mieux habiller la mariée en vue d’une union avec SFR-Numericable ou Free. Car dans la stratégie actuelle de Bouygues dans le fixe, la rentabilité ne semble pas être une priorité.

La question de l’avenir de Bouygues se pose d’autant plus que les opérateurs vont être amenés à faire des choix importants dans les mois à venir, avec la mise aux enchères de la bande des 700 MHz.

Demain : SFR : l’obèse des télécoms ?

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