Apple, secrète ? Pas quand il s'agit de promouvoir son nouveau produit phare. Après les multiples interviews de Tim Cook et Jonathan Ive, c'est au tour de Kevin Lynch de s'exprimer dans les médias. Le Vice President Technology, qui s'est chargé de la démonstration de l'Apple Watch lors des keynotes, a levé un coin du voile de la naissance de la fameuse montre auprès de Wired.
Le parachutage de Lynch
L'arrivée de Lynch chez Apple en 2013 est surprenante à plusieurs égards. D'abord, il avait été quelques années auparavant l'homme qui avait défendu Flash face à Steve Jobs. Le CEO avait signé en 2010 un réquisitoire contre la technologie d'Adobe, expliquant notamment pourquoi l'iPhone ne la prenait pas en charge. Lynch, alors responsable technique d'Adobe, avait critiqué ce qu'il considérait comme une campagne de dénigrement et arguait que la firme de Cupertino tournait le dos à dix ans de création de contenus.
Moins de trois ans plus tard, il accepte un poste chez Apple... dont il ne sait rien. Il est mis directement au travail par Bob Mansfield, son supérieur, sur un projet déjà démarré et qui a pris du retard.
Lynch découvre sur le tas la mission donnée par Jony Ive ; créer quelque chose qui se porte au poignet. Il n'y a alors ni prototype fonctionnel ni logiciel, juste des expérimentations, comme un appareil avec une roue tactile créé par des anciens de la division iPod.
Voilà Lynch parachuté responsable du logiciel de ce qui deviendra l'Apple Watch.
À la recherche du temps perdu
L'idée de créer une montre a germé dans l'esprit de Jonathan Ive juste après la mort de Jobs. Le projet démarre alors que les équipes de design et de logiciel travaillent sur la refonte graphique d'iOS 7. « Nous vivions littéralement dans le studio », se souvient Alan Dye, le responsable de l'interface utilisateur (qui a déjà livré quelques anecdotes dans le New Yorker). La journée, les équipes travaillent sur iOS 7, la nuit, sur ce qui va devenir Watch OS.
Un des principaux objectifs qui guident le développement, c'est de redonner de ce temps perdu avec l'iPhone. « Nous sommes connectés continuellement avec la technologie aujourd'hui. Les gens ont tellement souvent le nez sur l'écran de leur téléphone », remarque Lynch.
Ironiquement, Apple s'emploie à régler un problème qu'elle a en grande partie créé avec l'iPhone. Et ironiquement, le premier prototype fonctionnel est un iPhone attaché au poignet avec un velcro : « Une bande Velcro très joliment conçue », précise Lynch.
L'écran de l'Apple Watch est simulé en taille réelle, tout comme la couronne digitale sur le côté. Mais le dispositif ne permet pas de se rendre compte de la sensation offerte par la couronne qui sert à zoomer sur des photos ou parcourir des listes. Un bouton physique est alors bricolé avec une vraie couronne fixée à la prise jack de l'iPhone.
Dye et ses designers savent que l'interface utilisateur conditionnera le succès de l'Apple Watch et qu'ils ne peuvent pas faire la même chose que sur un iPhone. L'écran est bien plus petit et il est vite fatigant de tenir son bras en l'air.
Toutes les interactions sont accélérées et les fonctions simplifiées. Pour les messages par exemple, le système analyse le message reçu et propose des réponses que l'on envoie d'un tapotement. À la question « Est-ce que tu veux aller voir Pacific Rim ou La soupe aux choux ? », l'Apple Watch propose automatiquement « Pacific Rim » et « La soupe aux choux ». Si aucune réponse ne convient, on utilise la dictée vocale.
Une version préliminaire de Watch OS présente les informations sous la forme d'une frise chronologique. Les notifications les plus récentes sont en haut de la liste, et il faut défiler pour remonter le temps et accéder aux plus anciennes. Ce concept ne sera finalement pas retenu... mais on le retrouve dans la Pebble Time. Les concepteurs de cette montre connectée financée sur Kickstarter ont eu la même idée et l'ont, eux, emmenée jusqu'au bout.
La timeline de la Pebble Time comprend trois paliers temporels : le passé, qui retourne par exemple les résultats sportifs ou les notifications reçues ; le présent avec l’affichage de l’heure ; et l’avenir, avec ses rendez-vous, ses alarmes, etc.
De la haute horlogerie
Lynch préfère à la place un système plus classique centré autour des applications, mais il doit repenser leur interface et la façon dont elles communiquent avec l'utilisateur.
Pas question que la montre fasse vibrer tout le poignet quand une notification arrive. Les ingénieurs matériels mettent alors au point le Taptic Engine, un actuateur linéaire qui toque au poignet. Encore faut-il bien calibrer ce retour haptique pour qu'il ne soit ni trop subtil ni qu'il donne l'impression d'avoir un insecte sur le corps, raconte Lynch.
Lors de réunions hebdomadaires, les équipes du logiciel et de l'interface cherchent aussi les sons qui vont accompagner les interactions. Ils passent en revue des sons totalement différents, des tintements de cloches aux gazouillements des oiseaux en passant par le bruit de sabres lasers.
Jonathan Ive, qui s'y connait en sabre laser (il a conseillé J. J. Abrams pour le prochain Star Wars), n'est pas facile à contenter. « Trop métallique. Pas assez organique », rétorque-t-il. Il faudra plus d'un an pour trouver les bons tapotements et les bons sons.
L'Apple Watch, c'est aussi une nouvelle police conçue spécialement pour elle, San Francisco, des cadrans personnalisables avec des complications, toutes sortes de bracelets et des boitiers différents. Quand Wired fait remarquer qu'Apple vend 11 000 € une montre qui n'en fait pas plus que le modèle à 400 €, Alan Dye ne se démonte pas.
Selon lui, il faut raisonner comme l'industrie horlogère : les matériaux et l'esthétique sont fondamentaux, et en cela, l'Apple Watch Sport et l'Apple Watch Edition sont des produits très différents. Porter l'une ou l'autre ne fera pas le même effet.
Si vous portez quelque chose à votre poignet, les gens autour de vous ne peuvent pas ne pas y prêter attention.