Rencontre avec l’équipe de FinalCAD

Paul Tabéry |

« Le suivi de chantier, réinventé. » Le slogan de FinalCAD ne manque pas de faire hausser les sourcils : la vie de chantier, ça paraît loin, et pas franchement compatible avec les appareils iOS. Et pourtant ! En moins de trois ans, les frères Joffroy et Jimmy Louchart et leur complice David Vauthrin ont bâti un écosystème complet, gérant 2 500 projets et plus de 50 000 utilisateurs dans 20 pays différents. « Et ce n’est que le début », sourit David. Comment expliquer un tel succès ? Rencontre avec l’équipe de FinalCAD.

La Tour D2 à la Défense, un des projets gérés par FinalCAD.
La Tour D2 à la Défense, un des projets gérés par FinalCAD.

Genèse

Atypique : c’est le mot qui résume le mieux l’étonnant parcours des trois fondateurs de KnowledgeCorp. Joffroy a travaillé en centre de formation Apple, Jimmy était employé comme cryptographe à la DGSE, et David a une formation de comédien. Devenus consultants, ils s’attellent d’abord à l’élaboration de formations sur mesure pour les acteurs de la vie de chantier : Velux, EDF, Bouygues Bâtiment… Il s’agissait alors de documenter les process de façon cohérente et exhaustive pour assurer une meilleure transmission des compétences : « certaines entreprises voient leurs employés les plus expérimentés partir à la retraite, et la main d’œuvre qui arrive doit souvent tout redécouvrir par elle-même », explique David. Un constat qui s’applique autant aux petites entreprises qu’à un géant du secteur comme EDF.

Ce rôle a permis aux trois fondateurs de prendre conscience de la sous-exploitation de la technologie en-dehors de la base-vie (les « bureaux » du chantier). « On s’est rendu compte que la vie de chantier avait à peu près 10 ans de retard », se rappelle David. « Les chefs de chantier suivaient le déroulement des travaux avec une masse de plans », correspondant aux différents corps de métier impliqués — électricité, plomberie, peinture… « Ils annotaient tout à la main, et puis le soir, ils prenaient deux ou trois heures pour tout recopier sur l’ordinateur ». Chaque observation, ou réserve, était ensuite listée sur un fichier Excel et redistribuée à chaque entreprise, qui devait retrouver ce qui la concernait et faire ensuite un retour au chef de chantier. Sans même compter la marge d’erreur, la perte de temps était considérable.

Au fur et à mesure des partenariats, KnowledgeCorp a acquis une expérience inédite dans le monde du bâtiment, développant une recherche et une expertise sans cesse accrue, à tous les niveaux de la construction. « Du coup, notre vision est devenue globale, et donc unique ». Une idée s’est rapidement imposée : améliorer la mobilité était le point crucial pour optimiser le chantier. Une conclusion logique, que la startup n’est pas la seule à avoir émise : le groupe Vinci, par exemple, dispose déjà d’un système mobile pour vérifier les chantiers, fondé sur les services de Microsoft. « Mais c’est un système qui a été créé par les ingénieurs de Vinci. Aucun employé de chantier n’a donné son avis, et pour faire un retour, c’est très compliqué : ils sont injoignables », déplore Jérémy Dupire, conducteur de travaux. La mobilité n’est qu’un élément de la réponse ; encore faut-il que cette réponse soit adaptée à la réalité du terrain. Avec MIEL, KnowledgeCorp avait déjà ébauché une première proposition face à ces deux contraintes. Mais les pièces du puzzle s’assemblent pour la première fois en avril 2010.

« C’est là que l’idée de FinalCAD s’est vraiment concrétisée », commente David. Léger, abordable et disposant d’une autonomie inégalée, l’iPad était le chaînon manquant dans la réponse de KnowledgeCorp. L’expérience du terrain imposait une application facile à utiliser, utile aux besoins du particulier comme à la construction du Stade de Bordeaux. Nous avons déjà parlé ça et de quelques fonctions de FinalCAD, mais concrètement, comment une application à moins de 10 € peut-elle rivaliser avec des Archipad à plus de 500 € ?

Une app, c’est bien. Du service, c’est mieux

« C’est simple. FinalCAD est efficace, intuitif, et rapide. Et puis il y a du service derrière, les gens répondent au téléphone et sont super réactifs », explique Jérémy. Il a découvert FinalCAD sur le chantier de la Tour D2 à la Défense, et après quelques démonstrations, a rapidement été séduit, au point de présenter l’application au maître-d’œuvre lui-même. Qui l’a adoptée à son tour. En quoi est-elle efficace ? « Les rapports sont plus riches que sur un support papier. On peut prendre des photos, les annoter directement, assigner une réserve à une entreprise en particulier. » Et même voir quelles entreprises sont à la traîne par rapport à d’autres. Cerise sur le gâteau, le risque d’erreur est minimal : fini, le déchiffrage de pattes de mouches sur un plan froissé ou sali.

La version 3.4 de FinalCAD permet de prendre plusieurs photos pour une même réserve.
La version 3.4 de FinalCAD permet de prendre plusieurs photos pour une même réserve.

L’application est également très intuitive. « Pas besoin de mode d’emploi », assure Jérémy. « En quelques minutes, on est opérationnel. » Rien n’est gadget, ou laissé au hasard ; et comme à Cupertino, la recherche de simplicité mène à un design très réussi. L’application peut aussi bien servir sur le terrain que mettre en valeur les travaux en cours, et permettre de visualiser les informations essentielles en un coup d’œil.

Aller à l’essentiel, c’est aussi gagner en rapidité. En supprimant les allers-retours entre le chantier et la base-vie, et en permettant d’adresser les réserves de manière immédiate à qui de droit, FinalCAD fait gagner un temps considérable à l’ensemble de l’équipe — tout en améliorant la précision et l’efficacité de la communication entre ses membres. La synchronisation dans le nuage permet d’assurer la cohérence du discours entre tous les corps de métier. Et surtout, l’équipe des développeurs est toujours disponible. « Le plus souvent, j’ai la réponse à ma question en une demi-heure », commente Jérémy. Et pour les problèmes plus complexes ? « L’équipe me tient au courant de leur avancée, et me suggère des solutions tierces si besoin. » L’application est en définitive un élément de la solution proposée, que complètent le Cloud et le service technique.

Mises à jour majeures de FinalCAD, sur iOS 6 puis iOS 7.
Mises à jour majeures de FinalCAD, sur iOS 6 puis iOS 7.

Vers l’avenir, et au-delà

L’ambition de la startup est de devenir un interlocuteur privilégié sur le long terme. « Nous assurons à l’heure actuelle le suivi du chantier, ”le pendant” ; et notre objectif est d’assurer toute son existence, y compris “l’avant” et “l’après”. Passer du suivi de chantier à la vie de l’ouvrage », explique David. Une fois le chantier achevé, FinalCAD peut ainsi récupérer l’ensemble des rapports et des réserves émises pendant la construction, et les invoquer en cas de besoin — pour la réhabilitation d’un site, par exemple.

C’est également une occasion d’apprendre des erreurs éventuelles ou des remarques les plus fréquentes, pour optimiser encore mieux les futures constructions. Avec, à la clef, une meilleure vue d’ensemble pour les clients : « la ville de Paris nous a confié le chantier de 40 crèches. En tout, il en existe 480 gérées par la Ville, mais elle n’a aucune visibilité sur le parc total. » Une relation que certains pourraient rapprocher avec le modèle d’Apple, où le client en recherche de simplicité a tout intérêt à laisser les rênes au fabricant. « C’est du gagnant-gagnant », souligne David, pragmatique. Et pour l’avant-chantier ? « Nous avons quelques idées », dit-il en souriant.

Nouvelles crèches de la Ville de Paris (image ©uapS)
Nouvelles crèches de la Ville de Paris (image ©uapS)

Quoi qu’il en soit, le modèle est stupéfiant de cohérence et d’efficacité. En plus de l’application, FinalCAD loue ses services au mètre carré. « Comme ça, les particuliers n’ont pas à payer pour un logiciel qu’ils pourraient sous-exploiter, et les chantiers plus conséquents trouvent aussi leur compte ». Et ça marche. En septembre 2011, le trio fait du porte-à-porte pour présenter sa solution, avec un objectif de 10 clients en décembre. À la fin de l’année, ils sont 15 à leur faire confiance. Pour 2012, l’objectif est de 100 clients : plus de 200 en décembre. Cependant, « tout reste à faire. » « Nous avons plus de 2 500 clients, dont 90 % en France. Et il se construit chaque année plus d’un milliard de mètres carrés dans le monde. Vous imaginez le marché ? ».

Fait rare pour une startup, FinalCAD a pu fonctionner en auto-financement depuis sa création. C’est pour favoriser ce lancement à l’international que FinalCAD a effectué une levée de fonds de 2,1 millions d’euros auprès de Serena Capital. En attendant, l’application vient d’être mise à jour, apportant notamment la possibilité de prendre plusieurs photos (pour vérifier l’évolution d’une réserve, par exemple), et l’ajout de doubles-filtres pour améliorer la lisibilité des listes d’observations. Et le futur paraît radieux, avec une prochaine réécriture de l’application en Swift, l’arrivée de l’indoor-mapping… Ce qui a pu mener le développeur d’Ecoute à reconsidérer une offre particulière :

Il y a quelques jours, j’ai refusé un poste chez Apple. Aujourd’hui, je suis fier d’annoncer que je rejoins l’équipe de FinalCAD.
Il y a quelques jours, j’ai refusé un poste chez Apple. Aujourd’hui, je suis fier d’annoncer que je rejoins l’équipe de FinalCAD.

Peut-être que Tim Cook avait FinalCAD en tête, lorsqu’il évoquait les 80 % de son temps au bureau passés sur l’iPad (peut-être pour les plans du Campus 2 ?). On pourrait se contenter de voir dans cette popularité grandissante une success-story de plus, liée à l’attraction de l’App Store ; mais les raisons de ce succès sont plus profondes que cela. Au départ, rien ne destinait les fondateurs à créer une application de ce genre ; mais l’observation menant à une meilleure expérience, et l’expérience menant à une meilleure vision, « les points se sont reliés », pour reprendre un célèbre discours de Steve Jobs. La recherche incessante dans l’amélioration du design ou des services proposés ont fait le reste. De quoi rattraper les dix ans de retard dans le secteur, et même, pourquoi pas, prendre un peu d’avance.

Source
Image Une (cc) Raphaël Seban, modifications iGeneration.
avatar Yohmi | 

On se demande bien pourquoi ça n'existait pas avant. Félicitations à ceux qui ont osé tenter l'aventure, c'est un succès mérité :)
Ça fait plaisir à voir dans un pays où, visiblement de plus en plus, on a pas plus de pétrole que d'idées.

avatar joneskind | 

@Yohmi

"Ça fait plaisir à voir dans un pays où, visiblement de plus en plus, on a pas plus de pétrole que d'idées."

Des idées comme du savoir-faire on en a. Ce qu'on ne sait pas faire par contre c'est l'exploiter durablement. Comme Aldebaran Robotics qui a été racheté à 80% par SoftBank, alors que le NAO est sans aucun doute la plateforme de développement robotique la plus accessible. Mais les investisseurs français sont très frileux quand il s'agit de nouvelles technologies.

avatar joneskind | 

C'est vrai que j'ai toujours trouvé FinalCAD super pratique, et c'est vraiment à ce genre d'application professionnelle que je pense quand j'imagine le futur de l'informatique mobile. Parce que c'est là qu'une tablette surpasse le PC traditionnel et le papier.

avatar 6ix | 

@Eaglelouk :
Ce qui permet du coup de continuer sur Ecoute tout de même?
(c'est interdit quand tu bosses chez Apple)

avatar nicolas | 

Il y en a quelques autres App de ce genre, comme ArchiReport ou Sitework, et depuis un moment. Mais je crois qu'elles ne proposent aucun service Cloud.
Elle propose parfois l'intégration aux solutions de gestion d'agence comme BIMOffice ou ArchX

avatar CF88 | 

Pour avoir bosser dans le bureau d'étude structure de D2
Les plans ont été réaliser sur AutoCAD

avatar Florian Innocente | 
@ Les plans ont été réaliser sur AutoCAD Qu'il aient été réalisés sur AutoCAD ou avec AppleWorks ne change rien à l'affaire, lisez l'article ou allez voir à quoi sert exactement FinalCAD, rien à voir avec AutoCAD.
avatar CF88 | 
Modéré par la rédaction (AZ)
avatar ed/dy | 

Ça ma l'air vraiment pas mal! J'utilise l'app OPR6 pour la levé de réserves, qui est très peu mise à jours. Le suivi ma l'air plus sérieux là. J'espère un jours être amené à l'essayer.

avatar demenla971 | 

Moi je l'ai utilisé et vraiment j'ai géré pas mal de chantiers!
Elle est géniale!

avatar mBn-pitchu | 

Je l'utilise régulièrement pour effectuer les réceptions de chantiers de voirie dans une collectivité locale. C'est pratique et intuitif. Dès la fin de la réunion, on peut exporter une liste complète de réserves. Ça a motivé un de nos Maître d'œuvre a acheter un iPad et l'application.

Seul frein, ma collectivité qui considère l'iPad comme un outil de divertissement et non un outil professionnel. Du coup, pas d'accès facile à nos serveurs et données.

avatar CF88 | 

Florian innocente, commenter un commentaire sans tenir compte de celui censurer c'est moyen...
oui j'ai répondu à une attaque mais seule ma première phrase aurait ou mériter une modification
Donc je réitère je n'avait pas parcouru l'article
Je ne suis pas illettré je remercie juste iOs7

avatar CF88 | 

La terminaison en cad m'a fait croire à un énième logiciel de dessin MEA CULPA ( 2ème fois )

En revanche c'est bien de gérer du dwg (2D j'imagine )mais la 2D c'est un peu révolu ...
Qu'en est t il des format rvt/ ifc ? De l'utilisation des repérage en 3D?

Après pour de petites structures ou des projets " simples" pourquoi pas... Mais sur des projet complexe en 3D ... On se retrouve à devoir extraire des données d'un modèle complet pour pouvoir y avoir accès PARTIELLEMENT .
Et le retour d'information est lui aussi 2D pour le coup ...
Quitté à démocratiser l'utilisation de tablette, et autres terminaux, peut être serait il utile de réfléchir à utiliser de manière efficace la technologie qui nous est offerte ... C'est a dire la 3D

Alors certes on ne peut que saluer la tarification du produit présenté dans l'article et souligner l'impossibilité de sortir le type d'application que je suggère dans le même budget ...
Mais le travail en 2D induit forcément la aussi une ressaisi de l'information au moment de passer de la 2D a un contexte 3D, à l'instar de ce qui est décrit ici la ressaisi depuis l'exemplaire papier

Mais ne soyons pas de mauvaise fois bien qu'elle ne me sera pas utile, je vois bien des gens à qui cette application pourrait rendre service !

avatar iGadz | 

Sincères félicitations pour cet article documenté et de qualité.

avatar twingocerise | 

Aie, ya de la concurrence par contre : http://www.kaliti.fr/
j'ai meme bossé dessus...

avatar rehalucas | 

y'a de la concurrence partout (pas que kaliti!)
finalcad c'est joli pour faire plaisir à la maitrise d'oeuvre mais gérer un VRAI chantier complexe avec des dizaines de milliers de réserves, j'émets quelques réserves ;-)

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