Il y a 6 ans (presque) jour pour jour, Apple lançait son App Store. À l'époque, certains le voyaient comme une application anecdotique, qui devrait simplement « modifier » le contenu de l'iPhone, sans pour autant le bouleverser…
…1,2 million d'applications, 75 milliards de téléchargements et un bon nombre de concurrents plus tard, force est de constater que non seulement l'App Store a changé l'iPhone, mais qu'il a également changé nos comportements au quotidien. Les applications qui y sont disponibles, ainsi que leurs studios de développement sont devenus de véritables géants commerciaux valorisés à plusieurs milliards de dollars. Certains d'entre eux se sont d'ailleurs fait racheter par la Sainte Trinité de la Silicon Valley, comme WhatsApp et son rachat historique par Facebook ou encore Waze par Google.
WhatsApp et Snapchat, la messagerie nouvelle
WhatsApp donc, l'entreprise fondée en 2009 à Londres, a aujourd'hui rejoint les rangs de Facebook. Avec une approche multiplateforme et des applications simples au possible (son créateur Jan Koum a d'ailleurs une phrase assez connue de ses employés « no ads, no games, no gimmicks ! » qui reflète assez bien la philosophie de l'entreprise), WhatsApp a véritablement su conquérir son marché.
Actuellement le leader des services de messagerie occidentaux — seuls deux services de messagerie exclusivement chinois arrivent à obtenir des chiffres supérieurs —WhatsApp est utilisé par plus de 500 millions d'utilisateurs. De quoi finir d'achever le marché SMS traditionnel qui semble de plus en plus être relégué dans les oubliettes du mobile, face aux applications de messagerie (lire : Face à iMessage ou WhatsApp, le SMS recule).
Le succès de WhatsApp tient surtout dans la gratuité de l'application, mais aussi dans son fonctionnement multiplateforme. Si Messages est cantonné aux appareils iOS, et si Skype nécessite un téléphone qui tient la route, WhatsApp fonctionne sur tous les types de téléphones. L'un des fondateurs, par exemple, a toujours un téléphone bas de gamme sur lui pour s'assurer que l'app fonctionne dessus. Il part du principe que si l'application fonctionne sur ce téléphone, elle fonctionnera sur tous les autres mobiles haut de gamme.
L'acquisition de l'entreprise par Facebook a fait l'effet d'une véritable bombe dans le monde merveilleux du high-tech. Non pas par l'acte en lui-même, bien que surprenant, mais surtout par le montant que le réseau social a déboursé pour s'offrir ce service de messagerie : seize milliards de dollars en cash et quatre milliards en actions. Un montant astronomique et rarement vu dans ce domaine, surtout pour des entreprises grand public. À côté de ça, le rachat de Beats par Apple passe pour une transaction anecdotique (3,2 milliards). Aujourd'hui, WhatsApp continue de fonctionner de manière indépendante, mais sous l'aile de Facebook.
De son côté Snapchat est un peu l'outsider des grosses pointures de l'App Store. Sorte de réseau social qui n'en est pas un ou messagerie d'un nouveau genre, cette application attire principalement un public jeune et laisse perplexes ceux qui ne l'utilisent pas.
Snapchat se base sur l'instantanéité du message. Que ce soit une photo, une vidéo ou même un message texte, il ne pourra être lu qu'une seule fois et pendant une période de temps très courte (entre 1 ou 10 secondes). Depuis ses dernières mises à jour, Snapchat a largement gagné en fonctionnalité (avec un chat vidéo, ou les conversations textuelles) et commence à attirer un public de plus en plus large.
Sans grand étonnement, on a appris que Facebook avait fait une proposition aux développeurs de Snapchat pour un rachat… que ces derniers ont purement et simplement refusée. L'offre était de l'ordre de 3 milliards de dollars, visiblement largement supérieure à la valeur réelle de l'application, selon certains analystes.
Instagram, la photo pour tous
On continue avec les acquisitions marquées d'un F blanc sur fond bleu. Instagram a marqué son temps avec un principe simple, le partage de photo carrées agrémentées d'un filtre vintage. Si cette description ne paie pas de mine, le réseau social s'est imposé en très peu de temps comme le réseau le plus connu de partage de photo. Exeunt les bases de données à la Flickr ou la 500px, pas d'importation (ou très peu) ni d'exportation. On fait une photo avec son iPhone, on la retouche en quelques secondes et le tour est joué.
Si l'image d'Instagram est souvent associée aux gobelets en cartons griffés d'un logo Starbucks ou aux selfies ne présentant que très peu d'intérêt, certains photographes professionnels ont pris le pari d'utiliser Instagram comme support alternatif de publication et de promotion (on prendra l'exemple, entre autres, de David Crunelle). Instagram a de fait été l'un des éléments catalyseurs de "l'iPhonographie", mouvement s'inscrivant dans une tendance plus générale de réflexion sur l'utilité des appareils photo réflex, qui ne sont pas toujours les appareils photo les plus adaptés à toutes les situations.
Instagram a donc l'avantage de jouer sur plusieurs plans. Vous pouvez y suivre vos amis et voir leurs très intéressants selfies, les stars qui vous tiennent à cœur, mais aussi des artistes, où tous les utilisateurs sont placés sur le même pied d'égalité, à l'instar de ce que fait Twitter. Le tout agrémenté d'un système de like qui rappelle sans détour celui de Facebook. Là est sans doute la clé du succès d'Instagram. Le business plan de l'application était encore très flou jusqu'à ce que Facebook débarque dans les bureaux d'Instagram en proposant un milliard de dollars. C'était d'ailleurs la première "grosse" acquisition du site de Mark Zuckerberg.
Au lancement d'Instagram, on a surtout vu le réseau social bâtir une image pro-iPhone, avec une disponibilité Android très tardive, encore plus sur Windows Phone. Un mode de distribution atypique, puisque la majorité des développeurs tentent de rendre leur application disponible le plus rapidement possible sur d'autres systèmes d'exploitation.
Instagram pose donc la question de la simplicité et la rapidité de partage au détriment peut-être de la qualité. Quoi qu'il en soit, beaucoup de développeurs ont fait le choix de supprimer des fonctions superflues, trop lourdes ou trop complexes pour arriver à un résultat le plus simple et le plus accessible possible. Instagram est donc l'exemple parfait de cette simplicité, avec sa retouche photo assez sommaire et très loin des carcans de la photographie professionnelle.
Shazam
Le positionnement ici est un peu différent, Shazam existe depuis un peu plus de 10 ans maintenant. Avant il existait sous forme de petite application mise en place sur un réseau mobile, principalement sur réseau AT&T aux États-Unis où chaque reconnaissance de chanson était facturée 0,99 $. Depuis son arrivée sur l'iPhone et l'App Store, Shazam a explosé pour devenir un véritable standard des applications mobiles.
L'application est toujours restée indépendante, avec un business plan apparemment viable : l'application est déclinée dans une version gratuite mais limitée et une version payante plus complète. Cependant, on a vu de nombreux partenariats s'établir entre Shazam et d'autres entreprises, comme l'incontournable Facebook, Spotify et même Apple, qui place des liens iTunes dans l'application et intégrera le service dans le Siri d'iOS 8.
L'application a su s'imposer comme référence dans son domaine, mais aussi comme un must have sur smartphone — l'app est d'ailleurs disponible sur la majorité des systèmes d'exploitations mobiles (iOS, Android, Windows Phone, BlackBerry…). Shazam s'assure aussi que sa première place reste incontestée, avec des brevets qui bloquent l'arrivée de concurrents, dont un redoutable brevet sur "un algorithme libre et gratuit de reconnaissance musicale". L'entreprise est aujourd'hui valorisée à plus de 500 millions de dollars.
Waze, du social dans le GPS
Le GPS Waze signe lui aussi l'arrivée d'une dimension sociale dans un domaine où cela ne coulait pas forcément de source. L'application GPS, que nous vous conseillions dans le Guide des vacances d'été 2014, mise sur ses utilisateurs pour tenir une base de données participative. Résultat, Waze est sans conteste une des meilleures applications pour vérifier l'état du trafic en temps réel et de manière très précise.
Ce n'est cette fois-ci plus Facebook, mais Google qui a mis la main sur le studio de développement israélien, pour un peu moins d'un milliard de dollars. Petite anecdote quant au rachat de l'app, il était stipulé dans le contrat de vente que chacun des employés (une centaine) devait recevoir un chèque de 1,2 million de dollars, de quoi leurs garantir un confort de vie plutôt sympathique. À n'en pas douter et même si ce n'est pas le cas aujourd'hui, Waze devrait finir par être intégré à Google Maps et ainsi pousser encore plus loin les cartes de Google.
Ce type d'applications met à mal les entreprises de GPS classiques. L'industrie du GPS est en train de s'effondrer à cause de ce genre d'applications gratuites. Tomtom, Garmin et comparses ont bien du mal pour trouver les moyens de rivaliser avec Waze : depuis 2011, le chiffre d'affaire de Tomtom ne cesse de reculer, et les prévisions ne sont pas meilleures. Les ventes de GPS en France baissent globalement de 30 à 40 % d'une année à l'autre. Des applications comme Waze ont donc à elles seules mis à mal un marché entier. C'est très souvent une caractéristique des applications "game changer" : elles sont à l'origine d'un bouleversement total du marché dans lequel elles évoluent.
Mais Waze ce n'est pas qu'une acquisition par Google, c'est aussi une manière nouvelle de concevoir le GPS. Alors que la majorité des — bons — GPS pour iPhone étaient vendus à des prix élevés (Navigon et Tomtom sont encore vendus à plus de 80€ pour les versions les plus évoluées) Waze est totalement gratuit. Même si c'est également le cas de Google Maps ou Plans, Waze a l'avantage d'être plus évoluée et bénéfice d'une image plus spécialisée GPS auprès du public. Le côté social de l'app lui offre une précision sans précédent sur l'état des routes. Cela prouve qu'un smartphone est donc aujourd'hui tout à fait capable de remplacer un GPS traditionnel.
Et peut-être même que les smartphones sont de meilleurs GPS que les GPS. Tomtom avait commencé à utiliser ses appareils en fonction pour détecter les bouchons (plusieurs appareils immobiles au même endroit signifie qu'il y a bouchon) et les smartphones font exactement la même chose… avec l'avantage d'être bien plus nombreux et de posséder plus de capteurs. Avec cette manière d'utiliser les puces GPS de nos téléphones, il est également possible de corriger le tracé d'une route et même d'associer le SSID de tel réseau Wi-Fi à une position précise pour améliorer la triangulation de la position dans les applications de navigation.
Le volet social de Waze est l'une des composantes qui est souvent à l'origine du succès d'une app (le partage rapide sur d'autres réseaux sociaux, ainsi que l'entre-aide qui règne au sein de l'application). L'intégration de cette partie sociale ne coulait pas forcément de source pour une application GPS, mais pourtant, une fois mis en place, elle semble tellement évidente qu'elle en est incontournable.
Runkeeper
Runkeeper intervient dans un contexte où le smartphone se connecte de plus en plus à notre corps. On le voit avec, par exemple, le Samsung Galaxy S5, les — nombreux — bracelets traqueurs d'activités ou plus récemment avec le HealthKit d'iOS 8, la santé devient un enjeu majeur des smartphones. Runkeeper ne surfe pas sur cette vague : il l'a précédée en permettant de suivre les courses à pied et en tenant à jour tout un tas de données concernant votre activité sportive.
Encore une fois, l'application s'est rapidement imposée comme leader de son segment. Entre une simplicité apparente et un rayon fonctionnalités assez complet, l'application a su remporter les faveurs du grand public. L'application ne se limite pas au suivi de la course à pied, mais également de la marche, du ski, du cyclisme… Et c'est une fois de plus la dimension sociale qui marque des points, puisque Runkeeper permet de poster facilement ses exploits sportifs sur Twitter ou Facebook.
Pour l'instant, l'application évolue seule, avec des achats in-app relativement onéreux, et quelques partenariats, notamment avec Pebble et sa montre ou FitBit et son bracelet.
Runkeeper joue la carte de l'exploitation des capteurs des smartphones. Au-delà de la puce GPS, l'utilisation d'une puce comme le M7, des gyromètres, des cardiofréquencemètres de certains portables comme le Galaxy S5… L'app joue réellement le rôle de collecteur de données liées aux capteurs de votre smartphone, sur l'état de votre corps et ses déplacements. Ces capteurs sont sans aucun doute amenés à se multiplier et à se diversifier, on le voit avec les nouveaux bracelets connectés et dans les rumeurs entourant l'iWatch, et ainsi faire exploser le marché lié à la santé.
Rovio et la question du freemium
Studio de développement de jeu par excellence, à l'origine d'Angry Birds. Si Angry Birds n'est certainement pas le jeu le plus évolué de la décennie, il est sans aucun doute l'un des plus emblématiques . Il est un des premiers jeux à s'être octroyé la première place de l'App Store de manière durable. Ce jeu a permis de prendre conscience du potentiel des terminaux mobiles pour le casual gaming et ainsi permis d'envisager l'iPhone et ses comparses comme une console de jeu à part entière.
Rovio a été valorisé, au plus fort de sa popularité, à 9 milliards de dollars (aujourd'hui cette cote est redescendue autour des 2 milliards) — comme point de comparaison, l'ensemble d'EA Games est valorisé à 11 milliards de dollars. Même si la différence est aujourd'hui flagrante, on voit bien à quel point le casual gaming sur smartphone et tablette est un marché qui est encore en pleine explosion. Et Rovio aurait en quelque sorte allumé la mèche de ce phénomène.
L'entreprise aujourd'hui est déjà sur la pente descendante, avec comme preuve la baisse drastique de sa valorisation. Mais Rovio tend à diversifier ses activités avec de nouveaux jeux (comme Tiny Thief ou Juice Cubes), et surtout en déclinant la marque Angry Birds à l'infini avec des produits dérivés divers et — très — variés et une tonne de déclinaisons du jeu. C'est la première entreprise à avoir parfaitement exploité le merchandising lié à un jeu destiné aux smartphones. Ces jeux ne sont pas simplement des applications pour smartphone : Angry Birds est avant toute chose, un phénomène culturel.
Rovio est aussi une entreprise emblématique au niveau du modèle économique. Dans un premier temps, ils n'ont pratiquement que commercialisé des applications payantes. Aujourd'hui, la quasi-totalité des apps en vente sur l'App Store signées Rovio reposent sur le modèle freemium. Cependant, on peut voir que l'entreprise est en déclin depuis l'instauration de ce modèle freemium. Ce n'est peut-être pas l'unique facteur de ce déclin, mais le freemium y est pour quelque chose. Et cela pose d'innombrables questions sur le modèle économique à adopter pour une application.
Toutes ces apps, et bien d'autres encore, ont bouleversé des industries entières et leurs modèles économiques. Comme le disait Apple dans la vidéo d'introduction du keynote de la WWDC 2014 :
You open up an app and you open up a possibility
Vous ouvrez une app et vous ouvrez une possibilité. Dont celle de tout changer.
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