L’écrasante majorité des conducteurs — 90 % d’après une étude américaine de 2015 — utilisent désormais une app sur leur smartphone pour arriver au bon endroit. Que ce soit Apple Plans, Google Maps ou encore Waze, ces apps ont toujours le même objectif : pas seulement vous guider, mais aussi vous recommander le meilleur itinéraire pour arriver au lieu demandé le plus vite possible. Toutes ces apps rivalisent d’intelligence pour trouver la meilleure route, celle avec le moins de bouchons.
Pour faire gagner quelques minutes à leurs utilisateurs, ces apps ont un effet pervers. En envoyant des véhicules sur des petites routes secondaires pour éviter les principales, elles ont un effet nuisible sur des quartiers résidentiels autrefois calmes et qui doivent désormais affronter un flux de voitures parfois ininterrompu. La situation est si grave près des grandes villes — dans certaines rues de Californie, jusqu’à 45 000 voitures supplémentaires par jour — que des résidents et des communes ont essayé d’agir, allant jusqu’à intenter des actions en justice contre les créateurs de ces apps.
Ce phénomène de déport du trafic sur des axes secondaires commençait à être bien connu, mais la situation pourrait en fait être bien pire. Une étude de l’université de Berkeley, en Californie, montre que les apps de conduite pourraient empirer la situation en créant davantage de bouchons et sur davantage de routes. Cette étude n’est pas encore terminée et les universitaires restent très prudents sur cette conclusion, mais les premiers retours sont assez concluants. Ils ont simulé l’effet d’un bouchon sur une autoroute californienne avec deux scénarios différents. Dans l’un, aucun conducteur n’a d’app pour le guider ; dans l’autre, 20 % des voitures sont équipées d’un GPS doté d’informations sur le trafic.
Au bout de deux heures, on a deux situations bien différentes. Dans le scénario sans GPS, le bouchon est en voie de se résorber et le reste de la carte est « normal », il n’y a pas de bouchons supplémentaires par rapport à la moyenne. Dans l’autre scénario, le bouchon initial est déjà totalement dégagé, ce qui est positif, mais ce qui cache aussi une réalité différente quand on change d’échelle. Très localement, les apps ont eu un effet positif, mais en étudiant la situation de façon plus globale, la simulation met en avant d’autres problèmes.
En raison du bouchon, une partie du trafic qui devait rester sur l’autoroute a été déviée sur le réseau de routes secondaires. Seulement, celles-ci ne sont pas prévues pour gérer autant de voitures et il y a ainsi plusieurs bouchons locaux sur ce réseau de plus petites voies. Pire, il y a aussi des ralentissements sur l’autoroute, en amont, quelques kilomètres avant le blocage initial. En cause, les congestions sur la sortie avant le bouchon qui se répercutent finalement sur l’autoroute elle-même. Et petit à petit, c’est tout une région qui se bloque dans cette simulation, parce qu’une minorité de conducteurs a changé d’itinéraire suite à un bouchon.
C’est le paradoxe des apps de conduite : tant qu’une minorité de conducteurs les utilisent, ils peuvent effectivement gagner beaucoup de temps en évitant les ralentissements. Mais si une majorité fait la même chose, ces mêmes apps se contentent de déplacer le problème et l’empirent, au moins pour les résidents qui doivent gérer un trafic plus important sur des routes qui n’ont pas été conçues pour. Et si l’on en croit les résultats préliminaires de cette nouvelle étude, ces GPS pourraient même conduire à une situation pire que s’ils n’avaient pas aidé leurs conducteurs.
Pour améliorer cette situation, il n’y a qu’une seule solution d’après Alexandre Bayen, polytechnicien en charge des études de transport à Berkeley : la collaboration. Chaque app devrait répartir ses conducteurs de manière optimale, en ne les envoyant pas tous sur la même petite route secondaire. Mais pour que ce soit vraiment efficace, il faudrait selon lui que toutes les apps communiquent et gèrent le problème à l’échelle globale. Ce n’est que dans ce cadre que l’on peut envisager un effet bénéfique, et non négatif, pour les apps de transport, mais il y a peu de chances que cela arrive.
https://www.youtube.com/watch?v=OTYHrozkazgOn voit mal, déjà, que Google et Apple s’entendent sur le sujet, ne serait-ce qu’en raison des traitements très différents des données personnelles qui sont faits dans chaque firme. Et même si c’était le cas, il faudrait aussi que ces apps acceptent de désavantager une partie de leurs utilisateurs pour le bien commun. Il faudrait en effet qu’une partie du trafic emprunte une autre route, plus longue et peut-être même plus lente, pour que dans l’ensemble, les ralentissements soient limités au maximum.
Ce dernier point risque bien de poser le plus de problème. Le temps de trajet indiqué au départ par chaque app est un critère de choix important et au moins une étude menée par un particulier montre que Waze a tendance à promettre des temps plus courts que ses concurrents, souvent trop optimistes par rapport à la réalité. C’est un avantage par rapport à la compétition et on peut imaginer que les différents acteurs impliqués ne sont pas prêts à s’entendre.
À moins, naturellement, que l’étude soit confirmée et qu’elle pousse les États à légiférer sur la question. C’est d’autant plus important que l’on envisage un futur fait de voitures autonomes, conduites exclusivement par des algorithmes qui pourraient encore aggraver le problème. D’ici là, la morale de l’histoire, c’est peut-être encore que suivre son GPS ne permet pas toujours de gagner du temps…
Source : The Atlantic