Johny Srouji, le chef d'orchestre des processeurs d'Apple
Johny Srouji, le patron du développement des Ax, ces processeurs qui équipent les iPhone et les iPad, est l’objet d’un long portrait chez Bloomberg. Natif d’Israël, âgé de 51 ans, parlant hébreu, arabe, anglais et français, ancien d’Intel (il a travaillé sur le Pentium) et d’IBM (les processeurs pour serveurs Power7), il a rejoint la Pomme en 2008.
Il s’agissait pour lui de superviser la création du processeur A4. Un système sur puce qui fut utilisé en 2010 pour l’iPhone 4 et dans le premier iPad. Ce fut le premier chapitre de la fin d’une dépendance d’Apple envers Samsung pour le design de cet organe essentiel des appareils iOS. En 2014 et en 2015, l’homme a gagné en visibilité à l’extérieur d’Apple après deux promotions qui l’ont conduit au poste de Senior Vice President, Hardware Technologies.
Le retard de l'iPad Pro
Bloomberg raconte un épisode de la genèse de l’iPad Pro. Initialement, la grande tablette devait sortir au printemps dernier et précéder ainsi les iPhone 6s. Différents retards logiciels et matériels obligèrent à repousser le lancement en novembre.
Une bouffée d’oxygène pour plusieurs équipes mais une contrainte inédite pour celle de Johny Srouji. Le planning de départ prévoyait d’équiper la tablette d’un processeur A8X, dérivé de l’A8 des iPhone 6 sortis six mois plus tôt. Puis les iPhone 6s arriveraient avec leur A9 flambant neuf.
Mais avec le nouveau calendrier, l’iPad Pro aurait contenu un A8X moins puissant que l'A9 des iPhone 6s commercialisés deux mois avant. Impensable. L’équipe de Srouji a donc avancé à marche forcée pour mettre au point un A9X qui, en temps normal, aurait dû être lancé ces semaines-ci (lire De l’A9 pour l’iPhone 5se, de l’A9X pour l’iPad Air 3 ?).
Un processeur fait maison
Apple aura fabriqué 3 générations d’iPhone avant de les basculer sur ses propres design de processeurs, basés sur ceux d’ARM. Un ancien ingénieur qui a travaillé sur l’iPhone rappelle le contexte de l’époque, où Apple avait des téléphones formidables mais sous-motorisés, notamment avec des puces employées par Samsung dans ses platines DVD.
« Steve [Jobs] est arrivé à la conclusion que le seul moyen pour Apple de vraiment faire la différence et de proposer quelque chose d’absolument unique et de vraiment génial, était de posséder son propre processeur », explique Johny Srouji. Il fut débauché de chez IBM pour donner corps à cette nouvelle stratégie. Laquelle avait également comme avantage de tenir loin des yeux de Samsung certains projets d’Apple.
Cet A4 allait intégrer le premier iPhone Retina d’Apple et du marché en général. Sa conception a été menée à un rythme frénétique, se souvient le cadre dirigeant qui fait cette analogie : « L’avion décollait et j’achevais juste la construction de la piste ».
La discrétion que confère ces développements en interne s’est traduite d’une manière éclatante en 2013, avec l’A7 dans les iPhone 5s. C’était le premier processeur 64 bits au monde pour smartphones. Une annonce sortie du chapeau qui a cloué au sol des vétérans du domaine comme Intel, Qualcomm et agité leurs clients (lire Qualcomm et la « panique » après l’annonce de l’A7 64 bits). Il faudra plus d’un an à Qualcomm pour effacer la marque de cette gifle.
Amusé à l’évocation de cet épisode et de la réaction de ses concurrents, Johny Srouji explique la méthode d’Apple : « Lorsqu’on choisit de faire quelque chose, c’est parce qu’on pense qu’il y a un problème auquel personne ne peut s’attaquer, ou qu’il y a une idée à ce point originale et différente que le meilleur moyen de la réaliser est encore de s'en occuper soi-même ».
Il s’attarde au passage sur l’une des distinctions majeures entre le matériel et le logiciel. Une application se corrige par une mise à jour, par contre « Si vous avez un transistor mal conçu, c’est foutu, game over. Chacun d’entre eux doit fonctionner, le silicium ça ne pardonne pas. ».
Aux débuts des efforts de conception des Ax, l’équipe d’Apple comptait 40 personnes attelées à intégrer des composants venus de multiples fournisseurs. L’effectif est passé à 150 à la faveur de l’acquisition de PA Semi en 2008, et a augmenté encore depuis.
Ce groupe et son responsable sont devenus au fil du temps un carrefour obligé pour les autres équipes travaillant sur différents aspects matériels et logiciels des iPhone/iPad. Nouvelles fonctions, nouveau design, batterie, appareil photo… tous ces éléments et les demandes associées ont une dépendance au processeur à des degrés divers. Elles doivent recevoir l’avis ou le feu vert de Johny Srouji.
L’article évoque son enfance en Israël et quelques enseignements de son père, qui réalisait des moules pour des machines et avait une philosophie assez particulière avec ses clients. « S’il y avait quelque chose de nouveau et de très compliqué à faire, il voulait s’en occuper », et il faisait payer moins cher les clients qui lui amenaient de tels projets, et plus cher ceux qui apportaient du tout cuit.
« La facilité est une perte de temps, la difficulté est une bonne chose » assène Srouji. Ou encore, à propos des iPhone toujours plus fins : « Les concepteurs des puces chez Apple sont des artistes et les ingénieurs des sorciers. » Et pour la bonne bouche : « Lorsque les concepteurs disent ‘C’est compliqué’, ma règle c’est de répondre que si ce n’est pas rendu impossible par les lois de la physique, alors ce sera dur mais faisable ».
Le budget affecté aux travaux des équipes processeurs ne fait pas l’objet d’une surveillance pointilleuse de la part de Tim Cook, assure Johny Srouji : « Je serre les cordons de la bourse. Je crois très sérieusement que les ingénieurs font un meilleur boulot s’ils sont limités sur leur budget, les outils ou les moyens. C’est un mauvais état d’esprit que de bâcler les choses parce que vous avez trop d’argent à votre disposition ».
Aussi avancés que soient les processeurs d’Apple, il y a toutefois encore des chemins à défricher. Comme de concevoir et intégrer un modem pour s’épargner la présence de ce composant de tierce partie sur la carte mère.
À l’évocation de différentes pistes où Apple pourrait rééditer le coup de l’Ax et prendre à son compte d’autres composants — puce Wi-Fi, batteries — Johny Srouji botte en touche invariablement sur ces hypothèses. Et pourquoi pas remplacer carrément Intel dans les Mac ? Même refus poli puis il ajoute : «Si l’on commence à vouloir tout faire je ne pense pas que ce soit très malin ».
Très intéressant article... Thx ;)
Je pense que Apple travaille sur au moins 2 générations d'avance, voire trois.
Le temps de concevoir l'architecture, fabriquer les premiers proto, tester et valider... avant de passer à la production
Je crois très sérieusement que les ingénieurs feront un meilleur boulot s’ils sont limités sur leur budget, les outils ou les moyens !
Quand on a pas de sous ou a des idées ! Les développeurs doivent s'en inspirer quand les applis prennent un max de ram ou de batterie pour pas grand chose !
T'as raison, après tout avec du papier et un stylo on doit pouvoir concevoir un proc si on a des idées...
On attendant le processeur pour le calcul sur les sédénions.
@bbtom007 :
Entièrement d'accord les contraintes permettent de faire des choses très astucieuses et ingénieuses. Comme par exemple on a pu le voir à l'époque jobs.
Il faut vraiment pas connaître le métier pour sortir de telles inepties !
@bibi81
C'est pourtant le cas.
Tous les exemples historiques de grands produits ou de grandes architectures sont le résultat d'une contrainte de base difficile à franchir. C'est précisément ce qui fait qu'ils sont remarquables.
Il serait temps d'ouvrir un bouquin d'histoire du design, d'architecture, des grands édifices, de l'ingénierie (la naissance de la fusée Apollo, du concorde etc...)
On parle ici de vouloir refuser l'achat d'outils...
Et ce qui s'applique à un domaine ne s'applique pas à tout les domaines...
Tu es du métier ?
il a dit quoi qui te gène ?
Tiens on encore un qui connait tout de la vie !
Tiens encore un qui ne connaît que le binaire totalement incapable de faire des nuances...
Tu es du métier ?
bibi81 18/02/2016 - 19:54
T'as raison, après tout avec du papier et un stylo on doit pouvoir concevoir un proc si on a des idées...
C'est toi qui parle de binaire et de nuances ?
La nuance se situe dans le fait que j'ai répondait à ton idée et pas à ta personne. Et sinon tu es du métier ou tu n'y connais rien ?
@bibi81 :
Je ne fais pas design de proc. Par contre je fais fu dev d'appli décisionnel. Donc si on me dit no limit au niveau budget ca sera plus facile que si je dois faire avec des contraintes
Le développement d'application n'a rien à voir avec la conception d'un SoC !
@bibi81 :
Je ne dis pas le contraire. Donc j'en déduis :
1 tu fais des cpu - 2 le budget n'a pas d'impact sur le produit fini.
Le budget a un impact, plus de budget = produit de meilleur qualité.
Le concept de contraindre pour avoir un produit de meilleur qualité ne s'applique pas, surtout dans le domaine de la sécurité.
Excellent article, comme souvent ici, pour les articles de fond. Cette décision stratégique a été il me semble fondamentale pour proposer un iPhone se différenciant du tsunami des mobiles Android.
Si Apple n'avait pas fait ce choix, il est probable que le form factor des iPhone allant du 3GS au 5S aurait été plus grand (copie conforme des smartphones Android).
A moyen terme, il est aussi certain que cette équipe sera le pilier centrale de la nouvelle architecture ARM des mac.
A moyen terme, il est aussi certain que cette équipe sera le pilier centrale de la nouvelle architecture ARM des mac.
Je pense qu'elle l'est déjà. Apple serait différent sans cette équipe.
Merci pour cet article que j'aurais aimé beaucoup plus long parce que passionnant !
Ça me donne envie d'aller lire l'article de Bloomberg du coup ^_^.
En tout cas on reconnait bien là la philosophie d'Apple et c'est bien ce qui me plait. J'espère de tout coeur que l'entreprise parviendra à conserver cet esprit dans le futur.
NB : On sent qu'on va continuer d'entendre parler de ce monsieur à l'avenir, il a son propre Tag sur MacGé ^_^.
@joneskind :
Ça m'a étonné que l'article de Bloomberg ne soit pas plus long car ils ont eu accès à des installations à cupertino et en Israël.
Mais bon, quand ton sujet te réponds No comment à 2 questions sur 3 c'est pas simple non plus…
Genie inside!
Il est clair que la marche forcée d'Apple vers des processeurs maison toujours plus puissants ne se justifie pas par les seuls besoins sur les iBidules, déjà largement au niveau. Il y a donc qq chose derrière ... J'ai ma petite idée ....
C'est le marché qui veut ça. Quand tu vois sachouba qui se branle sur des fiches techniques, cette marche forcée est surtout un argument marketing.
@bonnepoire :
Sans maîtrise la puissance n'est rien !
@umrk :
T'as lu la dernière phrase ?
«Si l’on commence à vouloir tout faire je ne pense pas que ce soit très malin »
En tout cas, Apple a la chance d'avoir des architectes processeurs solides et capable d'absorber avec ses équipes les changements de décisions. C'est bien dommage qu'Apple n'est pas fait le choix, à l'époque, de fabriquer ses propres processeurs pour le Mac (ou d'avoir eu un partenariat moins conflictuel avec IBM).
on peut aussi remercier ARM qui fait des architectures formidables, et qui a des équipes encore plus talentueuses que celles d'Apple
@moranej :
Jaloux.
La communication chez Apple n'étant jamais le fruit du hasard, je me demande ce que la dernière phrase, à propos du Mac ARM, peut bien signifier :
"Si l’on commence à vouloir tout faire je ne pense pas que ce sera très malin".
Apple sait bien qu'elle est attendue au tournant sur cette décision de changer d'architecture pour ses Macs. La question lui a souvent été posée. On peut donc se demander pourquoi le chef de l'activité processeur ARM a l'air de prétendre que ce n'est même pas en projet.
En tout cas c'est vraiment passionnant !
@joneskind :
« prétendre »
Tsssss. :/
Toi tu sais mieux.
Excellent article en effet :-D Un super type, qu'il faut garder chez Apple !!!
Bel article merci
Pour compléter cet excellent article : http://www.liberation.fr/futurs/2016/02/17/microprocesseurs-la-loi-de-moore-patine-et-c-est-tant-mieux_1434035
Donc cela choquait ces messieurs d'avoir un iPad Pro moins puissant que l'i6s.
Mais en 2010, quand ils ont mis un A4 dans li4 et le premier iPad mais 256M de Ram dans l'iPad versus dans l'i4, personne n'a été choqué?!
Tant est si bien que des iOS6, l'iPad 1 était hors jeux...
Bref, ceci mis à part, j'aime l'esprit ambitieux avec une dose de modestie. Ives devrait s'inspirer du bonhomme...
Les éditeurs étant à la traîne, les applications seront passées en 64bits quand Apple proposera un proc 128bits
De toutes façons le 64 bits c'est de la branlette ça n'apporte rien de plus par rapport au 32 bits si ce n'est l'adressage mémoire. Alors le 128 bits, c'est encore plus inutile
@moranej :
C'est faux, Apple a utilisé le 64 bits pour faire un paquet d'optimisations au niveau du runtime ; par exemple, le compteur de références d'un objet est stocké directement dans son pointeur au lieu d'être dans une table à part. Encore mieux, les valeurs de certains objets sont mêmes stockées directement dans leurs pointeurs.
Renseigne toi sur les "tagged pointers" si ça t'intéresse (mais si tu préfères continuer à dire n'importe quoi, ne tiens pas compte de mon message).
très bon article, mais je suis resté sur ma faim