Lors de sa présentation du HomePod, au cours du keynote d’ouverture de la WWDC 2017, Phil Schiller a passé plus de temps à parler de détails très techniques qu’à causer de l’intégration d’Apple Music ou présenter les nouveaux usages de Siri. Bien sûr, les capacités logicielles du HomePod n’étaient pas tout à fait arrêtées — elles ne le sont toujours pas. Et puis le marketing d’Apple voulait insister sur l’aspect « enceinte », facilement identifiable, plutôt que sur l’aspect « assistant », nouveau voire anxiogène.
L’occasion a fait le larron, mais ce choix dit quelque chose de la vraie nature de cet appareil. Avec son processeur A8 et son système dérivé d’iOS, ses six microphones et ses huit haut-parleurs, sa modélisation en temps réel et son annulation d’écho avancée, le HomePod n’est pas qu’une simple enceinte. Ce n’est même pas une enceinte active augmentée d’un assistant personnel. Non, c’est un véritable « ordinateur audio ».
Un ordinateur audio
Bose est une pionnière de la psychoacoustique, Sonos a dispersé la chaîne Hi-Fi aux quatre coins de la maison, Amazon a ouvert le salon aux assistants virtuels. Que peut encore apporter Apple ? Comme toujours : son point de vue de quadra de l’informatique, qui lui offre une perspective unique, encadrée par des principes longuement mûris. Quand d’autres veulent transformer tous les appareils spécialisés en petits ordinateurs, Apple attaque le problème par l’autre bout, et préfère transformer de petits ordinateurs en appareils spécialisés.
L’iPod n’était pas qu’un simple baladeur informatisé, l’iPhone n’était pas qu’un simple téléphone informatisé, l’Apple Watch n’était pas qu’une simple montre informatisée. Le HomePod n’est pas qu’une simple enceinte spécialisée. Et cela change tout : l’iPod est devenu le centre d’un écosystème musical, l’iPhone n’est plus un téléphone que de manière très accessoire, l’Apple Watch s’éloigne des codes de l’horlogerie et s’approche de la médecine prédictive. Le futur du HomePod est grand ouvert.
Mais restons dans le présent : le HomePod prend de facto la forme d’un iPhone 6 entouré d’enceintes. Il possède donc… un accéléromètre. Qu’il sente le moindre mouvement, et il déclenchera une nouvelle modélisation de l’espace environnant, pour ajuster la manière dont chaque haut-parleur reproduit la musique. Le principe lui-même n’est pas nouveau (le système Trueplay de Sonos a les mêmes objectifs), mais l’implémentation d’Apple est largement supérieure (l’étalonnage Trueplay, réalisé une bonne fois pour toutes, demande une gymnastique bien particulière).
Avec ses six microphones, le HomePod s’écoute jouer de la musique, et perçoit les reflets et autres échos. Avec son processeur A8, il analyse le bruit ainsi perçu, et ajuste le signal diffusé pour annuler l’écho ou corriger le comportement du woofer. Apple possède là un autre avantage : c’est un distributeur de musique, qui a défini son propre standard de mastering, et contrôle donc l’ensemble de la chaîne. Le matériel et le logiciel s’assurent que le contenu est reproduit dans les meilleures conditions selon les spécificités de chaque installation.
Des choix sonores assumés
Cela ne veut pas dire que vous devez jeter votre chaîne Hi-Fi et courir acheter un HomePod. D’abord parce que vous ne pouvez pas, du moins si vous n’habitez pas dans l’un des rares pays où il est commercialisé. Ensuite parce que vous voulez peut-être attendre de pouvoir utiliser plusieurs HomePod pour former une paire stéréo, ou ne serait-ce qu’un système multiroom1. Enfin et surtout parce qu’Apple a fait des choix sonores clairs, qui ne vous conviendront peut-être pas.
Lorsque le jour viendra, ne vous contentez pas de remplacer votre chaîne Hi-Fi par un HomePod. Aussi surprenant que cela puisse paraître, une personne posant négligemment son HomePod sur une crédence obtiendra de meilleurs résultats qu’un audiophile imbu de ses connaissances en matière de positionnement des enceintes et de séparation stéréo. Oubliez vos réflexes — placer les tweeters à la hauteur des oreilles, décoller l’enceinte du mur, éviter les réflexions sur les surfaces dures, travailler sur l’espacement et l’orientation.
Le HomePod n’a pas été conçu pour une position d’écoute statique et attentionnée, au fond d’un fauteuil soigneusement placé, dans une pièce traitée acoustiquement. Au pied de l’appareil, les sept tweeters sont répartis tout autour d’une colonne centrale, tandis qu’au sommet, le woofer est pointé vers le haut. Mieux vaut donc placer le HomePod sur une crédence ou une table basse, ou même à côté du téléviseur, plutôt qu’au troisième niveau d’une étagère.
Pour autant, il est plus à l’aise près d’un mur qu’au milieu d’une grande pièce. Apple ne joue pas avec les voies, mais avec les gammes de fréquences, assignées à tel ou tel tweeter selon le morceau et les conditions. La présentation de Phil Schiller est instructive : elle démontre le cas idéal, celui d’un morceau « moderne » avec une voix soliste mise en avant, des choristes placées en retrait, et des instruments clairement identifiables tout autour.
Dans ce cas, le travail de modélisation donne des résultats époustouflants. La voie centrale semble irradier de l’enceinte, qui paraît mesurer un mètre plutôt qu’une douzaine de centimètres, et le reste du spectre est envoyé sur les côtés et l’arrière, vers les murs d’où il rebondit pour remplir la pièce. Cette illusion sonore — une voix propulsée vers l’avant et enveloppée par le groupe — se prête à de nombreux genres, et même à des morceaux instrumentaux, tant qu’un instrument se dégage clairement des autres.
Les « gars du PC » sont dans votre salon
Le HomePod ne se contente donc pas de reproduire les morceaux, mais les réinterprète, jusqu’à changer leur perception. Et cela ne fonctionne pas toujours : qu’un morceau soit particulièrement complexe, joue avec la séparation stéréo, ou possède une très grande dynamique, et le HomePod semble crouler sous l’effort. Les basses sont alors aussi exagérées que les médiums sont creux, tout se mélange, et l’écoute est oppressante. Le HomePod peut sonner merveilleusement bien… et terriblement mal.
Puisque la modélisation dépend du logiciel plus encore que du matériel, ces problèmes pourront être réglés par des mises à jour logicielles. Cela fera hurler les puristes, et cela provoque déjà des confusions2, mais le profil sonore du HomePod n’est pas figé dans le temps. Sur ce plan, le HomePod est un ordinateur comme les autres. « Les gars du PC », pour reprendre l’expression malheureuse d’un ancien CEO de Palm, Apple en tête, vont changer la définition de la chaîne Hi-Fi.
Bowers & Wilkins s’est vendue à une start-up intéressée par la domotique, Samsung a acheté le groupe Harman, Sonos intègre les services d’Amazon et de Google, Apple domine le marché des casques sans-fil… Le marché de l’audio est devenu le terrain de jeu des géants de l’informatique, et la qualité sonore intrinsèque compte moins que le perfectionnement technologique, c’est un fait. Avec le HomePod, Apple ambitionne de marier les deux pour l’emporter sur ses concurrents.
L’absence de ces fonctions liées à AirPlay 2 est déconcertante. Si l’on peut comprendre la difficulté à communiquer et synchroniser les modélisation en temps réel entre plusieurs appareils, à mettre au point un système de calcul partagé en somme, alors les ingénieurs d’Apple ne pouvaient pas ignorer ces difficultés. Fallait-il donc annoncer ces fonctions dès juin 2017, pour finalement les repousser aux calendes grecques six mois plus tard ? En attendant, tous les concurrents proposent ces fonctions. Sur ce point, la relative simplicité de leurs systèmes de modélisation est une force.↩
D’autant plus difficiles à confirmer ou infirmer que le profil sonore du HomePod change selon la position et les morceaux. En trois mesures avec un microphone étalonné et des fichiers de tests, nous avons obtenu… trois profils différents !↩