Les GPS pourraient en fait aggraver les bouchons

Nicolas Furno |

L’écrasante majorité des conducteurs — 90 % d’après une étude américaine de 2015 — utilisent désormais une app sur leur smartphone pour arriver au bon endroit. Que ce soit Apple Plans, Google Maps ou encore Waze, ces apps ont toujours le même objectif : pas seulement vous guider, mais aussi vous recommander le meilleur itinéraire pour arriver au lieu demandé le plus vite possible. Toutes ces apps rivalisent d’intelligence pour trouver la meilleure route, celle avec le moins de bouchons.

Photo Sal (CC BY-NC-ND 2.0).

Pour faire gagner quelques minutes à leurs utilisateurs, ces apps ont un effet pervers. En envoyant des véhicules sur des petites routes secondaires pour éviter les principales, elles ont un effet nuisible sur des quartiers résidentiels autrefois calmes et qui doivent désormais affronter un flux de voitures parfois ininterrompu. La situation est si grave près des grandes villes — dans certaines rues de Californie, jusqu’à 45 000 voitures supplémentaires par jour — que des résidents et des communes ont essayé d’agir, allant jusqu’à intenter des actions en justice contre les créateurs de ces apps.

Ce phénomène de déport du trafic sur des axes secondaires commençait à être bien connu, mais la situation pourrait en fait être bien pire. Une étude de l’université de Berkeley, en Californie, montre que les apps de conduite pourraient empirer la situation en créant davantage de bouchons et sur davantage de routes. Cette étude n’est pas encore terminée et les universitaires restent très prudents sur cette conclusion, mais les premiers retours sont assez concluants. Ils ont simulé l’effet d’un bouchon sur une autoroute californienne avec deux scénarios différents. Dans l’un, aucun conducteur n’a d’app pour le guider ; dans l’autre, 20 % des voitures sont équipées d’un GPS doté d’informations sur le trafic.

La simulation mise au point par Berkeley imagine deux scénarios de bouchon (au niveau de la flèche) : en bas, si aucun conducteur n’utilise d’app de navigation ; en haut, si 20 % des conducteurs utilisent une app.
Au bout de deux heures, la situation est pire dans le scénario avec les apps de navigation : le bouchon original est certes plus réduit, mais il y a des bouchons supplémentaires en amont sur l’autoroute et sur les routes secondaires alentours.

Au bout de deux heures, on a deux situations bien différentes. Dans le scénario sans GPS, le bouchon est en voie de se résorber et le reste de la carte est « normal », il n’y a pas de bouchons supplémentaires par rapport à la moyenne. Dans l’autre scénario, le bouchon initial est déjà totalement dégagé, ce qui est positif, mais ce qui cache aussi une réalité différente quand on change d’échelle. Très localement, les apps ont eu un effet positif, mais en étudiant la situation de façon plus globale, la simulation met en avant d’autres problèmes.

En raison du bouchon, une partie du trafic qui devait rester sur l’autoroute a été déviée sur le réseau de routes secondaires. Seulement, celles-ci ne sont pas prévues pour gérer autant de voitures et il y a ainsi plusieurs bouchons locaux sur ce réseau de plus petites voies. Pire, il y a aussi des ralentissements sur l’autoroute, en amont, quelques kilomètres avant le blocage initial. En cause, les congestions sur la sortie avant le bouchon qui se répercutent finalement sur l’autoroute elle-même. Et petit à petit, c’est tout une région qui se bloque dans cette simulation, parce qu’une minorité de conducteurs a changé d’itinéraire suite à un bouchon.

Les apps peuvent à tout moment offrir une meilleure route à leur utilisateur, ici avec Waze (capture Unclogged).

C’est le paradoxe des apps de conduite : tant qu’une minorité de conducteurs les utilisent, ils peuvent effectivement gagner beaucoup de temps en évitant les ralentissements. Mais si une majorité fait la même chose, ces mêmes apps se contentent de déplacer le problème et l’empirent, au moins pour les résidents qui doivent gérer un trafic plus important sur des routes qui n’ont pas été conçues pour. Et si l’on en croit les résultats préliminaires de cette nouvelle étude, ces GPS pourraient même conduire à une situation pire que s’ils n’avaient pas aidé leurs conducteurs.

Pour améliorer cette situation, il n’y a qu’une seule solution d’après Alexandre Bayen, polytechnicien en charge des études de transport à Berkeley : la collaboration. Chaque app devrait répartir ses conducteurs de manière optimale, en ne les envoyant pas tous sur la même petite route secondaire. Mais pour que ce soit vraiment efficace, il faudrait selon lui que toutes les apps communiquent et gèrent le problème à l’échelle globale. Ce n’est que dans ce cadre que l’on peut envisager un effet bénéfique, et non négatif, pour les apps de transport, mais il y a peu de chances que cela arrive.

https://www.youtube.com/watch?v=OTYHrozkazg

On voit mal, déjà, que Google et Apple s’entendent sur le sujet, ne serait-ce qu’en raison des traitements très différents des données personnelles qui sont faits dans chaque firme. Et même si c’était le cas, il faudrait aussi que ces apps acceptent de désavantager une partie de leurs utilisateurs pour le bien commun. Il faudrait en effet qu’une partie du trafic emprunte une autre route, plus longue et peut-être même plus lente, pour que dans l’ensemble, les ralentissements soient limités au maximum.

Ce dernier point risque bien de poser le plus de problème. Le temps de trajet indiqué au départ par chaque app est un critère de choix important et au moins une étude menée par un particulier montre que Waze a tendance à promettre des temps plus courts que ses concurrents, souvent trop optimistes par rapport à la réalité. C’est un avantage par rapport à la compétition et on peut imaginer que les différents acteurs impliqués ne sont pas prêts à s’entendre.

À moins, naturellement, que l’étude soit confirmée et qu’elle pousse les États à légiférer sur la question. C’est d’autant plus important que l’on envisage un futur fait de voitures autonomes, conduites exclusivement par des algorithmes qui pourraient encore aggraver le problème. D’ici là, la morale de l’histoire, c’est peut-être encore que suivre son GPS ne permet pas toujours de gagner du temps…

avatar webHAL1 | 

@frankm
« Les voitures autonomes n'auront pas de problème de distance de sécurité. Elles pourront rouler cul à cul à fond »

Ça veut dire qu'une voiture sur deux roulera en marche arrière ?! Ça risque d'être un peu dangereux...! ?

avatar frankm | 

☠2️⃣? je devais le nez dans le cul quand j'ai écrit ça

avatar clho | 

Grand utilisateur de Waze au quotidien que je n'écoute pas toujours...
Bouchon->tout le monde est dévié et plus personne ne passe par la route à bouchon qui n'est plus mise à jour alors que ca roule mieux.
Ça arrive rarement mais ça m'a évité un détour de plusieurs km de ne pas écouter mon gps

avatar frankm | 

@clho

Et j'ai même l'impression que de temps en temps il nous envoie sur le bouchon rien que pour avoir une mesure du trafic

avatar Malum | 

Raisonnement très étrange du fait que si le détournement dans un premier soulage largement l’axe principal et si les calculs sont en temps réels alors dans un second temps l’axe principal étant plus libre le GPS n’a plus de raison de délester.

avatar iDanny | 

@Malum

En effet c’est ce qu’il devrait se passer au bout d’un moment, donc ça devrait s’équilibrer.
Un GPS intelligent doit aussi savoir qu’en restant sur l’autoroute on a quand même une vitesse moyenne + élevée (pas d’arrêts dus aux croisements avec d’autres routes), donc il faut + de bouchons sur l’autoroute pour qu’elle perde son avantage.

avatar barla | 

Ça sent bon la monétisation.

Tu veux les meilleurs trajets ? Prend l'app et un abo premium en plus sinon c'est highway to hell.

avatar Abd Salam | 

@barla

En français, on dit : monnayage.

C’est monnayer qui est la traduction de monetize.

Monétiser / Démonétiser sont des concepts différents en français.

avatar barla | 

@Abd Salam

"Dans le domaine de l'économie numérique (Internet), la monétisation désigne généralement la valorisation de l'audience d'un site web ou d'une application mobile en revenus, en dehors d'une activité de vente en ligne (e-commerce). La monétisation de l'audience est réalisée par exemple sous forme de revenus publicitaires, accès payant à des contenus (paywall, freemium), appel au don"

avatar Abd Salam | 

@barla

Donc le terme correct en français est bien : monnayer / monnayage.

Encore une fois la suprématie de l’anglais produit l’emploi d’un terme incorrect... et les gens tiennent à ce que le terme anglais «francisé» soit perçu comme juste.

En français, monétiser c’est «fabriquer» de l’argent... ce n’est pas en gagner, ce n’est pas une valorisation quelconque de quoi que ce soit.

Par contre, monetize...

avatar barla | 

@Abd Salam

En français, monétiser c’est «fabriquer» de l’argent... ce n’est pas en gagner, ce n’est pas une valorisation quelconque de quoi que ce soit.

On est tout à fait d'accord en fait !

avatar Abd Salam | 

@barla

Je ne crois pas du tout.

Tu as cité des exemples de réalisations de profits... on appelle ça familièrement «faire de l’argent».

Mais “faire un profit”, ce n’est pas fabriquer de l’argent.

avatar barla | 

@Abd Salam

Super ! Je te laisse à tes arguties.

avatar Abd Salam | 

@barla

C’est mieux que de discuter sincèrement & honnêtement !

Mieux vaut se calfeutrer à l’intérieur de ses certitudes en se drapant de supériorité !

avatar Lightman | 

Il ne faut pas oublier un préliminaire : le nombre de véhicules à écouler au total ne change pas (GPS ou pas).
Deuxièmement, il y a toujours quelques personnes qui ne suivent pas les applications GPS et qui vont prendre la route classique. Ce qui suffit à détecter que le bouchon s'est résorbé. Du coup les GPS en tiendront compte et la situation finit par s'équilibrer.

Remarque personnelle : depuis longtemps je me suis demandé si Waze n'avait pas un coefficient qui tenait compte du style de conduite des conducteurs. Roulant plutôt vite, les estimations de Waze sont très fiables pour moi.

avatar powergeek | 

@Lightman

C’est en effet le cas. +1 lorsqu’on accélère et -1 lorsqu’on freine.

avatar Yves SG | 

C’est comme les parisiens. Tant qu’ils habitent à Paris, tout va bien pour nous.
Imaginez qu’un jour ils s’aperçoivent (vraiment) de la qualité de vie en province et qu’ils débarquent. Ça serait l’enfer ??? !

avatar frankm | 

@Yves SG

Quand j'étais jeune, il y a longtemps, à Paris, je me suis fait klaxonné 1/10 de seconde avant que le feu passe au vert. Très fort !

avatar Fanoo | 

C’est là qu’on fait la différence entre une voiture conduite par un conducteur et une voiture autonome : la 1ere peut encore éviter les bouchons...

avatar Xalio | 

Rien ne vaut la connaissance de la circulation et une bonne lecture de carte.
Problème: on ne connaît pas les routes partout :-)

En général Waze fait sortir de la route même pour 30secondes de gagnées, il ne faut pas toujours l’écouter.
Plan est moins impulsif, il ne propose un changement qu’à partir de 3/4 minutes gagnées.

avatar FrixDesign | 

Vive la bonne vielle carte Michelin ;)

avatar hallucinogen_1024 | 

@Korhm

Je rajouterai : ne pas s’engager dans un carrefour si on sait pertinemment qu’on va bloquer la circulation.

avatar thebarty | 

@hallucinogen_1024

+1000
Surtout pour les bus qui s’en foutent totalement. Il y a quelques années, je suis resté une heure moteur éteint Porte de La Chapelle car 3 bus longs s’étaient engagés et se bloquaient mutuellement, stoppant toute possibilité. Autant dire qu’ils se sont fait insulter copieusement.

avatar iDanny | 

@Korhm

J’ajoute un grand classique : ne pas freiner pour lire le panneau d’information au-dessus des voies... qui affiche justement qu’il y a un bouchon devant, arf ?
Les gens ne savent pas lire 6 pauvres mots écrits en grand sur un panneau tout en passant rapidement, c’est désolant...

avatar McFlan | 

@iDanny

Ils prennent une photo du panneau. C'est tellement rare que ça fonctionne qu'ils veulent le montrer à leurs amis. Logique.

avatar iDanny | 

@McFlan

?

avatar thebarty | 

@McFlan

?

avatar grdelage | 

Dans les Alpes, le préfet fait déjà interdire les routes secondaires aux voitures non-locales pour éviter les déroutages dus aux GPS à chaque grand départ en vacances... des parisiens! Cela fait deux ans que la route que nous empruntions tous les ans vers Moutiers nous est barrée en nous forçant (barrage de gendarmerie) à remonter sur la nationale bouchée. Frustrant mais efficace. Officiellement pour permettre une voie fluide aux véhicules de secours en cas d’urgence.

avatar hackroman | 

J’ai du mal à comprendre les résultats de cette analyse. Je pense le cas de Waze qui analyse ton trajet et prend on considération l’encombrement de la route. Si le GPS déverse une partie des automobilistes sur une route secondaire. Cela permet en toute logique de désengorger la circulation, et il est sera de même pour cette même route secondaire si elle venait à être trop occupée, le gps le sait aussi et sait à quel moment repartir d’une autre manière.

avatar pao2 | 

Il y a encore plus grave que Waze: Le frontalier! ;-) Sur Genève, certains frontaliers utilisent le même principe que les fluides. C'est bouché à un endroit, je passe ailleurs. Quitte à utiliser les chemins, voir même les petits chemins en graviers. Du vécu: La route qui traverse mon village est limitée à 30 km/h et il y a une route d'évitement. Pendant 3 jours, il y a eu une fête au village. Route fermée au centre du village. A chaque entrée du village, une barrière en travers de la route, un panneau cul-de-sac et un bordier seul autorisé. Des organisateurs montaient une grande tente sur la route. Une voiture frontalière a réussi à passer sous la tente! Donc tant que le principe des fluides sera utilisé ... avec Waze ou sans Waze ...bof!
Un bon conseil, si vous avez une appartement traversant au rez-de-chaussé , ne laissez pas la fenêtre de la cuisine et du salon ouvert, vous risquez de voir traverser une voiture! :-)

avatar DrJonesTHX | 

Comme d’habitude avec ce genre d’étude, on tape sur un en occultant la raison principale aux bouchons :
Les routes ne sont plus adaptées à la circulation toujours en croissance continue .
C’est tout d’abord les infrastructures à repenser afin de libérer le trafic .

Tiens c’est marrant, mais il y en qu’un, pour l’instant, qui nous propose une solution depuis bientôt 2 ans : Elon Musk et ses « tunnels rapides sous les villes »...

Il serait peut être temps de prendre les choses à bras le corps plutôt que de toujours taper sur les mêmes...( les automobilistes , et ceux qui s’organisent pour aider notre quotidien ...)

avatar albanet | 

Ce sont des idées qui me sont venues aussi en circulant régulièrement. Mais pour pousser le raisonnement vers le big brother actuel: si les GOS répartissent leurs utilisateurs en temps réels et donc nous font passer par le chemin qui les arrangent, on est plus très loin de la manipulation. Pourquoi pas nous faire passer devant un mcdo, un centre commercial....

Et puis cette répartition des citoyens créera aussi des situations où certains se retrouveront dans des endroits à la con voir peut être inadapté ou dangereux. Imaginez que vous ayez un accident À CAUSE ou en tout cas en partie à cause des indications/orientations d’un GPS.

On a déjà plein d’exemple de débiles qui ont décroché un Darwin Award en fonçant dans un lac.

Et vous avez déjà pris un pont qui surplombe une autre voie routière ? J’espère que les voitures autonomes seront moins stupide que les GPS actuels...

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