Vendredi dernier, Libération dévoilait enfin son application iPhone. Et là, surprise, plutôt que d'emprunter la même voie que celles sorties précédemment (Le Monde, Le Figaro, Le Parisien), elle tente une autre route. Au-delà de fonctions désormais convenues (liste des actus du jour, diaporama, ou même podcasts), elle remet le quotidien papier au coeur de l'application.

Libé en vrai ou presque

Libé, sa maquette, ses photos… tout est conservé… presque comme en vrai, toucher du papier en moins. Alors même qu'une version numérique, et plus encore sur des mobiles, a généralement tendance à dissoudre tout ce qui structure une mise en page. Là, le nouveau support ne fait pas table rase de ses origines.

Le résultat, c'est que l'on peut feuilleter son journal - presque - comme on le ferait avec sa version papier. Un plaisir de la découverte que les applications iPhone des autres quotidiens ou hebdos n'ont pas su reproduire jusque-là. Un tapotement sur un article affichera ensuite son texte dans une version adaptée à une lecture sur petit écran. Pour les eléments graphiques (photos, cartes…) ce n'est pas encore possible, mais rien n'est exclu pour la future mise à jour.

Mieux encore, tous les jours en milieu de soirée, le chemin de fer (la succession des pages d'un journal) se remplit au fur et à mesure de la réalisation de l'édition du lendemain. On commence alors la lecture du prochain Libé alors même qu'il se fabrique et que certaines pages sont encore vierges. Toutes proportions gardées, on a un peu l'impression d'avoir un pied dans la rédaction. Ce dispositif existait déjà sur le site web - réservé aux abonnés - il a donc été reproduit sur l'iPhone.

Cette fonction, simplement baptisée "Journal", fait partie des services proposés gratuitement jusqu'à dimanche prochain. Passé cette date l'utilisateur n'aura plus accès, gratuitement, qu'à la sélection d'articles déjà offerts quotidiennement sur le site web, et sans cette présentation façon papier (détail des formules d'abonnement).

Rédacteur en chef de liberation.fr et responsable des éditions électroniques, Ludovic Blecher dit clairement que cette application est un "outil de recrutement" d'abonnés pour les contenus payants, et qu'en cela elle s'inscrit dans la nouvelle stratégie gratuit/payant du quotidien. La petite version web "Expresso" optimisée iPhone du journal restera toutefois accessible (http://www.liberation.fr/iphone/), d'autant plus qu'elle n'est pas spécifique à un appareil.

Ludovic Blecher raconte que l'idée d'être présent sur l'iPhone l'a obsédé dès que le téléphone fut annoncé par Apple en janvier 2007. Sitôt mis en vente aux États-Unis il se l'est procuré "on sentait qu'il allait amener une révolution dans les usages". L'objectif pour Libé était d'être sur l'iPhone au premier jour de sa sortie en France, ce qui fut fait avec ce mini site optimisé. Aujourd'hui son allure de croisière est d'environ 5000 lecteurs/jour. Ce qui peut sembler assez faiblard pour un journal comme Libé et surtout au vu de l'explosion du nombre d'iPhone en France où le cap des deux millions a été dépassé (voir l'article SFR vise les 600 000 iPhone en 2009).

Ludovic Blecher concède que la fréquentation de cette version mobile du site a connu un décrochage au fur et à mesure que les autres quotidiens lançaient chacun leur application native. Il explique aussi le retard pris par Libé pour livrer la sienne par l'accumulation de chantiers qu'a connu le quotidien (nouvelle formule, nouvelle stratégie payante, etc).

Dès lors, tant qu'à faire d'y aller après les autres, autant le faire différemment, en essayant de se distinguer. Par exemple cette idée de reprendre la maquette du journal dans l'iPhone "On voit des produits comme le Kindle, mais avec l'iPhone on a déjà une e-book dans la poche, on pouvait ainsi rester cohérent avec ce que l'on faisait déjà sur le site web". Apple, que Libé a consulté, les a aussi invité à "prendre tout le temps nécessaire, à essayer de faire quelque chose d'innovant".

3 mois et 8 personnes

Cette version iPhone a été conçue par l'agence Visuamobile qui a travaillé en étroite collaboration avec Libé "on ne voulait simplement leur refiler le bébé" explique Ludovic Blecher. Visuamobile a déjà réalisé plusieurs applications iPhone comme allRadio, Telepoche ou encore Télépub pour France Télévision. Celle de Libé a nécessité trois mois de développement et mobilisé jusqu'à huit personnes.

Au sujet de la fonction "Journal", Jérémie Engel le patron de Visuamobile, parle d'une opération "pas tant révolutionnaire que surtout complexe à réaliser au quotidien" du fait du travail nécessaire pour traiter les différents contenus et les optimiser en vue de la distribution vers l'iPhone.

Android et les autres

Est-ce qu'il serait possible de faire la même chose sur d'autres plateformes mobiles ? Oui mais "même si la philosophie générale pourrait être reproduite, il faudrait redévelopper beaucoup de choses". Certaines sont de l'ordre de l'adaptation, par exemple l'interface, d'autres sont plus liées aux possibilités de l'appareil d'Apple "l'iPhone est plus véloce que les téléphones Android actuels pour la partie graphique" estime Jérémie Engel.

Et quid d'une version de cette application pour Windows Mobile, Android ou encore les BlackBerry ? Chez Libé, Ludovic Blecher dit "garder un oeil un sur Android". Par contre, le BlackBerry reste encore aujourd'hui, selon lui, prisé par la clientèle des décideurs et plus pour ses aptitudes au courrier électronique que toute autre chose. Alors que l'iPhone est un appareil clairement grand public. D'ailleurs, ses chiffres de ventes invitent à investir d'abord sur lui "On veut continuer d'être bon sur l'iPhone" ajoute Ludovic Blecher.

Et verra-t-on ce principe du journal à feuilleter adopté par d'autres applications mobiles ? Du côté de Visuamobile on ne s'avance pas trop, mais on fait comprendre que la collaboration avec Libé fut étroite et qu'elle est importante. Un journal étranger aura probablement plus de chance qu'un français… Enfin, sur les améliorations ou nouveautés prévues pour la version 2, Ludovic Blecher promet juste "beaucoup d'autres surprises !"