Le projet Marzipan, une chance pour le Mac… et l’iPad

Anthony Nelzin-Santos |

En levant le voile sur le projet Marzipan, Apple a ravivé l’espoir des développeurs et des commentateurs pour le futur des applications macOS. Pourtant, « UIKit sur Mac » pourrait aussi profiter aux applications iOS. Ouvrir la possibilité d’adapter les applications iOS aux paradigmes du Mac, c’est ouvrir la possibilité que les conventions de macOS marquent leur emprise sur l’iPhone et surtout l’iPad.

Alors que les distinctions fonctionnelles entre l’iPad et le Mac sont toujours plus ténues, qu’il n’a jamais été aussi facile — mais en même temps aussi frustrant — de passer de l’un à l’autre, cette annonce n’est pas anodine. En travaillant sur la version macOS d’UIKit, elle renforce la version iOS. En invitant les développeurs à adapter leurs applications à macOS, elle les pousse à réfléchir à la conception de leurs applications iOS.

La présentation d’UIKit pour Mac, lors de la WWDC 2018.

Or trop souvent encore, les applications iPad sont conçues comme de grandes applications iPhone. Quelques développeurs jeunes (comme Savage, Serif, Cultured Code ou Ulysses) et moins jeunes (comme The Omni Group, Panic ou même Adobe) montrent pourtant qu’elles peuvent être au moins aussi perfectionnées que les applications Mac. L’iPad ne manque ni de puissance ni de succès, mais certains développeurs peuvent manquer de motivation.

C’est que l’intérêt d’un développement spécifique à l’iPad n’est pas toujours très clair. Pourquoi prendre du temps que l’on pourrait consacrer à peaufiner l’application iPhone, pourquoi engager des dépenses que l’on pourrait attribuer au développement Android, pourquoi diable s’intéresser à cet objet un peu coincé entre le téléphone et l’ordinateur portable ? Il faut bien le dire, le choix de la « grande application iPhone » est souvent le plus sensé.

Ce qui ne veut pas dire qu’il faille se résigner ! En se laissant gagner par un optimisme un peu fou, on pourrait espérer qu’en sautant de l’iPhone au Mac, certaines applications atterrissent sur l’iPad au passage. Après tout, c’est parce qu’elles ont été adaptées au Mac que les applications Bourse et Dictaphone ont enfin fait leur apparition sur iPad.

L’iPad Pro utilisé au fond du canapé avec l’Apple Pencil…

À l’inverse, on pourrait imaginer que certains développeurs « injectent » un peu d’UIKit dans leurs applications macOS, au point de finalement les adapter pour iOS. À commencer par Apple : l’embauche récente de Louis D’hauwe, développeur qui a repoussé les limites de l’iPad, pour travailler sur Xcode, agite les esprits. Sauf que la même Apple a bien dit qu’AppKit restait le framework applicatif par défaut de macOS.

UIKit est très prometteur, mais il a clairement été conçu pour porter des applications iOS, pas pour créer des applications macOS de zéro. Et puis certaines des applications Mac les plus populaires ne sont même pas des applications « natives », c’est-à-dire des applications utilisant AppKit, mais des applications web encapsulées avec Electron, qui sont déjà disponibles sur iOS… avec des interfaces parfois calamiteuses (lire : UIKit sur Mac : l’avis des développeurs sur le projet Marzipan).

Dans un premier temps au moins, la disponibilité d’UIKit sur Mac bénéficiera à l’iPad d’une manière subtile mais immédiate. Prendre en charge le Mac, c’est prendre en charge les grands écrans, donc celui — voire ceux — de l’iPad Pro en retour. Prendre en charge le Mac, c’est prendre en charge les claviers, donc le Smart Keyboard en retour. Ce n’est pas grand-chose, mais cela peut faire la différence au quotidien.

… et sur la petite tablette d’un siège d’avion avec le Smart Keyboard.

Ce mouvement d’iOS vers macOS n’est pas unidirectionnel. En éprouvant le framework UXKit, qui fait figure de précurseur du projet Marzipan, Photos a bien montré comme les deux systèmes pouvaient se rencontrer et dialoguer. Quatre ans plus tard pourtant, l’application iOS comporte un onglet Pour vous absent de la version macOS, qui possède toujours l’exclusivité de certains outils d’édition…

Et si, pour montrer la voie aux développeurs, Apple faisait « remonter » les fonctions de la version iOS et « redescendre » les fonctions de la version macOS, à la faveur de la finalisation prochaine d’UIKit pour Mac ? Ce serait une belle manière de mettre en pratique la réorganisation des équipes de Craig Federighi, qui rapprochent progressivement les fondations de macOS et d’iOS.

Apple n’a pas dévié un iota de son mantra : le logiciel répond au matériel, le matériel (in)forme le logiciel, différents usages appellent différents matériels utilisant différentes interfaces. L’unification passe par les services — tous les appareils communiquent de manière transparente, partagent les mêmes fichiers et les mêmes données.

L’iPad Pro connecté à un écran UltraFine 4K. Image Apple.

In fine, tous les appareils frappés d’une pomme utiliseront les mêmes composants frappés d’une pomme (lire : La longue liste à puces d’Apple). Mais ces composants prendront des formes différentes selon qu’ils doivent être portés sur le nez ou cachés sous le bureau. Le projet Marzipan, dont le portage d’UIKit sur Mac n’est que l’un des avatars, transfère cette logique au logiciel.

Les mêmes frameworks produiront une interface sur le petit écran de l’Apple Watch et une autre sur le grand écran de l’iMac, prendront en charge l’écran tactile de l’iPad et le trackpad du MacBook. De la même manière que le développement des processeurs Ax a produit des effets bien au-delà du seul iPhone, le développement du projet Marzipan aura des effets bien au-delà du seul Mac.

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