Google a lancé ce mardi sa nouvelle offensive contre la mainmise de l’iPhone sur le marché du smartphone haut de gamme, avec les deux membres de la famille Pixel. En multipliant les allusions directes et indirectes à Apple, la firme de Mountain View prête immanquablement le flanc à la comparaison… et à la critique, car le comparatif n’est pas toujours à l’avantage des Pixel. On fait le point.
Des caractéristiques techniques au taquet
L’iPhone 7 et le Pixel partagent bon nombre de points en commun, à commencer par… leur design. Dans le petit jeu du qui copie sur l’autre, on ne peut s’empêcher de penser que Google a largement regardé par-dessus l’épaule d’Apple. Même si d’aucuns pourront rétorquer qu’à l’origine, à Cupertino on a louché sur le One M7 pour imaginer les lignes de l’iPhone 6. Après tout, c’est HTC qui fabrique les Pixel…
Quoi qu’il en soit, il est impossible de ne pas comparer le Pixel à l’iPhone, d’ailleurs Google ne s’en est pas privé durant la présentation de ses smartphones. Sans s’appesantir sur le design et les motivations de Google (lire : Google cherche une place entre Apple et Samsung), jetons un œil sur les principales caractéristiques techniques.
Les Pixel sont parmi les premiers smartphones à intégrer le nouveau processeur Snapdragon 821 de Qualcomm. Le fondeur américain vante des performances 10 % supérieures sur le Snapdragon 820, qui est le moteur de prédilection des autres smartphones Android haut de gamme. Comment cela se traduit-il en matière de puissance pure ?
Les résultats Geekbench obtenus pour le LeEco Pro 3, qui a précédé de peu les Pixel avec son Snapdragon 821, montrent des performances légèrement supérieures à son prédécesseur, mais on est toujours loin de l’A10 Fusion des iPhone 7.
Comme toujours avec ces benchmarks, ce ne sont pas tellement les performances pures qui comptent, mais la réalité de tous les jours. Les développeurs devront dompter cette puissance dans leurs applications.
Pour donner le change, Google a de son côté peaufiné la réactivité de l’écran. La latence de l’écran tactile est la « meilleure jamais produite sur un appareil Android », s’enorgueillit Dave Burke, vice-président de l’ingénierie Android, chez The Verge. Cette latence est identique ou presque à celle de l’iPhone, rajoute-t-il, en prenant une fois de plus le smartphone d’Apple comme référent.
Aussi étrange que cela puisse paraître, un des arguments de vente mis en avant par Mountain View, c’est… la présence d’un port jack. Il est vrai qu’avec l’iPhone 7, Apple a eu le « courage » de supprimer ce composant, notamment pour caser un moteur Taptic plus imposant (ce qui est loin d’être inutile). Ce retrait n’a pas fini de faire débat, mais en attendant, Google ne propose aucun système de retour haptique équivalent à celui d’Apple, ni même d’ersatz de 3D Touch.
Au-delà de son design sans saveur, la plus grande déception du Pixel finalement, c’est son absence de résistance à l’eau. Apple ne s’y est mis que très récemment (même si l’iPhone 6s montrait déjà quelques dispositions dans ce domaine), mais cela fait déjà un moment que Samsung ou encore Sony proposent cette protection fort pratique. Deux constructeurs qui sont également partenaires de Google… Google n'en fait pas une communication exagérée, mais ses Pixel sont certifiés IP53 ; cela signifie qu'on peut les utiliser sous la pluie, mais guère plus.
Un des atouts du Pixel, c’est la fonction de recharge rapide de la batterie — aussi proposée par d'autres constructeurs Android. Il suffit de brancher le smartphone à son chargeur 18 watts durant 15 minutes pour obtenir 7 heures d’autonomie. Idéal quand on manque cruellement de temps.
Avec le chargeur 10 watts d’un iPad, la batterie d’un iPhone se rechargera aussi plus rapidement, mais Apple se contente d'en livrer un de 5 watts avec son smartphone. Un moyen de préserver la vie de la batterie de l’iPhone (et s’éviter le syndrome des batteries qui gonflent).
Pixel : une nouvelle fragmentation pour Android
À l’instar d’Apple, Google veut maîtriser le matériel et le logiciel. De fait, les Pixel sont équipés d’une nouvelle version d’Android Nougat, la 7.1, qui comprend plusieurs nouveautés de taille. Le Pixel Launcher (l’écran d’accueil) des smartphones troque la barre de recherche Google pour un bouton activant Assistant. Il y a également des modifications ergonomiques, comme ce nouveau geste pour ouvrir le panneau des applications, et des changements de design de certains éléments de l’interface.
Assistant, c’est l’autre grosse nouveauté de Google, qui a sans doute bénéficié du plus grand temps de parole durant l’événement ! On a déjà une petite idée de cette intelligence artificielle avec la messagerie Allo (disponible sur iOS), mais dans les Pixel, elle est partout. On la convoque en touchant le gros bouton G en haut de l’écran, mais aussi en maintenant le doigt sur le bouton d’accueil (un geste qui lançait auparavant Now on Tap, sorte d’ancêtre d’Assistant, qui reste disponible). Il suffit ensuite de poser sa question.
En plus des données de localisation, Assistant retient un maximum d’informations concernant l’utilisateur, afin de lui proposer les réponses les plus adaptées. Assistant peut également gérer les tâches les plus courantes (rappels, minuteur, mais aussi réservations en tout genre), contrôler la musique et les contenus, trouver des photos ou de s’inquiéter du retard de son prochain vol.
Autre élément différenciant et intéressant des Pixel, le support client 24 heures 24 et 7 jours sur 7. Pour peu que le téléphone soit toujours opérationnel, il sera possible de contacter le SAV et même d’autoriser l’opérateur à prendre la main sur le smartphone. On peut aussi passer un coup de fil au support. En somme, un service utile qui est aussi disponible chez Apple, sur le site d’assistance mais aussi dans les Apple Store. En tout cas, c’est une bonne idée de l’intégrer au niveau le plus bas possible de l’OS avec un accès facile.
Cette volonté de proposer une « expérience Pixel » pourrait bien créer une nouvelle fragmentation de l’écosystème déjà pléthorique d’Android. Les terminaux Nexus, ainsi que la tablette Pixel C, n’auront pas droit à toutes les fonctions de cet Android 7.1 concocté par Google pour ses smartphones Pixel.
Un aperçu pour les développeurs sera proposé d’ici la fin de l’année pour les Nexus 5X, 6P (et peut-être les 6 et 9), et la Pixel C. Une version finale est attendue pour le début de l’année prochaine. Mais toutes les fonctions ne seront pas de la partie : le Pixel Launcher reste exclusif aux smartphones Pixel, ainsi que les icônes et dossiers redessinés, le service support 24/7, l’application Appareil photo avec la stabilisation logicielle, et la sauvegarde illimitée des photos et vidéos en résolution maximale.
Le support d’Assistant sur les autres appareils reste encore un peu confus, mais il est probable que l’intelligence artificielle de Google franchisse un jour ou l’autre le Rubicon des Pixel. Il est d’ores et déjà possible d’en avoir un avant goût via la messagerie Allo.
Autre écueil beaucoup plus embêtant : Google "garantit" deux années de mises à jour du système d’exploitation et trois années de mises à jour de sécurité. C’est peu, en tout cas comparé à Apple : iOS 10 peut s’installer sur un iPhone 5 sorti en 2012. Aux prix pratiqués par Google, on aurait pu espérer un support plus long…
Presque tout pour la photo
La photo, c’est la grande affaire de Google qui en a fait un des éléments centraux des Pixel. L’appareil photo de 12,3 mégapixels en impose en effet : si l’ouverture de ƒ/2.0 est plus petite que celle de l’iPhone 7 (ƒ/1,8), le composant capte plus de lumière avec ses photosites de 1,55 μm (1,22 μm pour l’iPhone 7).
L’appareil photo des Pixel sait capturer beaucoup de détails, même dans des situations de luminosité faibles, avec de bons contrastes et la meilleure balance des blancs possible. Google a repris et amélioré la fonction HDR+ inaugurée avec le Nexus 6P, qui consiste à combiner plusieurs RAW pour créer un fichier JPEG le plus agréable à l’œil. Ce n’est pas une nouveauté pour les utilisateurs d’iPhone, mais cela donne des résultats réussis à en croire DxOMark, qui attribue au capteur la note de 89/100, la plus élevée pour un smartphone.
Les mêmes spécialistes de la photographie ont attribué une note de 86 à l’iPhone 7. L’iPhone 7 Plus, qui bénéficie en plus d’un "téléobjectif", a quelques tours supplémentaires dans son chapeau comme le zoom x2 "optico-numérique", ou encore le fameux effet bokeh Portrait (lire : Test de l'appareil photo de l'iPhone 7 Plus).
L’une des déceptions de l’appareil photo du Pixel, c’est l’absence de stabilisation optique de l’image, un composant présent sur les iPhone 7 et 7 Plus. Google compense en exploitant le gyromètre présent dans le smartphone pour éliminer l’effet de « bougé » dans les vidéos. Il faudra voir sur pièce si ce traitement est suffisant pour corriger ce défaut classique. DxOMark note néanmoins qu’il peut y avoir des effets « jello » et des saccades lors d’enregistrement vidéo…
Enfin, Google a mis en avant la sauvegarde de toutes les photos et vidéos en format original prises avec le Pixel dans Google Photos, y compris les vidéos enregistrées en 4K. Ce stockage dans le nuage est illimité dans le temps et dans le volume, mais cette douceur est réservée aux seuls Pixel. Il sera impossible de stocker de la même manière (illimitée) des photos et vidéos provenant d'un autre appareil, à moins de payer un abonnement à Google Photos.
La valse des étiquettes
En s’alignant sur les prix de l’iPhone, Google vise la même clientèle que celle d’Apple — du moins, les acheteurs avec un certain budget qui ne sont pas spécialement attachés à l’écosystème iOS. Les Pixel ne sont pas proposés en version 256 Go cependant, Google estimant peut-être que le stockage illimité des photos et vidéos dans le nuage est suffisant.
Les tarifs pratiqués par Google pour ses Pixel sont sans commune mesure avec ce que l’on connaissait des Nexus. Cette famille de produits misait sur un bon rapport qualité/prix, ce qui en a assuré un certain succès ; le Nexus 5 est encore regretté par de nombreux utilisateurs. Ils devront faire leur deuil : Hiroshi Lockheimer, le patron d’Android, a expliqué dans Bloomberg que Google n’avait actuellement rien dans ses cartons pour les Nexus. Il nuance toutefois : « Je ne veux pas complètement fermer la porte ».
Les prix en euros donnés ici sont ceux pratiqués en Allemagne. Il y a des chances qu’ils soient similaires, à quelques euros près, à ceux en France… si Google daigne les lancer sur notre marché. D’après Le Figaro, Google « travaille » à une sortie hexagonale de ses Pixel, sans s’avancer sur une date (lire : Les Nexus retirés de la vente, les Pixel commercialisés dans moins de 10 pays). Assistant, pierre angulaire du moteur de recherche, sera localisé en français dans quelques semaines ; peut-on alors espérer un lancement tricolore du haut-parleur connecté Home également ?
Pour conclure
À chaque présentation de nouveaux Nexus ou presque, Google se positionne en face de l'iPhone (et de l'iPad quand il s'agit de tablettes). Les Pixel et Pixel XL sont un nouvel effort du moteur de recherche pour revenir dans la course, et cette fois l'entreprise a mis les gros moyens. Mais de ce qu'on peut en voir et lire, l'enthousiasme reste assez mesuré pour le moment.
Les smartphones de Google restent encore derrière l'iPhone en termes de fonctionnalités (à part peut-être l'appareil photo que l'on demande à tester) ; et la question du prix, aligné avec celui de son concurrent direct, va sans doute rester en travers de la gorge de bon nombre d'acheteurs potentiels, qui préféreront peut-être des rivages plus cléments (pour le portefeuille).
Rick Osterloh, à la tête de la division matérielle, est bien conscient des limites de ce premier jet : il assume le fait que Google n'en écoulera pas des volumes importants. Mais le moteur de recherche a les poches profondes et tout le temps qu'il faut pour s'imposer sur le marché du premium. À moins qu'il ne décide une fois de plus de changer de stratégie…